Confidentiel, Sur le fil

Avril 2017 : Quelques idées sur les priorités de la future politique familiale (Note à Emmanuel Macron)

Je poursuis la publication de documents à l’époque confidentiels : ici la note que j’avais faite à Emmanuel Macron pendant la campagne de 2017 à la demande de Jean Pisani Ferry. Je n’ai pas retrouvé la note plus détaillée sur le projet d’allocation sociale unique qui s’était traduite dans le programme par le projet de Versement social unique, devenu depuis « Solidarité à la source ».

Note à Emmanuel Macron

Quelques idées sur les priorités de la future politique familiale

Une partie de ceux qui risquent de voter pour Marine Le Pen sont sensibles aux critiques qui ont été faites sur la politique familiale menée  sous le quinquennat de François Hollande. Cela vise évidemment le mariage pour tous, mais aussi des domaines qui sont traditionnellement ceux de la politique familiale gérée par les Caf, comme par exemple la modulation des allocations familiales, et plus généralement les mesures d’économie qui ont été faites sur la branche famille, y compris pour pouvoir baisser le montant des cotisations appelées auprès des entreprises dans le cadre du pacte de responsabilité.

Sans remettre en cause le retour à l’équilibre de la branche Famille de la Sécurité sociale, qui devrait être effectif en 2017, il est possible de développer une politique familiale ambitieuse et moderne, à destination des familles modestes, comme des familles plus aisées. Tel est l’objet de la présente note.

Ne pas revenir sur la modulation des allocations familiales, mais donner un accès à des services universels pour permettre aux familles de mieux concilier vie familiale et vie professionnelle

Avec le plafonnement du quotient familial, la modulation des allocations familiales a permis de mettre fin aux effets anti-redistributifs du système pour les trois derniers déciles, comme l’a montré une étude de la Cnaf. De surcroit, la modulation des allocations familiales, qui avait pourtant été fortement critiquée par les mouvements familiaux (Familles pour tous et Sens commun, mais aussi Unaf) comme par les partenaires sociaux, a été plébiscitée par les français, comme le montre un sondage du Credoc réalisé récemment  à la demande de la Cnaf. Ce dispositif a permis d’économiser près de 800 millions d’Euros de dépenses pour la branche famille, et contribué significativement à l’équilibre des finances sociales.

Pour les familles, en couple ou monoparentales, qui disposent de plus de 6000 € ou de 8000 € de revenu mensuel, le problème n’est pas de toucher un montant plus élevé d’allocation familiale, mais bien de pouvoir concilier vie familiale et vie professionnelle et de trouver des réponses aux questions qui  se posent à elles  en matière d’exercice de la parentalité. Dans ce domaine, l’accès à des services d’accueil pour la petite enfance et pour l’enfance prioritaire, comme également le développement de politiques d’entreprises favorables à la parentalité.

L’argument de l’universalité développé par les opposants à la modulation, pourrait être utilisé en retour  pour la petite enfance, avec la mise en place d’un service universel de la petite enfance : il s’agirait pour toute famille de disposer d’un droit à l’accueil pour leurs enfants de moins de trois ans, reposant  sur un droit opposable comme l’a fait l’Allemagne dans le cadre du gouvernement de coalition : droit opposable aux communes ayant permis d’ouvrir près de 400 000 places de crèches en 10 ans. Ce service universel de la petite enfance sera aussi un puissant moyen de lutter contre la reproduction des inégalités sociales (cf. les travaux de Terra Nova et de l’Institut Montaigne).

Une proposition analogue peut être faite pour l’enfance d’âge scolaire, mais sans aller jusqu’à un service universel, en développant les activités périscolaires, et en prolongeant,  en intensifiant et en assouplissant le développement qui a été fait dans le cadre de la réforme des rythmes éducatifs.

Enfin, il faudrait inciter les entreprises à négocier sur le développement des dispositifs d’aide à la parentalité et de conciliation vie familiale et vie professionnelle, en développant le télétravail, les dispositifs de congés, y compris pour les aidants, par exemple. Ce mouvement pourrait être lancé à l’occasion d’un Grenelle des temps, comme l’a proposé Jérôme Ballarin avec l’Observatoire de la parentalité en entreprise.

Verser une allocation familiale dès le premier enfant :

Les allocations familiales ne sont versées qu’à compter du deuxième enfant (sauf dans les Dom) pour des raisons historiques liées à la vocation nataliste des allocations familiales. En revanche, et pour les mêmes raisons, elles sont majorées à compter du troisième enfant. Ces dispositions, notamment la première, sont mal comprises et en grande partie dépassées, notamment pour les familles monoparentales, qui sont souvent des familles avec un seul enfant. On peut aussi considérer que c’est une remise en cause du principe d’universalité, bien plus que la modulation qui ne l’a pas remis en cause, puisque les enfants ne peuvent être couverts par une allocation familiale que s’ils sont au moins deux.

