Le dossier de la lettre de D&S d’octobre est consacré à l’Université d’été et reprend un certain nombre de contributions à ce moment d’intelligence collective. En guise d’édito, j’ai remis en forme les propos conclusifs que j’ai tenus à la fin.
- Il nous faut d’abord, et je crois que cette UE nous y a aidé, sortir du sentiment d’impuissance. Face aux désordres croissants du monde, face aux « ingénieurs du chaos », nous avons trop souvent le sentiment de ne pas avoir prise sur les évènements, de « boxer dans le vide ». Les échanges avec les jeunes nous invitent au contraire à opposer au « pessimisme de la raison » l' »optimisme de la volonté ».
Pour ceux, nombreux parmi nous, qui sont de la génération des « boomers », il nous faut aussi sortir du syndrome de l’échec, du sentiment d’avoir « raté ». Nous n’avons pas raté, mais nous avons perdu -ce qui n’est pas la même chose- nombre des combats que nous avions menés. Y compris quand nous pensions avoir gagné, comme certains d’entre nous après la victoire de la gauche, en 1981. Par les ruses de l’histoire, certaines de ces victoires ont été détournées de leur objectif initial, comme la construction européenne, un projet de paix mis au service d’un projet néo-libéral.
Plus qu’avec la révolution qu’ont pu annoncer aussi bien Lénine que Macron, il nous faut renouer avec le sentiment de révolte auquel nous invitait Camus : « Dans l’épreuve quotidienne qui est la nôtre, la révolte joue le même rôle que le cogito dans l’ordre de la pensée : elle est la première évidence. Mais cette évidence tire l’individu de sa solitude. Elle est un lien commun qui fonde sur tous les hommes la première valeur. Je me révolte, donc nous sommes. ». La révolte ou encore l’indignation comme le préconisait Stéphane Hessel, notamment face aux injustices. La révolte, l’indignation, face à la barbarie.
« Barbarie ou démocratie » pourrait-on dire en plagiant le titre du numéro de septembre de la revue Esprit « Barbarie ou socialisme ». La barbarie des régimes totalitaires et illibéraux bien sûr, mais aussi la barbarie du marché, considéré comme l’instance centrale de coordination des choix individuels par des homo economicus qui se désintéresseraient des conséquences collectives (sociales ou environnementales) qui en résultent. Une démocratie qui redonne la possibilité aux citoyens de donner de la voix, pour reprendre la thèse de l’économiste A. O. Hirschman « Exit, voice and loyalty », ce qui suppose de développer la vertu d’écoute, notamment de la part des responsables.
Vertu d’écoute, mais aussi vertu de patience, une vertu qui rime avec espérance ; car tout cela prend du temps : le temps de l’écoute et du dialogue. Une vertu de patience qui rime aussi avec nuance; car il nous faut prendre le temps d’intégrer la complexité. Une vertu de patience qui rime aussi avec résistance ; car nous sommes dans un moment qui appelle à une résistance spirituelle. Une vertu qui rime avec renaissance ; car nous avons besoin, comme le disait Emmanuel Mounier, le fondateur de la revue Esprit au début des années trente, et comme nous l’a rappelé notre grand témoin, Anne Lorraine Bujon qui en a repris il y a quelques années la direction de « Refaire la Renaissance ».
2. Nous avons poursuivi pendant deux jours et demi cette quête de cette nouvelle Renaissance, d’un nouvel humanisme qui permette de « régénérer la démocratie »:
- Un humanisme qui est d’abord un naturalisme (non pas au sens du mouvement littéraire lancé par Zola mais comme « doctrine qui considère la nature comme principe fondamental » (CNTRL), mais qui intégre que l’humain est partie intégrante de la nature). C’est ce que nous avons développé dans « Dialoguer avec la Terre », et dans un des ateliers de notre U.E.
- Un humanisme qui est d’abord un personnalisme. Nous assumons les trois dimensions de la personnes : le corps, la pensée et l’esprit. Contre les formes d’individualisme forcené ou d’holisme totalitaire, nous assumons la dimension communautaire de la personne, individu inscrit dans des solidarités collectives, choisies et assumées.
