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Adonaissants/Adulescents : même combat ?

 

Aussi dramatiques soient-ils, les évènements ont ceci de salutaire qu’ils obligent les institutions à se remettre en cause. C’est ainsi que les attentats du début de l’année ont conduit la branche Famille et ses partenaires à s’interroger sur leurs actions en matière de lien social. Ces travaux ont mis l’accent sur les âges de la jeunesse et sur les politiques conduites 1.

Ces constats rejoignent les réflexions récentes qui regrettent «qu’on achève bien les jeunes» 2 ou proposent « d’oser la jeunesse» 3. Ce qui repose la question de l’élargissement des âges de la jeunesse.

 

Adonaissants 4 / Adulescents 5 : même combat ?

A côté des grandes priorités de la Branche Famille que sont l’accueil de la petite enfance, le soutien à la parentalité, le développement des activités périscolaires ou l’accès au droit, l’action en direction des jeunes, adolescents et jeunes adultes, peux paraître moins lisible, voir moins soutenue ; ou même, pour certains, non prioritaire.

Pour autant, il serait faux de penser que cette préoccupation est absente et nombreuses sont les actions : –  qu’on pense au financement du BAFA ou au soutien aux foyers des jeunes travailleurs – en direction de cette  «classe d’âge» 6. Avec comme objectif général de la Cog dans ce domaine : « les Caf mobiliseront des dispositifs diversifiés en direction des jeunes dans une optique d’accompagnement à leur prise de responsabilité, à leurs engagements citoyens et à leur accès aux logements ». 7

Les attentats de début janvier et les travaux qui ont suivi pour « promouvoir les valeurs de la République » ont toutefois conduit la branche à s’interroger avec ses partenaires sur la pertinence de la politique conduite au regard des évolutions en cours notamment celles qui affectent plus particulièrement cet âge de la vie.

Ainsi on recense aujourd’hui plus de 4000 situations de radicalisation qui touchent majoritairement des jeunes et parfois des très jeunes, des deux sexes et de toutes origines géographiques, sociales, religieuses ou culturelles 8.

 

Certes, ce n’est qu’une très faible partie de la classe d’âge, mais le phénomène est significatif tout autant qu’inquiétant et reflète probablement des évolutions structurelles. J’en distingue  au moins trois :

–          L’élargissement de la classe d’âge, qui ne se limite plus à l’adolescence, dans son acception traditionnelle 9, mais commence plus tôt 10 et surtout finit plus tard 11.

–          Le poids croissant des réseaux sociaux 12  dans  les formes de socialisation des jeunes.

–          Une demande d’engagement qui reste importante mais ne trouve pas une offre adaptée, comme vient de le montrer un rapport de France Stratégie 13.

Face à ces constats, la Cnaf a décidé de reformuler sa doctrine d’intervention en direction des jeunes et d’engager des travaux, dans le cadre de « la démarche prospective 2025 » engagée en 2015, pour faire de l’action en direction de la jeunesse une priorité plus affirmée et surtout plus précise dans sa définition de la prochaine Cog (2018 -2022). A cet effet, dans le cadre de l’actuel Cog des actions se développeront selon différents axes.

L’axe le plus important est la promotion des valeurs de la République aux travers de soutien apporté à des projets collectifs et citoyens. Depuis plus de 15 ans maintenant la MSA – quand je la dirigeais d’ailleurs – a, au traversnde son « Appel à projet jeunes » 14,  engagé une politique dans ce sens, à laquelle nombre de Caf se sont d’ores et déjà associées ou qu’elles ont développés de leur côté notamment entre 2010 et 2012 15. Les Caf sont donc invitées, en relation avec les partenaires de la branche,  à systématiser ce soutien à des projets, notamment ceux relevant des «Fabriques d’Initiatives Citoyennes» 16. Ces actions contribueront en particulier à faire vivre la Charte de la laïcité adoptée par le Conseil d’administration de la Cnaf lors de sa séance du 1er septembre 2015 17.

La deuxième vise à renforcer la présence éducative sur internet et à promouvoir des actions dans le domaine de l’éducation numérique. Telle la langue d’Esope, les réseaux sociaux sont à la fois «la pire et la meilleure des choses», mais la toile ayant horreur du vide c’est le pire qui la remplit, le meilleur étant souvent en retard ou tout simplement absent. Résultat, sur les réseaux sociaux, «la mauvaise monnaie chasse la bonne» et ce d’autant plus qu’il y a peu de « bonne monnaie » émise.

Les Caf sont donc invitées à promouvoir les outils numériques, notamment dans les actions d’accompagnement de la parentalité, ou dans les actions éducatives. A ce titre la branche étendra l’initiative des « Promeneurs du Net » développée par la Caf de la Manche, le Cher et du Morbihan (cf encadré fin d’article).

Le troisième axe est  justement d’étendre les actions de soutien à la parentalité, en les adaptant évidemment, aux tranches d’âges concernées. Les parents, a fortiori quand ils sont isolés, sont confrontés à des questions nouvelles au moment, souvent plus précoce, du passage à l’adolescence. L’émergence des réseaux sociaux en est une, mais on ne saurait réduire les évolutions en cours à ce phénomène. Des dispositifs de soutien aux familles, notamment monoparentales, seront encouragés : «Maisons des familles» développées par la fondation d’Auteuil, « pause parental » promu par la ligue de l’enseignement, ou « mille et un territoires pour la réussite des enfants » portés par un collectif d’associations 18.

