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Lutte contre la fraude sociale : la pierre philosophale du retour à l’équilibre ?

« La fraude sociale est une trahison » : Catherine Vautrin présente les mesures du futur projet de loi  dans Le Parisien«Il y a 13 milliards d’euros de fraude sociale par an en France. C’est de l’argent qui met le système en déséquilibre», martèle Catherine Vautrin, ici le 31 juillet dans son bureau du ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles de France. LP/Fred DugitLégende de sa photo : « « Il y a 13 milliards d’euros de fraude sociale par an en France. C’est de l’argent qui met le système en déséquilibre», martèle Catherine Vautrin, ici le 31 juillet dans son bureau du ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles » laissant supposer que les mesures qu’elle annonce dans l’interview qu’elle a donné au quotidien vont permettre de récupérer ces sommes indument versées.

Pourquoi 13 milliards, d’ailleurs. Bien sûr on ne peut s’empêcher de  penser au déficit de l’assurance maladie en 2024 : 13,8 Mds € dont j’ai écrit ici qu’il était l’équivalent du rattrapage -partiel et non financé- des rémunérations des personnels hospitaliers suite au Ségur de la santé. Mais après tout, un chiffre en vaut bien un autre : ces 13 milliards là, c’est l’estimation qui a été faite en 2024 de la fraude sociale par le Haut conseil au financement de la protection sociale (HCFips). Le problème ….  c’est que cette fraude résulte pour plus de la moitié des cotisations, alors que la ministre cible son discours sur les fraudes aux prestations. D’ailleurs pour ce qui concerne les seules fraudes à l’assurance maladie, celles-ci sont estimées à 1,7 Mds € et, sont, d’après l’assurance maladie pour plus de 80% le fait des professionnels de santé et des établissements, ce qui certes n’est pas négligeable, mais ne représente qu’un peu plus de 10 % du déficit prévisionnel 2025 pour la branche.

Le problème c’est aussi que c’est une chose que d’estimer la fraude, c’est, comme l’avait également rappelé le HCFips, une autre chose de la détecter et une autre encore de récupérer les sommes indument versées. Les organismes de sécurité sociale n’ont pas attendu les déclarations ministérielles pour s’attaquer à ce problème, et des progrès considérables ont été faits depuis au moins deux décennies. A preuve un poste récent du directeur financier de l’assurance maladie Marc Scholler sur LinkedIn [1]. Les mesures annoncées par la ministre permettront probablement d’améliorer certains de ces dispositifs mais il serait excessif d’en attendre des miracles. Et une fois de plus, à part pour les échanges d’informations entre organismes qui sont déjà très nombreux,  on peut s’interroger sur la nécessité d’une loi pour cela, …. sauf pour faire du buzz politique.

Bien sûr il est indispensable de lutter contre les fraudes à la protection sociale. Mais ce n’est pas d’abord pour des raisons d’économies ; c’est d’abord parce que la fraude, le sentiment de fraude, « nuit gravement à la solidarité », nuit au consentement à la solidarité : le sentiment que des assurés sociaux profitent abusivement du système contribue à délégitimer l’ensemble de la protection sociale. Mais, comme pour le sentiment d’insécurité, le sentiment de fraude est aussi alimenté par les déclarations politiques qui se focalisent sur ce sujet, bouc émissaire facile de nos difficultés, au détriment des sujets de fonds : en instrumentalisant sans nuance la fraude, sans distinguer celle-ci des abus, certes condamnables, mais souvent beaucoup plus difficile à qualifier, comme en matière d’arrêts maladie ; ou encore en stigmatisant certains assurés (les chômeurs, les pauvres par exemple) ou certaines professions (les transporteurs sanitaires, par exemple).

Bien sûr, il est indispensable de lutter contre la fraude et contre les abus, mais comme le rappelait d’ailleurs le HCFips dans son rapport de l’année dernière, le plus efficace c’est d’éviter la fraude par des action de prévention, comme est en train de le faire la branche famille avec la solidarité à la source.

Bien sûr, il est indispensable de lutter contre la fraude et contre les abus, mais il faudrait aussi rappeler « en même temps » que les sommes indument versées sont souvent inférieures aux « économies » réalisées du fait du non recours au droit, comme c’est le cas, par exemple en matière de RSA.

En fait, la lutte contre la fraude sociale, c’est un peu comme la pierre philosophale : les alchimistes de la politique pensent régulièrement avoir trouvé la recette miracle pour trouver l’argent qui permettra d’équilibrer les comptes sociaux ; mais ce n’est qu’illusion …. et, comme aurait dit Gaston Bachelard, obstacle épistémologique pour une approche rationnelle de l’équilibre de la protection sociale.

Les Contamines, le 3 août 2025 

 

 

 

 

 

 

[1] Combien coûte la fraude Post | Fil d’actualité | LinkedIn

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