- Un humanisme qui est aussi un spiritualisme (au sens initial du terme, et pas au sens de spiritisme). C’est la vocation de D&S que de rappeler la dimension spirituelle de l’humanité et de l’importance de cette dimension dans la gestion des affaires collectives, dans la la gestion de ces communs qui font la République humaine. Et de porter cette dimension dans une société marquée par un double mouvement contradictoire de recul du religieux et de retour d’un religieux souvent inquiétant.
- Un nouvel humanisme communicationnel. Depuis Esope nous savons que « la langue peut être à la fois la meilleure et la pire des choses ». Après la révolution Gutenberg qui a marqué la Renaissance, nous vivons une nouvelle révolution : il nous appartient face à la transition numérique de développer un « numérique à visage humain », comme nous avons aussi essayé de l’explorer pendant cette Université d’été.
- Un humanisme empathique, un humanisme qui prend soin. « Le soin est un humanisme » nous rappelle Cynthia Fleury. Un humanisme qui invite à la bienveillance, à l’attention aux autres, notamment aux plus faibles ou plus vulnérables. C’est ce qui motive l’engagement de nombre d’entre nous de « partage avec les plus faibles », comme le dit la Charte.
- Un nouvel humanisme fraternel. Personnalistes, nous assumons les trois valeurs de la République : Liberté, Egalité, Fraternité, et notamment à la dernière trop souvent négligée dans la définition des politiques publiques. Il nous faut aller au delà de la règle d’or qui est au cœur de toutes les religions « Ce que tu ne veux pas que l’on te fasse, ne le fais pas à ton prochain » pour passer au « Aime ton prochain comme toi même ». Ce qui suppose d’abord, rappelons le, de s’aimer soi-même. Ce qui suppose également de lutter contre l’interprétation qu’en donne une extrême droite chrétienne qui détourne le message évangélique en réduisant le prochain aux proches (famille, nation, etc…), par opposition « aux lointains » (l’étranger, l’immigré, etc…).
- Un humanisme féministe également ; une fraternité qui soit aussi adelphité, pour sortir de cet humanisme patriarcal réservé aux frères et non aux sœurs et exclue la moitié de l’humanité. Un humanisme qui intègre les acquis de l’émancipation féministe. Un humanisme qui reprend à son compte le mot d’ordre des femmes (et des hommes) iraniennes « Femme, vie, liberté ».
- Un humanisme, enfin, qui est un universalisme. Un universalisme qu’il nous faut reconstruire, comme nous le suggère Souleymane Bechir Ndiaye avec le concept d’Ubuntu, en tenant compte du pluriel du monde ; un universel qui soit aussi un pluriversel, pour sortir de la tentation de l’Occident d’instrumentaliser l’universel pour imposer sa domination sur le reste du monde.
3. Que faire ?
Une Université d’été n’est pas là pour définir un programme. Et ce n’est d’ailleurs pas le rôle de Démocratie & Spiritualité que de définir un programme. Nous nous situons à un autre niveau, un niveau métapolitique : notre rôle est de permettre à des personnes qui ont, ou non, des engagements ailleurs, d’échanger sur les moteurs de l’engagement et de l’action, et de réinvestir ces éléments de discernements dans leurs lieux d’engagement.
De même notre quête de sens relève de la méta-spiritualité et s’appuie sur une méthode désormais bien assise : l’interconvictionnalité. C’est ce que nous avons développé dans « Des raisons d’espérer » et prolongé avec le chantier conduit dans le cadre du Forum 104 : « Spiritualité(s) : archipel ou bien commun ».
Dans cette perspective il ne nous est pas paru utile de réécrire la Charte de 1993 : l’urgence ne nous semble pas d’utiliser nos énergies pour écrire un nouveau texte qui se substituerait à celui-ci ou à d’autres existants comme la Charte du convivialisme qui sert de référence à nombre d’entre nous. Il ne nous a pas semblé utile de lancer rapidement un nouvel appel à un sursaut spirituel et démocratique, comme nous l’avions fait il y a quatre ans, avec un succès à vrai dire limité.
Notre priorité est plutôt d’aider à fédérer les énergies :
- avec nos partenaires, dont plusieurs ont participé à cette Université d’été.
- au niveau local, en essayant de susciter, comme c’est le cas à Grenoble et à Nantes, des rencontres entre les personnes qui se retrouvent dans nos orientations.
- de façon intergénérationnelle, comme nous avons su le faire avec le travail « A l’écoute des jeunes ».
Chevilly Larue, dimanche 7 septembre 2025
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