L’exercice de la parentalité est rendu particulièrement difficile en cas d’illettrisme. Celui-ci concerne 2.5 millions d’adultes, qui, s’ils sont parents dépendent souvent de leurs enfants en matière de communication écrite, 19 ce qui perturbe les rôles familiaux et peut constituer une contrainte à l’exercice de leur autorité parentale. L’expérience de plusieurs Caf dans ce domaine permettra une extension nationale du partenariat avec l’ANLCI.

Le soutien à la parentalité est particulièrement important quand il s’agit de faire face à une situation de radicalisation. Celle-ci concerne principalement des jeunes, issus de tous milieux ou de toutes cultures 20. L’accompagnement des familles et des jeunes 21 concernés a été placé en 2014 sous la responsabilité du Préfet de département 22 et les Caf et leurs partenaires sont désormais associés, systématiquement, au dispositif.

Dernier axe, notre société, et notamment les classes d’âges concernées doivent pouvoir développer des relations pacifiées, marquées par la bienveillance, conformément aux principes édictées d’ailleurs par la charte de la laïcité de la branche Famille. Pour autant, il ne s’agit pas de nier les tensions ou les conflits, mais de trouver des modes de résolution des conflits qui évitent le recours à la violence ou le repli identitaire, communautaire ou sur soi-même. C’est pourquoi un travail est en cours pour développer des formes de médiations (ce que les Québécois appellent «l’approche médiation» 23 ) au sein des structures d’accueil et d’accompagnements des jeunes, comme cela s’est d’ailleurs fait pour régler dans de meilleures conditions les séparations conjugales 24.

Ces différentes actions ne préjugent pas des classes d’âges concernées. On sait que le temps de l’adolescence et de la jeunesse est en cours de redéfinition 25 et que les politiques publiques sont interpellées sur ce sujet. 26.  L’approche de la branche famille se veut pragmatique, elle relève de l’expérimentation sociale. A ce titre, l’observation du dispositif et du recours permettra de préciser les âges concernés et de vérifier l’hypothèse sous-jacente à ces travaux : l’extension par le bas et par le haut de l’âge (ou peut être des âges) de la jeunesse.

 

Les « Promeneurs du Net »

 

Le projet fait écho à une démarche initiée en Suède il y a une dizaine d’années qui part du principe que, si les adultes professionnels de la jeunesse, éducateurs, animateurs et tous ceux qui sont proches des jeunes et qui travaillent avec eux, sont bien présents là où ils se trouvent, ils ne sont pas présents sur internet.

Les « Promeneurs du Net » ont été mis en place dès 2011 par la Caf et le Conseil général de la Manche. La Caf du Cher, en lien avec la direction départementale de la cohésion sociale et protection de la jeunesse (Ddcspp) et le Conseil départemental, l’a initié en 2014. La Caf du Morbihan a aussi permis cette innovation. L’idée des Promeneurs du Net est que les éducateurs et animateurs doivent aussi utiliser internet pour tisser des relations avec le jeune, individuellement ou collectivement. Et que pour ce faire, des règles sont à respecter : il importe avant tout que l’adulte se positionne comme professionnel. L’objectif est bien d’installer la confiance et de faire du travail éducatif social sur le net au sens large, aider le jeune à développer son potentiel, faire en sorte qu’il s’épanouisse et prévenir des risques lorsque cela est nécessaire.

Les constats montrent que beaucoup d’animateurs jeunesse sont déjà présents sur Facebook, mais souvent de façon non officielle et sur leur temps personnel : certains ont pris cette initiative afin de mobiliser les jeunes sur des projets. Les animateurs communiquent donc sur les activités et les structures, mais sans consigne de leur employeur. De plus, l’absence de cadrage officiel et de légitimation de cette action ne leur permet pas de communiquer sur leur présence sur Internet.

Le Promeneur du Net est un professionnel qui assure une présence éducative sur Internet auprès des jeunes, dans le cadre d’un conventionnement et éventuellement d’une labellisation. Il est référencé sur un site Internet dédié à la démarche. Le Promeneur du Net est l’intervenant identifié auprès d’un public de jeunes. En ce qui concerne les Promeneurs du Net financés par les Caf, ils peuvent travailler dans un centre social, un foyer de jeunes travailleurs, à la maison des adolescents, un accueil de jeunes, une maison des jeunes et de la culture (Mjc), un espace public numérique, etc. Il est clairement référencé avec une photo, une profession et son nom véritable. Ces animateurs vont à la rencontre des jeunes pour répondre dans un premier temps à leurs préoccupations et, dans un deuxième temps, leur proposer une rencontre s’ils le souhaitent ou une participation à des projets à développer sur le territoire.

Dans la Manche et dans le Cher, près de cent professionnels intervenant dans une soixantaine de structures se sont engagés dans l’expérimentation en assurant une fonction de Promeneurs du Net dans le cadre de leurs missions « traditionnelles ».

L’expérimentation « Promeneurs du Net » a démontré un réel intérêt aussi bien dans la notion d’intervention éducative auprès des jeunes, que dans la structuration de projet éducatif au niveau des territoires. Elle a permis de :

–       renforcer la relation de confiance avec les jeunes ;

–       faciliter la prise en charge de sujets délicats ;

–       aider les jeunes à mieux identifier les professionnels comme des personnes ressources ;

–       diversifier les modalités d’accompagnement de projets de jeunes ;

–       dynamiser la politique éducative locale ;

–       améliorer et d’intensifier les relations partenariales entre professionnels de la jeunesse ;

–       mieux structurer les projets de prévention ;

–       montrer la complémentarité indispensable entre présence des professionnels dans des lieux physiques et relations en ligne ;

–       démontrer la nécessité d’avancer sur le web « à visage découvert ».

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