Je reprend ici mon introduction, légèrement remaniée, à l’Université d’été de Démocratie & Spiritualité qui s’est déroulé du 5 au 7 septembre au Centre d’accueil spiritain de Chevilly Larue.
Nous devions faire cette Université d’été l’année dernière, mais nous avons voulu la reporter d’un an pour trois raisons :
- Des difficultés matérielles et logistiques liées au fait que le Centre don Bosco de Lyon où nous avions pris l’habitude de nous retrouver depuis quelques années n’accueille plus de groupe.
- Le contexte politique lié à la dissolution de l’Assemblée nationale, qui ne permettait pas de se concentrer sur les questions de fond.
- Et enfin, le sentiment que nous n’avions pas assez travaillé en amont de cette rencontre sur ces questions de fond.
Les choses ont évolué sur ces trois points :
- Nous sommes accueillis par le Centre Spiritain de Chevilly Larue qui nous a été présenté hier soir par le Père Etienne.
- Le contexte ne s’est certes pas amélioré au niveau national, mais aussi européen, et même international avec notamment l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, mais il rend plus urgent encore de réfléchir aux pistes de solution à la « crise de la démocratie ».
- Sur le fond, enfin, le groupe préparatoire n’a pas voulu se livrer à une nième analyse de cette « crise de la démocratie », mais a souhaité reprendre la question en profondeur, au niveau anthropologique, et nous inviter à nous situer dans une perspective positive et pas seulement diagnostique. D’où le titre de cette Université d’été.
Un nouvel humanisme pour régénérer la démocratie
Ces dernière années nous avons beaucoup travaillé sur la question de la spiritualité. Le moins que l’on puisse dire c’est que l’utilisation du mot n’est pas évidente, notamment en raison de sa confusion avec celui de « religion », avec ce problème que, une fois qu’on cherche à éliminer ces adhérences, il en est de celles-ci comme des pelures de l’oignon qui à force d’être enlevées finissent par faire disparaître l’oignon lui même. Avancer sur la notion de spiritualité c’est ce que nous a permis de faire le chantier engagé avec le Forum 104 « Spiritualité(s) ; archipel ou bien commun ».
Avec les mots « humanisme » et « démocratie » nous sommes face à un problème différent. On peut dire d’eux ce qu’Augustin d’Hippone disait du temps : « si on ne me le demande pas je sais ce que c’est, mais dès qu’on me le demande, je ne sais plus ». Ce sont des mots qui ont une signification immédiate, même si elle est aussi contestée. Ce sont des mots qui portent des idées forces, même si ils ont aussi un caractère polysémique. Ce sont des mots chargés d’images qui peuvent mobiliser pour changer le cours des choses ; « démocratie » en changeant les rapports de pouvoir dans la société, « humanisme » en fondant les droits humains avec leur successives traductions juridiques, avec sa plus solennelle, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Mais comment les définir ?
Démocratie d’abord : il ne faudrait pas la ramener à la seule démocratie libérale et représentative. Mais la critique nécessaire de la démocratie libérale et représentative ne doit pas nous non plus conduire abandonner ses principes, notamment le respect des droits humains.
Humanisme : le mot est peut-être plus difficile encore à appréhender et je ne vais pas davantage me lancer ici dans une définition. Sauf à rappeler que l’humanisme est une invention de l’occident qui a voulu en faire une valeur universelle. Faut-il pour autant le renier ? ou au contraire essayer de le construire à partir de la pluralité des cultures comme cherche à le faire Souleymane Bachir Ndiaye autour du concept d’Ubuntu.
Dans ces deux jours et demi, nous allons explorer ces deux concepts et leurs interactions en nous appuyant sur une méthode, la méthode D&S ; une méthode qui s’appuie sur les « quatre engagements de la Charte » (c’est pour cela que nous demandons aux participants d’adhérer car, en le faisant, ils s’engagent sur ces quatre principes) que je vais rappeler dans une formulation différente, car ils doivent inspirer nos travaux pendant ces deux jours et demi.
- Intériorité (« S’efforcer de vivre de façon authentique et simple, en cohérence avec les exigences de son chemin intérieur »).