En revenant sur  les majorations à compter du troisième enfant, le coût de l’extension des  allocations au premier enfant, donc le fait de rendre universelle les allocations familiales dès le premier enfant, est de l’ordre de 700 millions d’€, sans compter la diminution des sommes versées sur d’autres prestations comme la prime d’activité ou le RSA. C’est-à-dire le même ordre de grandeur que celui de l’économie générée par la modulation : la branche famille étant prévue pour redevenir excédentaire dans les prochaines années, cet effort pourrait être financé sans difficulté, et sans mettre en péril l’équilibre des finances publiques, par la branche. Sans les cibler particulièrement, c’est une mesure à fort impact pour les familles monoparentales.

Achever la réforme des pensions alimentaires, et améliorer la situation des parents après la séparation.

Peu connue, l’une des réformes les plus importantes dans le domaine de la politique familiale de l’actuel quinquennat est celle du recouvrement des pensions alimentaires : avec la Gipa, Garantie des impayés de pensions alimentaire, et la mise en place par la Cnaf de l’Aripa (Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires) a été instauré un dispositif qui garantit une pension alimentaire minimale (de 100,4 € aujourd’hui, le complément étant versé par la Caf), et qui assure le recouvrement des pensions alimentaires non payées pour le compte des bénéficiaires (à 95 % des femmes).

Il permet également de récupérer la part payée par les Caf en cas de non-paiement, d’améliorer l’exercice de la coparentalité, après la séparation, de façon à ce que d’un côté, les débiteurs, c’est-à-dire dans la plupart des cas les pères, assurent bien leur responsabilité financière, mais puissent aussi continuer à exercer leur responsabilité parentale. Là aussi, il s’agit d’une réforme à fort impact pour les familles monoparentales, qui peut être valorisée davantage qu’elle ne l’a été par le gouvernement, en la développant sur quatre points.

Le premier viserait l’augmentation de la pension alimentaire minimale, qui pourrait être de 50 % comme celle annoncée pour la prime d’activité, pour la porter à 150 €. Outre sur les marges dégagées par la branche famille, une partie de cette mesure peut être financée par l’amélioration du recouvrement des pensions alimentaires versées par la branche, en cas de carence du débiteur.

Le deuxième consisterait à rendre systématique le recours à la médiation en cas de séparation, notamment pour la fixation des pensions alimentaires, dès lors qu’un barème minimal est respecté. La situation actuelle est en effet paradoxale : la médiation est plébiscitée, comme alternative au passage devant le juge, pour les couples qui y ont recours ; mais très peu l’utilisent du fait de l’insuffisance de l’offre de médiation et de l’absence d’incitation à y recourir. Ce recours systématique pourrait être expérimenté par voie législative (comme cela a été le cas pour la Gipa), dans une dizaine de départements où un effort de développement de l’offre de médiation  pourrait être fait, de façon à être généralisée après deux ou trois ans (comme cela a été le cas également pour la Gipa).

Le troisième vise à renforcer la prévention et le signalement des violences faites aux femmes et aux enfants, et à protéger ceux-ci en cas de séparation.

Le dernier  consiste à développer les dispositifs permettant au parent qui n’a pas la garde de l’enfant et a des difficultés pour continuer à exercer sa fonction parentale de le faire : espaces de rencontre,  accès à une aide au logement…

Mettre en place des dispositifs d’accompagnement pour les adolescents et leurs parents

L’adolescence et l’accès à l’âge adulte est un âge critique et l’est probablement de plus en plus. Des dispositifs d’aide à la parentalité ont été mis en place et sont financés par les Caf pour la petite enfance et l’enfance (lieux d’accueil, réseaux d’écoute, notamment) et cet effort devra être poursuivi ; mais il n’y a pas eu d’effort équivalent (et il n’y a pas de financement des lieux d’accueil au-delà de 6 ans)  pour les âges adolescents. Pourtant des initiatives ont été prises, telles qu’à la suite de la création de la maison de Solenn,  avec le développement du réseau de Maison des Adolescents, qui permet d’accompagner les adolescents et leurs parents en cas de difficultés. Ces difficultés peuvent avoir des conséquences particulièrement graves (décrochage scolaire, anorexie, addictions, toxicomanie, suicide, radicalisation, par exemple) et mériteraient d’être développées,  généralisées et promues auprès des parents et des adolescents. Ainsi, un programme de généralisation des Maisons des adolescents pourrait être engagé avec le soutien conjoint des Caf et des ARS, de façon à disposer d’un réseau complet sur l’ensemble du territoire.

