Chantiers, Sur le fil

Pour quelques milliards de moins (Ondam quand tu nous tiens .. suite)

« L’Union nationale des caisses d’assurance maladie transmet avant le 15 juin de chaque année au ministre chargé de la sécurité sociale et au Parlement des propositions relatives à l’évolution des charges et des produits de la Caisse nationale de l’assurance maladie et de la Caisse centrale de mutualité sociale agricole au titre de l’année suivante et aux mesures nécessaires pour atteindre l’équilibre prévu par le cadrage financier pluriannuel des dépenses d’assurance maladie. Ces propositions tiennent compte des objectifs de santé publique. » (Code de la Sécurité sociale. Article L111-11).

Tout n’est pas mauvais dans le rapport charges et produits pour 2026 présenté par Thomas Fatôme ce mardi. Il renoue notamment avec ce que j’avais essayé de mettre en place avec les rapports d’exécution de l’Ondam, qui préfiguraient cette obligation  pour les caisses d’assurance maladie introduite par la loi du 13 aout 2004 : i.e. une projection à moyen terme des recettes et des dépenses qui devait permettre aux parties prenantes de l’assurance maladie représentées dans le conseil de l’Uncam de se positionner, tant sur l’évolution des charges que sur celle des produits, ambition hélas abandonnée dés le premier exercice par mon successeur à la Cnam, Frédéric Van Roekeghem. Pour la première fois depuis 20 ans donc, il y a bien une analyse rétrospective et prospective des charges et des produits et du déficit en résultant.

Hélas, cela n’amène pas pour autant l’actuel directeur général de la Cnam à revenir sur le principe sous jacent aux politiques de santé depuis au moins 2008 et dont il a été, avec Frédéric Van Roekeghem, un des promoteurs : ramener le rythme de croissance de l’Ondam à celui du PIB. Au contraire, suit un cocorico pour la période 2010-2019, où cet objectif a été respecté mais au prix d’une pression budgétaire excessive sur le système de santé qui m’a conduit à la qualifier de « decennium horribilis » : en effet ce résultat a été obtenu principalement par des mesures tarifaires, avec, en particulier, l’impact que l’on a vu sur les rémunérations des soignants, notamment hospitaliers. Très surprenant : il ne remarque même pas qu’avec 13 Mds €,  le déficit résiduel une fois passés les effets de la crise Covid, correspond presqu’exactement au montant des mesures dites du Ségur de la santé, qui n’étaient qu’un rattrapage partiel du retard pris dans leur rémunération par les soignants et qui n’ont pas été intégrées dans l’Ondam. Sans cette pression régulière sur les rémunérations c’est un Ondam d’au moins 0,7 point supplémentaire (soit autour de 3 % en moyenne et non de 2,3 %) qu’il aurait fallu fixer chaque année pendant dix ans.

Pas de propositions donc sur les recettes, sauf celles qui permettent de les maintenir au rythme de croissance de la richesse nationale : ce qui est proposé par le DG de la Cnam n’est rien moins que de revenir à la pression qui a été exercé sur le système de santé pendant plus de dix ans pour que la dépense ne croisse pas plus vite que le PIB. Avec, on peut l’imaginer, les mêmes effets calamiteux pour un système de santé que plus personne ne considère, comme l’OMS en l’an 2000, comme le meilleur du monde.

Là encore, tout n’est pas mauvais dans les propositions de maîtrise des dépenses. Je ne peux que me réjouir de la volonté de la Cnam de renouer avec la « maîtrise médicalisée » -que je préfère appeler régulation  médico-économique- de la dépense de santé- qu’elle a largement abandonnée à partir de 2008 au profit d’une régulation tarifaire– ; régulation médico-économique, par exemple, que de remettre en cause le remboursement de produits ou de dispositifs dont l’efficacité médicale est limitée, ou encore de vérifier que les prescriptions prises en charges à 100% dans le cadre d’une affection de longue durée (ALD) sont bien en rapport avec elles. De façon générale en investissant massivement dans la pertinence des soins de façon à réduire les poches d’inefficacité massives dont on estime qu’elles représentent entre 10 à 20 % de la dépense.  De même, on ne peut que se réjouir de la volonté de l’assurance maladie de s’attaquer aux profits excessifs liés à la financiarisation du système dans certains secteurs comme la biologie, l’imagerie médicale, ou l’hospitalisation privée. Sans parler de la lutte contre les abus et les fraudes qui, dans le domaine de l’assurance maladie sont essentiellement le fait de professionnels de santé. Le problème c’est que ces initiatives demandent de la constance et des investissements humains, et ne produisent pas des effets tout de suite. Au moins à court terme, elles ne permettront pas de couvrir l’écart tendanciel croissant entre les dépenses et les recettes.

De même on ne peut que se réjouir que l’assurance maladie veuille investir dans la prévention. Mais là encore, les effets ne sont pas immédiats ; et, de surcroît, contrairement à une idée reçue, les dépenses de prévention ne génèrent pas systématiquement des économies en matière de soins. Cela peut même être le contraire. Je m’explique. Il est clair que la vaccination contre la grippe génère des économies en matière d’arrêts de travail. Mais la relation n’est pas toujours aussi simple.  Ainsi faire de la prévention des pathologies cardiovasculaires va diminuer dans un premier temps les dépenses d’ALD liées à ces pathologies, mais en diminuant le risque de décès pour ces pathologies, va augmenter dans un deuxième temps l’incidence de pathologies qui interviennent en général plus tard, comme les cancers ou les maladies neuro-dégénératives. Et donc augmenter les coûts, y compris en ALD, liés à ces pathologies. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas faire de prévention. Au contraire. Mais d’abord pour améliorer la qualité de la vie et l’espérance de vie en bonne santé de la population ; pas pour faire des économies.

Tout cela explique que, pris de panique devant la montée du déficit, le directeur de la Cnam, comme le gouvernement, aligne également toute une série de propositions qui relèvent plus du musée des horreurs des idées reçues de la pensée néolibérale en matière d’assurance maladie que d’une intelligence de la complexité du système. En atteste la focalisation obsessionnelle sur les arrêts de travail qui font l’objet d’une suspicion généralisée. Loin de moi l’idée de contester l’existence d’arrêts de complaisance contre lesquels j’avais d’ailleurs engagé il y a vingt ans un plan d’action efficace. Mais ceux-ci n’expliquent pas l’augmentation des arrêts de longue durée qui relèvent de causes plus structurelles sur lesquelles il est impossible d’agir par le seul contrôle de la prescription. En atteste également les tentatives de remise en cause insidieuses du régime des ALD pour celles qui existent, alors que le gouvernement vient de confirmer son refus de reconnaitre le Covid long comme ALD. Le problème c’est que, non seulement on va accroître les difficultés des personnes en mettant en cause des droits fondamentaux, mais ces actions ne suffiront pas  à résoudre l’équation impossible que les responsables de l’assurance maladie se sont imposé à eux-mêmes en refusant de jouer sur une variable essentielle : l’augmentation, maîtrisée certes, mais inévitable si l’on veut maintenir un système d’assurance maladie solidaire permettant l’accès aux soins pour tous, des recettes (et donc  des prélèvements correspondant).

Charentonnay, Les Fringantes, le 28 juin 2025.

 

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