Sur le fil

La petite enfance : clé de l’égalité des chances

La Cnaf a organisé le vendredi 12 septembre, en partenariat avec Terra Nova et l’Institut Montaigne, un colloque intitulé « La petite enfance, clé de l’égalité des chances ». Pour la branche Famille, cette rencontre s’inscrit dans la lignée des « conversations sur la famille » 1.

 « Bien écouter et bien répondre est une des plus grandes perfections que l’on puisse avoir dans la conversation ». J’espère que nous avons répondu à cette exigence fixée par La Rochefoucauld, même si la « conversatio » a parfois tourné à la « disputatio » (notamment sur la question du ciblage ou des méthodes d’apprentissage du langage) montrant au passage l’engagement personnel (et aussi militant) des participants dans ces questions. Comme l’a montré la participation importante qui nous a amené à refuser des entrées pour des raisons de sécurité (ce dont je m’excuse auprès de ceux qui n’ont pu participer à ce débat).

 J’avais déjà abordé ce sujet dans un précédent papier sur ce blogue 2… J’y reviens volontiers en reprenant quelques une des conclusions que j’ai tirées de ce colloque.

La petite enfance : clé de l’égalité des chances

Une finalité peut en cacher une autre. L’objectif de développer 275 000 plans d’accueil pour la petite enfance à l’horizon 2017 vise évidement à favoriser la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Cette orientation a conduit la branche Famille à participer au développement des services aux familles et à y consacrer notamment près de 10% de ses ressources propres, dans le sens d’une politique familiale de type scandinave 3. Mais cette finalité ne saurait cacher un autre objectif, tout aussi important, et qui justifie ce colloque : l’accueil de la petite enfance comme « clé » de l’égalité des chances. On sait que les conditions des premiers apprentissages (le langage notamment), comme  plus généralement de la socialisation de l’enfant, contribuent fortement à la reproduction des inégalités.

Ces inégalités ont un coût pour la société, qu’on peut analyser comme des externalités négatives. Le coût de l’échec scolaire par exemple : 4. Sans aller jusqu’à affirmer, comme un participant, qu’« une place en crèche ouverte c’est une cellule de prison fermée », notre investissement dans les dispositifs d’accueil de la petite enfance peut être considéré comme une forme d’investissement social 5 dont certains participants ont d’ailleurs rappelé que le gouvernement britannique l’avait maintenu dans la période d’assainissement des finances publiques.

Evaluer le rendement économique de l’éducation est parfois contestée dans son principe, au motif que, comme la santé, « l’éducation n’a pas de prix ». S’agissant de dépenses publiques importantes, financées par des prélèvements obligatoires, elle est pourtant totalement légitime 6. Pour autant, lutter contre la reproduction des inégalités est d’abord un enjeu social et politique. Social, voir sociétal, car l’accroissement des inégalités est une déchirure dans le tissu social 7. Politique, car il ne s’agit rien de moins que de donner à l’affirmation formelle de l’égalité des droits 8 une traduction en termes, réels, d’égalité des chances.

Au-delà, l’enjeu est éthique : il s’agit de donner à chaque enfant les moyens de se développer, de développer ses capacités personnelles, afin d’éviter de reconnaître, dans les enfants de milieux défavorisés, autant de « Mozart(s) assassiné(s) 9 ».

La politique conduite par la branche Famille de la Sécurité sociale en matière d’accueil de la petite enfance vise justement à assurer le plus possible l’égalité des chances :

–        en évitant la barrière de l’argent, grâce à un barème qui neutralise les écarts de revenus ; 10

–        en évitant la barrière de l’information, source d’inégalités également, en développant l’information sur les places d’accueil en mode individuel 11 et en collectif ; 12

–        par une politique volontariste d’accueil des enfants de milieux défavorisés, en fixant un seuil minimal de 10% pour les enfants des familles en situation de précarité ;

–        en aidant au développement des capacités d’accueil pour les enfants en situation de handicap ;

–        en maintenant en revanche un objectif de mixité sociale, de façon à éviter tout effet de ghettoïsation, mais aussi de stigmatisation ;

–        et surtout en évitant les phénomènes de rationnement en développant l’offre aujourd’hui insuffisante mais surtout extrêmement hétérogène 13 puisqu’elle est de 52,2 places pour 100 enfants de 0 à 3 ans début 2012, mais varie pour le seul territoire métropolitain de 28% (en Seine-Saint-Denis) à 96% (en Haute-Loire).

Le rééquilibrage territorial est l’un des objectifs centraux de la Convention d’objectifs et de gestion (Cog) entre l’Etat et la Cnaf 14 pour la période 2013-2017. Il a commencé à être mis en oeuvre par l’élaboration des schémas territoriaux des services aux familles, aujourd’hui en cours de préfiguration dans 18 départements.

