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Sur le risque de « crise de liquidité » de la Sécu

Lu dans le Monde : La Sécurité sociale menacée d’une « crise de liquidité », selon un rapport de la Cour des comptes. Diable « une crise de liquidité » : si on confond parfois la carte Vitale avec une carte bancaire, la Sécu n’est pourtant pas un établissement financier.

En fait quand on lit la livraison 2025 du rapport annuel de la Cour sur la Sécu on comprend que cette soi-disant « crise de liquidité » résulte en fait d’une sorte de jeu de mistigri sur la dette sociale. Résumons : dans un moment de panique les déficits de la Sécu liés à la crise Covid ont été transférés sur la Cades dont la date d’extinction a été reportée de 2024 à 2033 (rappelons que cet amortissement est grâce à la CRDS, contribution de remboursement de la dette sociale, sorte de CSG additionnelle de 0,5%). Au passage on voit la différence de nature entre la dette de la Sécurité sociale et la dette de l’Etat qui est simplement refinancée mais sans obligation d’être amortie. Le transfert des déficits actuels et futurs sur la Cades nécessiterait soit une loi organique pour allonger la durée d’amortissement, soit une augmentation de la CRDS difficile à envisager par un exécutif allergique à l’augmentation des prélèvements obligatoires.

Résultat c’est aujourd’hui l’Acoss (Agence centrale des organismes de sécurité sociale, la caisse nationale des Urssaf) qui porte le déficit des branches, c’est à dire principalement de l’assurance maladie. Or l’Acoss, dont ce n’est pas la vocation de porter de la dette, ne peut emprunter au delà de deux ans et elle risque de se trouver limitée dans sa capacité d’emprunt par « la taille du marché des capitaux à court terme » pour absorber un montant qui atteindrait 100 Mds € en 2028. C’est cela que la Cour appelle une crise de liquidité, qui avait déjà motivé la décision de transfert à la Cades en avril 2020,  crise de liquidité qui pourrait intervenir selon elle en 2027.

Pour la juridiction comptable, cette situation résulte du fait que les comptes sociaux sont « hors de contrôle ». Principal responsable : l’Ondam qui, même hors Covid, fait l’objet d’un dépassement systématique depuis 2020 (auquel il faut ajouter le déficit des hôpitaux résultant de leur sous sous-financement par l’assurance maladie). Dépassement qui devrait se prolonger dans les prochaines années selon la Cour, qui souhaite que des mesures d’économies plus fortes soient appliquées. On est atterré par la recommandation toute marquée par la novlangue de l’assurance maladie qui en résulte : « un programme pluriannuel de mesures de maîtrise sur la progression des dépenses de l’Ondam en développant la prévention en santé, en réorganisant l’offre de soins des établissements de santé et des établissements et services médico-sociaux et en recherchant un partage des efforts entre les acteurs du système de santé ». 

Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt. Ce jeu de mistigri et cette recherche d’économies à tout prix recouvre en fait une réalité économique sous-jacente que la Cour se refuse à voir : on ne peut ramener, au moins dans la période actuelle, le rythme de croissance de l’Ondam à celui du PIB  comme on l’ont fait avec l’effet catastrophique que l’on sait, entre 2008 et 2019, les exécutifs successifs et comme ils cherchent désespérément à le faire à nouveau depuis la fin de la crise du Covid ; et ce d’autant moins que la recherche d’économies futures nécessite des investissements en santé qui sont également financés sur la même enveloppe. Sauf cette part qui pourrait être financée par de la dette, il faudra donc se résoudre à augmenter, modérément (car il ne faut pas abandonner l’objectif de maîtrise de la dépense), mais régulièrement les ressources et donc les prélèvements affectés à l’assurance maladie : une hausse régulière de la CSG pour financer un système de santé auquel les français sont attachés mais voient bien qu’il est en crise serait plus facile à expliquer que l’augmentation beaucoup plus importante des cotisations aux complémentaires ou une augmentation de la CRDS. Mais il faut pour cela, leur dire la vérité et sortir du dogme du « ras le bol fiscal » partagé par l’actuel président de la Cour des comptes et par le « bloc central ».

Paris, Croulebarbe, le 27 mai 2025 

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