Vive la Sécu ! dans son numéro du 2 octobre, l’hebdomadaire Témoignage Chrétien a repris dans une version abrégée le papier paru sur ce blogue sous le même titre Vive la Sécu !
La fraternité de la devise républicaine a un visage : la Sécu.
Notre sécurité sociale a 80 ans. Entre le 15 mars 1944, date du programme du Conseil national de la Résistance (CNR), qui annonçait « un plan complet de sécurité sociale », et le 4 octobre 1945, date de l’ordonnance « portant organisation de la sécurité sociale », la période de gestation ne fut pas très longue.
Il faut dire que les fondateurs ne partaient pas de rien : l’ordonnance intègre des législations des années 1930 ; celles sur les assurances sociales, conséquences de la réintégration au territoire national d’une Alsace-Moselle qui en bénéficiait déjà depuis Bismarck ; celles établissant des allocations familiales, initiatives patronales inspirées du catholicisme social ; celles, plus anciennes, sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ; et les plus récentes, créant l’allocation aux vieux travailleurs salariés, ancêtre de notre minimum vieillesse.
Le projet du CNR a également bénéficié du formidable élan donné par la sortie au Royaume-Uni, en 1942, en plein Blitz, du rapport du keynésien Beveridge. Ce qui deviendra le « NHS » (National Health Service) visait à donner de l’espoir aux Britanniques. Dans l’après-guerre, la sécurité sociale est tellement populaire qu’elle devient, en 1948, un droit fondamental : « Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale. » (Article 22 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.)
Cette double filiation explique le caractère hybride de notre système de sécurité sociale : un fondement « bismarckien », à l’ancrage professionnel, qui explique largement sa complexité, avec, par exemple, ses quarante-deux régimes de retraite, et une visée « beveridgienne », avec un objectif d’universalité qui n’a été atteint que pour les prestations familiales et les soins remboursés par l’assurance maladie.
La « Sécu » a accompagné les Trente Glorieuses et a continué à se développer après le choc pétrolier. Elle représente aujourd’hui un tiers de la richesse nationale. Mais elle est, depuis près de cinquante ans, marquée par la rhétorique lancinante de la crise, avec l’image du fameux « trou de la Sécu », qui est utilisée pour justifier les réformes – celle des retraites il y a peu ou, tout récemment, celle de l’assurance maladie. Pourtant, contrairement à une idée reçue, la Sécu n’est pas à l’origine de la crise de la dette publique ; sa part ne représente qu’un dixième du total et, contrairement à celle de l’État, elle ne pèse pas sur les générations futures puisqu’elle est remboursée dans le cadre de la Caisse d’amortissement de la dette sociale.
Malgré l’attachement que lui portent les Français, la Sécu fait pourtant aujourd’hui l’objet d’un doute existentiel. On avait espéré un nouvel élan avec le projet d’État-providence du XXIe siècle d’Emmanuel Macron. Hélas, de reculades – comme sur le régime universel des retraites – en abandons – comme pour le plan pauvreté –, le macronisme, comme avant lui une partie de la social-démocratie, s’est rallié à une stratégie d’« endiguement » de la sécurité sociale. Prônée par les néolibéraux, cette politique a pour objectif d’éviter d’augmenter, voire de diminuer, la part de la Sécu dans le PIB. Une conséquence parmi d’autres d’un tel choix : aucun gouvernement n’a voulu dégager les 10 à 20 milliards d’euros supplémentaires nécessaires pour couvrir correctement la dépendance des personnes âgées.
Face à cela, une autre gauche regarde l’avenir avec un rétroviseur en voulant ressusciter « la Sociale », cette sécurité sociale de 1945 mythifiée et dont les derniers feux ont brillé en 1982 avec la retraite à 60 ans. Bizarrement, après avoir longtemps épousé les thèses ultralibérales, l’extrême droite mariniste semble s’être ralliée à cette vision, mais en voulant en limiter le bénéfice aux seuls nationaux, l’immigration étant accusée, à tort, d’être à l’origine d’un coût insupportable pour la Sécu. La voici rejointe sur ce terrain par une droite de moins en moins républicaine et obsédée par l’« assistanat ». Difficile de discerner un chemin d’avenir dans ce conflit de visions…
Vaincre enfin la pauvreté en garantissant à tous, comme le souhaitait le CNR, « des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail » ; permettre à chacun, sur tout le territoire, d’accéder aux soins et à l’accompagnement dont il a besoin ; faire de la sécurité sociale une sécurité environnementale ; redonner du sens au consentement à la solidarité pour sortir du mauvais débat sur le « ras-le-bol fiscal » ; réinventer une démocratie sociale qui s’inspire des méthodes de la démocratie participative pour régler les arbitrages difficiles sur l’évolution du système de retraite ou sur ce qui doit être remboursé par l’assurance maladie : les défis ne manquent pourtant pas pour notre octogénaire, dont il faudrait d’abord rappeler qu’elle est aujourd’hui la principale incarnation de la troisième valeur de la République, la fraternité.
Témoignage Chrétien, le 2 octobre 2025
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