Au passage, malgré une sous-exécution au cours de l’année 2013, la croissance du budget que la Cnaf peut consacrer au développement de cette offre permet d’accompagner celle-ci, puisque le budget pourra croître à un rythme de 8,5% par an au cours des quatre prochaines années 15. Il n’y a donc pas de baisse du Fond national d’action social (Fnas) contrairement à ce qui a été indiqué ici ou là. Mais il ne suffit pas d’avoir les disponibilités budgétaires, encore faut-il qu’il y ait des projets de création et d’augmentation des places de la part des différents opérateurs. De ce point de vue, l’économie des Etablissements d’accueil de jeunes enfants (EAJE) 16 est inquiétante, puisque le coût en investissement d’une place aurait été quasiment multiplié par deux en une dizaine d’année et que les coûts de fonctionnement varient du simple au double. Un travail est engagé avec les parties prenantes de la branche Famille et avec les opérateurs pour développer cette offre dans des conditions économiques soutenables.

Mais cet aspect quantitatif n’est qu’un des aspects de la politique à mener pour que la petite enfance soit « une clé de l’égalité des chances ». Encore faut-il que l’accueil, individuel ou collectif, permette d’accompagner la socialisation et les premiers apprentissages. Ce colloque a permis de dégager quelques consensus (et aussi des zones de dissensus) sur ces sujets.

Le premier c’est qui si tout ne « se joue pas avant cinq ans » beaucoup se joue avant trois ans. Les constats, tant des évaluateurs que des neuropsychologues, convergent pour confirmer que beaucoup d’inégalités se mettent en place au cours des premiers âges de la vie. Si on ne fait rien, les inégalités se reproduiront et même s’accroîtront. Restent de grands débats sur ce qu’il faut faire, notamment sur deux questions :

–        faut-il cibler et donc dépister les difficultés, au risque de stigmatiser les enfants, mais au risque sinon de ne pas accompagner les enfants qui en ont vraiment besoin ;

–        quelles sont les meilleures méthodes pour accompagner ces premiers apprentissages ? (de nombreux débats ont eu lieu, notamment, sur la méthode « Parler bambin » développé à Grenoble) ;

Il ne m’appartient pas de trancher ces débats dont on sent la profonde sensibilité. Par référence à la santé, et sans aller jusqu’à la création d’une Haute autorité de la petite enfance (analogue à la Haute autorité de santé – Has), j’ai proposé que l’on organise, sur ces sujets, une ou plusieurs conférences de consensus. Reste à préciser qui a la légitimité pour convoquer ces conférences et pour dégager, au-delà des querelles d’écoles nécessaires, mais qui peuvent aussi se révéler artificielles voire stérilisantes, les consensus qui ne sont jamais, dans ces domaines, que des vérités provisoires.

Quoiqu’il en soit, si on peut avoir des différents sur ce qu’il faut faire, il est clair qu’il vaut mieux faire quelque chose, même de façon imparfaite, que de ne rien faire ; de ce point de vue il y a place pour toutes les initiatives et toutes les méthodes. A cet égard, j’ai toujours eu un doute éthique sur les méthodes d’évaluation américaines, ou l’on compare un échantillon de personnes ne bénéficiant pas d’une action publique avec celles en ayant bénéficié, car on accepte délibérément dans ce cas de ne pas généraliser des actions que l’on pense, et qui se révèlent bonnes 17. Cela ne veut pas dire que l’on ne doit pas expérimenter et évaluer, mais qu’il faut trouver d’autres méthodes que celles qui sont utilisées pour les médicaments avec les essais en « double aveugle ». Ce sont ces méthodes que la branche Famille veut développer dans le cadre de son fonds « public et territoire 18 ».

N’oublions pas toutefois que ce ne sont pas les Caf, ni même, s’agissant de crèches, les établissements, mais les personnes, puéricultrices, éducateurs et aussi assistantes maternelles, qui sont en contact avec les enfants. De ce point de vue, il est important également de développer des actions à destination des assistantes maternelles en utilisant pour cela des relais d’assistantes maternelles et en développant les maison d’assistantes maternelles. Tant il est vrai que, comme pour les médecins, l’exercice « regroupé » permet une amélioration spontanée des pratiques, ne serait-ce qu’à travers les échanges informels qu’il favorise.

Il ne faut enfin pas oublier d’aider les parents qui n’en ont pas les moyens à mieux remplir leur fonction dans les apprentissages précoces, en utilisant pour cela les dispositifs d’appui à la parentalité 19, qui sont également une des priorités de la Cog.

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