Sur le fil

Pour un Etat providence social-écologique (Un État-providence pour le 21ème siècle, 3)

« L’État social-écologique organise la transition dans le but de répondre au changement environnemental par le progrès social. Il repose à cet égard sur une fiscalité écologique qui rend visible le coût social caché considérable des crises environnementales tout en atténuant les inégalités sociales. L’État social-écologique garantit en outre une protection aux plus vulnérables (groupes sociaux comme territoires), sur un principe de mutualisation des risques, tout comme l’État-providence l’a fait pour les risques sociaux traditionnels que sont la vieillesse ou le chômage. » (Eloi Laurent, L’État social-écologique : généalogie, philosophie, application, L’économie politique, n° 83, 2019)

 

Il y a trois façons d’aborder le sujet de l’État-providence social-écologique. Ou plus précisément trois cadres écolo-économiques, et ce en partant du plus restreint pour aller vers le plus large.

1. Le premier, le plus restreint, est celui de l’empreinte environnementale de la gestion de la protection sociale elle-même : l’entreprise « État-providence » (2 à 3% du PIB, ce qui n’est pas totalement négligeable), se doit -se devrait en tous cas- de montrer l’exemple en matière de responsabilité sociale et environnementale (RSE). Et ce même si cette action aura un rôle mineur sur la trajectoire de la transition environnementale : sans être adepte de la stratégie du colibri, il n’en reste pas moins vrai qu’en la matière ce sont « les petits ruisseaux qui font les grandes rivières » et qu’il faut éviter le reproche du « faîtes ce que je dis mais pas ce que je fais ».

Les travaux que j’ai conduit dans une ARS puis pour la branche famille ont montré que la principale empreinte carbone d’un organisme de protection sociale, bien avant les autres postes, ce sont les déplacements des usagers pour faire leurs démarches auprès des organismes : de ce point de vue, le développement des démarches en ligne, comme le développement de maisons de services publics de proximité, qui limitent les distances de déplacements, peuvent contribuer à diminuer l’impact environnemental de l’État-providence, … à condition évidemment que l’on limite les émissions générées par les « data center », à défaut de quoi la « contre-productivité » environnementale -pour plagier Illich-, fera plus qu’en annuler les effets bénéfiques. A condition aussi que ce développement des téléprocédures s’inscrive également dans une logique d’inclusion numérique, à défaut de quoi l’objectif environnemental viendrait contredire l’objectif social d’accès au droit. Mais là encore ce qui a été conduit par la branche famille, montre que c’est possible.

2. Le second est celui de l’utilisation des quelques 35% du PIB qui sont financés par la protection sociale, et qui solvabilisent une consommation dont on souhaite diminuer l’empreinte environnementale. En réalité la capacité d’action de l’État-providence  va être différente selon qu’il s’agit de prestations en espèces ou de prestations en nature.

Pour les prestations en espèces, qui jouent une fonction de redistribution, qu’il s’agisse de revenus de remplacement (comme les retraites ou les indemnités journalières) ou de revenu « d’assistance » (comme le RSA ou les allocations logement), la question est de savoir comment orienter cette consommation vers des biens et des services à faible empreinte environnementale. La réponse est d’abord dans la réglementation ou dans la fiscalité et vaut pour toutes les consommations, quelques soient l’origine des revenus qui les financent : si on interdit certains modes de production parce que leur cout environnemental est trop élevé (comme par exemple les déplacements en avion dès lors qu’une liaison ferroviaire rapide existe), ou si on en renchérit le coût par une taxation qui permet d’en internaliser les externalités négatives, cela influera les arbitrages des consommateurs. Une partie de ces taxes peuvent d’ailleurs contribuer à financer les coûts générés en terme de soin, qui constituent souvent une part des externalités négatives de ces consommations, comme c’est aujourd’hui le cas pour des raisons sanitaires pour le tabac ou l’alcool, dont les taxes doivent, normalement, être affectées à l’assurance maladie.  En revanche, si conditionner l’utilisation de ces revenus de redistribution à des contraintes environnementales est également possible (par exemple verser les allocations logement pour les logements respectant des normes environnementales)  cela introduirait une forme de discrimination entre les bénéficiaires de revenus primaires, totalement libre de leur utilisation, et les bénéficiaires de revenus de redistribution, notamment d’assistance, qui feraient l’objet de contraintes plus fortes, génératrices le cas échéant de coûts supplémentaires qui devraient conduire dans ce cas à une augmentation du montant de ces prestations. Il y a eu une époque où le versement des allocations familiales était soumis au respect de l’obligation scolaire, mais compte tenu de l’universalité des allocations familiales, cela ne créait pas de discrimination entre les ménages riches et les ménages pauvres. La seule solution équitable est de mettre en place un continuum socio-fiscal qui permette de soumettre aux même contraintes (par exemple sur les logements) les aides fiscales et les aides sociales, analysées alors comme un impôt négatif. Ce qui renvoie à la mise en place d’une forme d’allocation (ou de revenu) universelle.

Les prestations en nature, l’autre versant de la protection sociale, relèvent d’une logique un peu différente : elles concernent l’accès à des prestations de soins ou de services, d’une façon ou d’une autre financées par la Sécu, que ce soit directement ou par remboursement, et qui ne peuvent relever de la seule logique du marché. Cela vise bien entendu le système de soins (et pour partie de santé) couverts à plus de 90% par l’assurance maladie et les complémentaires, mais aussi une partie des services qui  couvrent le handicap et la perte d’autonomie (5ème risque). L’intervention de l’État-providence est dans ce cas plus facile à concevoir dans la mesure où il suffit, si l’on peut dire, de conditionner la prise en charge par le respect par les prestataires de services et de soins d’exigences environnementales, comme aujourd’hui elles le doivent pour des exigences de qualité de soins ou de services. Pour cela il est nécessaire de développer dans le champ de la santé des évaluations  médico-écologiques, comme la Haute autorité de santé (HAS) a développé des évaluation médico-économiques (et dans le champ social socio-écologiques, comme on fait des évaluations socio-économiques des dispositifs de prise en charge).

3. Le cadre le plus large est celui du mode de calcul du PIB lui-même, variable essentielle de régulation des évolutions de la protection sociale, puisque celle-ci se développe en fonction de la croissance, mesurée par l’évolution de cet agrégat, qu’elle contribue aussi à soutenir, ou du moins à stabiliser. Mais derrière les apparences de l’enrichissement, cet indicateur cache en réalité un appauvrissement, ce que révèle, quelque soit les limites de son mode de calcul, la date de plus en plus précoce du « jour du remplacement ».

Cela doit conduire à repenser le mode de calcul de la richesse, et donc de la croissance qui en est la dérivée annuelle, et c’est au regard de ce nouvel indicateur -que j’ai appelé sur ce blogue Produit intérieur net (de la consommation de facteurs environnementaux de production)- qu’il faudrait à la fois mesurer le « poids » de la fonction d’assurance et de redistribution que constitue l’État-providence, mais aussi sa contribution à la richesse individuelle et collective, ainsi qu’à l’investissement dans les ressources renouvelables. De ce point de vue, il faudrait compléter le concept d‘investissement social avec celui d’investissement environnemental, de telle sorte que, de même que l’on essaie d’évaluer la contribution de la dépense sociale au développement des capacités (capabilities) individuelle et collective, on évalue de la même façon sa contribution au renouvellement des facteurs environnementaux de production. C’est au regard de ce nouvel indicateur, et non du PIB, que devrait être évaluées les actions évoquées dans les deux premiers points de papier de réflexion.

 

Paris, Croulebarbe, le 28 mars 2021.

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