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Lutte contre les arrêts de travail abusifs : comment on passe du ciblage à la suspicion, et de la suspicion à la répression.

Ce 1er septembre démarre la première phase de la campagne MSO de l’assurance maladie. Ce sont ainsi 500 généralistes qui sont «mis sous objectif»  parce que leur taux d’arrêts de travail est jugé anormalement élevé, qui « s’engagent » en conséquence à baisser leurs prescriptions et feront l’objet de pénalités financières si ils (ou elles) ne respectent pas ces objectifs.

Ce dispositif est pour moi révélateur des dérives des dispositifs de contrôle dans la sécurité sociale et de la perversion de l’utilisation des approches purement statistiques à des fins de modification des comportements individuels.

Soyons clair : il n’est pas choquant de cibler les contrôles sur les plus gros prescripteurs, non qu’ils soient a priori des « fraudeurs », mais parce que la probabilité de trouver des médecins complaisants parmi eux est plus forte que si l’on fait des contrôles aléatoires. Ce sont ces méthodes de ciblage des contrôles que j’ai utilisées régulièrement, à la Cnam pour les arrêts de travail en 2003, ou à la Cnaf avec l’utilisation du datamining, à partir de 2013. Le problème c’est de passer d’une approche probabiliste des contrôles à une volonté de porter un jugement sur des les comportements sur des bases statistiques,  en les comparant à une moyenne qui serait considérée comme normale.

Le directeur général de l’assurance maladie, Thomas Fatome  justifie cette action par une étude de la Cnam et de la Drees selon laquelle seuls 60 % de la hausse récente des arrêts maladie s’explique par « des facteurs économiques et démographiques (progression et vieillissement de l’emploi salarié et évolution du montant journalier d’IJ à âge donné) » mais que « 40 % restent difficilement explicables ». Glissement sémantique typique de la novlangue d’une assurance maladie marquée par la culture du « cost killing » ou le « difficilement explicable » devient implicitement « injustifié ». Alors que l’on sait qu’il y des causes structurelles d’ordre médicales et sociales qui expliquent ces évolutions : la montée des problèmes de santé mentale après la crise du Covid, le développement des risques psychosociaux dans les entreprises, un Covid long qui touche environ deux millions de personnes, notamment des salariés jeunes, l’allongement de la durée d’activité, etc…

A ce biais statistique global, s’ajoute un biais statistique local. Car les médecins ciblés par les mises sous objectifs le sont sur des bases statistiques également, en comparant leurs prescriptions avec la moyenne des pratiques dans la zone d’exercice, mais avec une grande opacité sur les référentiels. Une telle approche ne tient absolument pas compte des caractéristiques de la patientèle : pour illustrer, un cabinet avec une majorité de retraités n’aura pas le même nombre d’arrêts de travail prescrits qu’un praticien installé dans un bassin salarié et ouvrier ; et sur la même zone, deux médecins peuvent avoir des patientèles significativement différentes.

La totalité des syndicats de médecins  s’opposent à ce plan et donnent comme consigne de préférer la MSAP, mise sous accord préalable, qui renvoie la responsabilité de refuser un arrêt de travail au médecin conseil  plutôt que d’intérioriser la contrainte. Le problème c’est que ces méthodes répressives risquent de décourager des médecins généralistes dont on manque cruellement et dont certain.e.s menacent d’ailleurs de « déplaquer ».

On aurait pu imaginer une autre méthode qui s’appuie davantage sur la pédagogie, comme c’était le cas avec les accords de bon usage des soins (Acbus) du début des années 2000, en utilisant les statistiques individuelles, non pour sanctionner, mais pour amener les médecins à réfléchir sur leurs propres pratiques.

 Paris, Croulebarbe, le 1er septembre 2025

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