Cher Docteur Franck Devulder,
Je prolonge le poste que je vous ai adressé il y a deux semaines sur LinkedIn
« Cher docteur Franck Devulder je n’avais pas vu votre poste.
Malgré toute mon estime pour vous et pour la CSMF je crois pouvoir vous dire que vous exagérez un peu. Franchement croyez vous que mettre des contraintes à l’installation pour des raisons d’intérêt général va « tuer » la médecine libérale ?
Avec mon amical souvenir.
Daniel Lenoir
Ancien DG de la Caisse nationale de l’Assurance Maladie »
Rarement un de mes postes a eu autant de succès (Fil d’actualité ) avec prés de 19 000 impressions, 40 approbations et plus de 40 commentaires ; et avec ceux-ci un débat dont je me réjouis même si les points de vue exprimés manquent parfois un peu de nuance.
Je répondais au tract de la CSMF ci dessous s’opposant à l’article 1, visant à lutter contre les déserts médicaux, de la proposition de proposition de loi transpartisane portée par le député socialiste de la Mayenne Guillaume Garot adopté contre l’avis du gouvernement, par 155 voix contre 85.
Ce jour le gouvernement doit « dévoiler » ses propositions pour lutter contre les déserts médicaux. Les médecins et les étudiants médecins ont annoncé un mouvement à partir de lundi, certains appelant même à une grève illimitée.
Je voudrais à cette occasion faire quelques rappels historiques et répondre ce faisant à certaines des réactions à mon poste :
- J’ai été parmi les premiers à évoquer la questions des déserts médicaux, à la toute fin des années quatre-vingt-dix dans des propos repris je crois par le Quotidien du médecin. J’étais directeur général de la MSA et cela me remontais de certaines caisses. Ces propos m’ont valu une engueulade du Directeur de la sécurité sociale de l’époque, me reprochant de laisser entendre qu’il n’y avait pas assez de médecins « Tu sais bien, Daniel que c’est parce qu’il y a trop de médecins que la dépense de santé augmente ».
- Deux ans après, prenant la direction générale de la Cnam, j’ai eu à faire face à un mouvement de médecins qui avait démarré quelques semaines auparavant de façon spontanée dans des départements de l’ouest pour raison de burnouts liés à une suractivité liée eux-mêmes à une sous densité médicale, avec une focalisation sur la question des gardes, celle-ci revenant trop souvent.
- Pour répondre à cette dernière question Gilles Johanet, avait comme directeur général de la Cnam, négocié un accord avec le syndicat MG France (avec qui nous avions signé l’accord portant la Consultation médicale à 18,5 €) réorganisant le système de gardes en passant, comme je lui avais fait observer, par dessus les compétences du Conseil de l’ordre dont c’était le rôle d’organiser l’obligation déontologique de la garde.
- Cet accord ayant été attaqué par le Conseil de l’ordre devant la juridiction administrative, j’ai repris la question dès ma nomination à la direction générale de la Cnam, dans le cadre d’un accord tripartite entre l’Etat, le Conseil de l’ordre et la Cnam (une première qui n’a pas eu de suite) qui permettait de rendre effective l’obligation de garde.
- A l’occasion de la campagne présidentielle, la CSMF lançait une campagne contre cet accord et contre « le service des gardes obligatoires » qu’il mettrait en place : je me souviens d’avoir passé un coup de fil à Michel Chassang, qui avait succédé à Claude Maffioli comme président de la CSMF et avec qui j’avais noué des relations amicales à la MSA pour lui dire ce que je pensais de sa référence implicite au STO.
- Suite à la victoire de Jacques Chirac à la présidentielle, Jean-François Mattei est nommé ministre de la santé et me demande de négocier un accord portant la consultation à 20 € pour respecter la promesse présidentielle. Négociation compliquée car sous pression mais dont je suis assez fier des résultats (notamment l’accord de bon usage de la visite qui a permis de la revaloriser fortement mais en en limitant l’usage à la visite médicalement justifiée avec une régulation ; même si je dois regretter que SOS médecins qui a largement bénéficié de cette revalorisation n’ai pas voulu se soumettre à cette discipline collective).
- Parallèlement la CSMF, dans une sorte de pronunciamento, a fait virer les responsables de l’ordre des médecins avec qui j’avais négocié l’accord tripartite, le président, le Pr Bernard Hoerni et le secrétaire général, le Dr André Chassort (médecin généraliste de Saone et Loire et auteur de La médecine à l’envers : Lettre ouverte à mes concitoyens bien soignés mais en dépit du bon sens aujourd’hui décédé).
- Suite à ces événements, Jean-François Mattei prend la décision dès l’année suivante de supprimer l’obligation de garde dans le code de déontologie pour lui substituer celle de participation volontaire à la permanence des soins ambulatoires. Fin de l’épisode …. La suite de l’histoire fera l’objet d’un autre billet.
Je ne peux répondre à tous les commentaires mais juste préciser quelques points :
- Comme le rappellent les événements relatés ci dessus la disposition de la proposition de loi visant à mettre en place une obligation de garde médicale ne fait que rétablir une disposition historique qui avait été introduite à ce titre dans le code de déontologie médicale en 1947. L’erreur a été de l’enlever en 2003, ce qui a au passage contribué à la crise des urgences, alors qu’il fallait juste la rémunérer et l’aménager au regard de l’évolution du contexte. La médecine n’est pas étatisée, mais, même libérale, elle exerce une mission d’intérêt général et la permanence des soins ambulatoires en fait partie.
- La proposition de loi ne remet pas en cause la liberté d’installation : elle la limite dans les zones où la densité médicale est suffisante en la soumettant à autorisation. C’est aussi ce que j’aurais voulu faire par la voie du conventionnement en ne conventionnant pas de nouveaux médecins dans les zones surdotées. Il est toujours possible de s’installer, comme l’indique un de mes commentateurs, comme non conventionné. Le seul problème c’est que cette disposition arrive bien tard car il n’y a plus beaucoup de zone surdense.
- Cette disposition est une condition nécessaire mais en aucun cas suffisante pour résoudre le problème, car elle ne garantit pas que les médecins s’installeront dans les zones sous denses. Il est nécessaire pour cela d’améliorer l’attractivité des zones sous denses et l’on sait que la création de maisons de santé pluridisciplinaires n’y suffira pas.
Cher Docteur Jacqueline Rossant, ce dernier paragraphe pour vous dire que j’ai bien entendu votre commentaire sur les difficultés d’installation dans certaines zones. Je sais aussi la dureté d’exercice du métier que vous évoquez et les risques de mal-être auxquels il peut conduire, comme pour les agriculteurs. Par ailleurs j’ai moi-même été toujours opposé, vous l’avez compris, au numerus clausus qui est un instrument inadapté pour la régulation des dépenses.
Chers Docteurs Franck Devulder et Jacqueline Rossant,
Je veux vous redire, à l’un comme à l’autre, ainsi qu’à l’immense majorité des médecins et des responsables de leurs organisations, l’estime que je vous porte. Mon poste, vous l’avez compris, ne visait pas la polémique mais de sortir de ce mauvais débat sur la liberté d’installation pour s’attacher à ce que je crois nous avons en partage : le souci d’assurer pour tous nos concitoyens l’accès à une médecine de qualité, en conciliant son caractère libéral et sa mission d’intérêt général.
Avec mon très amical souvenir
Daniel Lenoir
Croulebarbe, le 25 avril 2025
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