Derrière cet engagement, il y a la conviction qu’il y a une dimension spirituelle à notre humanité. Nous sommes d’abord des corps, des mammifères, et participons à ce titre de la biosphère. Nous sommes aussi des êtres de pensée, et participons aussi à la noosphère, depuis la Renaissance la galaxie Gutenberg et aujourd’hui l’espace numérique planétaire (le « cyberspace »). Mais on ne peut réduire l’humain à ces deux seules dimensions : l’homo sapiens est aussi un homo spiritus, et nous sommes aussi partie prenante d’une pneumosphère qui est peut-être spécifique à l’humanité. C’est la recherche de l’expérience intérieure dont parlait Georges Bataille. Et c’est la raison pour laquelle notre programme prévoit un certain nombre de moments de méditation.
Nous ne sommes pas que des homo sapiens, nous mobilisons aussi nos corps et nos émotions pour exprimer cette dimension cachée de l’humanité et c’est pour cela que nous avons prévu deux soirées festives : le vendredi sur le thème « Jazz et spiritualité », avec un groupe amateur « A5+ » et animée par Jean-Baptiste de Foucault et Pierre Evil (pseudonyme de Pierre Yves Bocquet) et une soirée autogérée pendant laquelle nous pourrons partager danses, chants, poèmes, sketchs, et autres expressions artistiques.
- Interconvictionnalité (« Apprendre à connaître et respecter les autres formes d’expériences et de spiritualité que la sienne et faire de ce dialogue un support de son propre cheminement »).
Cette dimension essentielle de la « méthode D&S » s’applique nous seulement à la quête spirituelle, comme nous l’expérimentons avec le chantier « Spirualité(s) : archipel ou bien commun », avec la recherche d’une métaspiritualité, mais aussi aux convictions politiques qui animent le débat démocratique.
Cela exige, avant le dialogue, l’échange et le débat, d’adopter une attitude d’écoute. C’est ce que nous avons expérimenté depuis deux ans avec le groupe « A l’écoute des jeunes » qui a été l’objet de la derrière Lettre et qui sera l’objet de notre rencontre du samedi après-midi avec quelques unes et quelques uns de ceux qui ont accepté d’échanger avec nous.
- Laboratoire d’idées (« Participer, sous une forme ou sous une autre, à l’élaboration d’analyses et de propositions sur les sujets qui interrogent la relation entre démocratie et spiritualité »).
Nous ne sommes pas que cerveaux certes, mais nous sommes aussi des êtres pensants, et reposant sur l’échange des idées doit aussi nous permettre de dégager des propositions. Pas plus que nous ne nous situons dans le champ religieux nous ne nous situons pas dans le champ politique, mais dans ce que l’on pourrait appeler, comme le métaspirituel, le métapolitique. Cette Université d’été est aussi une invitation à « penser contre soi-même ».
Cette fonction s’est concrétisée dans la publication de quatre livres dans la collection « Démocratie & Spiritualité » aux Editions de l’Atelier (« Des raisons d’espérer », « Dialoguer avec la Terre », « Laïcité et spiritualité », « Logique de pouvoir et éthique ») ; des thèmes qui pour certains seront au cœur des ateliers du premier après midi. A travers les ateliers, les tables rondes , les rencontres, avec la participation de certains de nos partenaires, la mobilisation de l’intelligence collective que constitue l’Université d’été est un investissement pour l’association qui se traduit dans des frais qui ne couvrent pas la totalité des charges. Dans ce travail d’intelligence collective nous bénéficierons aussi du regard d’un grand témoin, Anne Lorraine Bujon, la directrice de la revue Esprit, une revue créée par Emmanuel Mounier et qui depuis plus de 90 ans maintenant s’exerce à répondre à la question qu’il se posait aux débuts des années Trente : « Refaire la Renaissance »
- Agir (« Soutenir ou promouvoir, dans son activité professionnelle ou civique, des actions concrètes reposant sur une inspiration éthique ou spirituelle »).
Agir, sur le terrain professionnel ou citoyen, cela rejoint le « Voir-Juger-Agir » cher à l’Action catholique qui a formé certains d’entre nous. Cela rejoint aussi la conception marxiste de la praxis : agir sur le monde est aussi une façon de la comprendre. Cette Université d’été est aussi une invitation à un aller-retour entre action et réflexion.
Chevilly-Larue, le 5 septembre 2025
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