Le partenariat avec les Ecoles des Parents et des Educateurs pourrait aussi être renforcé. Ces écoles des parents qui proposent de la médiation familiale, des consultations de guidance parentale, des groupes de parole et d’échange, de la formation notamment, pourraient être développées  davantage sur les territoires.

Au-delà de l’adolescence, des mesures significatives sont également à prévoir en direction de la jeunesse, qui ne sont pas développées ici, comme par exemple :

  • Rendre universel le service civique ;
  • Généraliser la garantie jeunes pour les jeunes sans emploi et sans formation ;
  • Développer les dispositifs de prévention de la radicalisation (comme Les Promeneurs du net qui permette d’assurer la présence des éducateurs sur les réseaux sociaux et qui sont en cours de déploiement par les Caf).

Assurer  l’accès au droit aux prestations pour tous, tout en renforçant le contrôle des prestations et la lutte contre la fraude.

Dans le domaine des prestations familiales, et notamment des minima sociaux, on assiste à un paradoxe apparent, souvent sujet à polémiques : les fraudes, qui sont loin d’être négligeables, représentent des montants inférieurs aux sommes non versées du fait du non recours au droit. Le paradoxe n’est qu’apparent, car les enquêtes montrent une forte demande de la population pour que le recours au droit soit effectif, mais aussi, qu’il n’y ait pas d’abus de droit et qu’on lutte contre la fraude ; c’est même, dans les enquêtes, un élément essentiel du consentement à la solidarité. En réalité accès au droit et lutte contre la fraude sont indissociables, non seulement pour des raisons de principe, mais aussi parce qu’ils s’appuient sur les mêmes méthodes.

Le contrôle des prestations et la lutte contre la fraude ont été considérablement renforcés depuis 2013, avec la mise en œuvre de méthodes utilisant les big data (datamining), le développement des échanges de données avec les autres administrations, par exemple, ce qui a permis de multiplier par plus de 2 le montant des fraudes récupérées (qui est passé de 120 à 240 millions d’€). Pour autant les sommes qui pourrait être récupérées grâce à un calcul exact des prestations (notamment les minima sociaux) sont supérieures à  1 Mds d’€ (dont une partie seulement sont des fraudes, plus de la moitié résultant d’erreurs, notamment de déclaration, de la part des allocataires).

De même, l’accès au droit a été considérablement amélioré depuis 2013, grâce à la mise en place de rendez-vous des droits par les Caf (plus de 250 000 par an) et une stratégie de développement du numérique, comme l’a illustré le succès de la prime d’activité, avec un recours qui, au bout d’une première année, dépasse les 70 % (contre moins d’un tiers pour le RSA activité). Pour autant, on est encore loin d’un passage d’ « un droit formel à un droit réel » pour tous et l’on sait que les freins à l’accès au droit restent nombreux.

Une stratégie généralisée d’accès au droit et de contrôle des prestations peut reposer sur les éléments suivants, qui, sont d’ailleurs aussi ceux qui permettront de mettre en place le versement social unique prévu au programme d’Emmanuel Macron :

  • La récupération des données de ressources auprès des payeurs (employeurs, avec la DSN, allocations chômage et maladie, notamment), de façon à pré remplir les télé déclarations (simplification et prévention de la fraude), à calculer exactement les prestations (sécurisation financière) et à détecter des non recourants potentiels (accès au droit) ;
  • L’amplification des rendez-vous des droits, en en faisant des rendez-vous des droits et des devoirs, des droits pour l’accès au droit et des devoirs pour la prévention de la fraude, en les systématisant pour les jeunes (proposition d’Antoine Dulin), et en les élargissant à d’autres publics (notamment les non recourants potentiels) ;
  • Mise en place d’une stratégie d’inclusion numérique (des expérimentations sont en cours entre la Cnaf et Emmaüs Connect) pour permettre à tous d’utiliser dans de bonnes conditions les dispositifs de déclaration numérique (et répondre ce faisant aux critiques du Défenseur des droits, Jacques Toubon), stratégie qui intègre la densification des points d’accueil numérique (actuellement quasiment un au minimum par bassins de vie), et la généralisation des maisons de service au public, particulièrement importantes pour l’accès au droit en milieu rural, comme la création de centres sociaux dans les quartiers prioritaires de politique de la ville où il n’y en a pas (probablement au moins 25 % d’entre eux).

Je suis à votre disposition pour toute précision ou approfondissement de ces sujets.

Avec mon amical soutien.

Daniel Lenoir

Paris, le 29 avril 2017

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