Le 13 novembre 2015, j’étais à la Guadeloupe pour une réunion des Caf des Dom. J’ai appris les attentats par un message de mon fils indiquant qu’il était en sécurité. Le lendemain j’ai été appelé par une amie, commissaire à la police scientifique, qui souhaitait savoir comment on pouvait confirmer l’identité des victimes en utilisant les données de la carte Vitale. Je suis rentré le dimanche martin et me suis rendu sur les lieux, en hommage aux victimes. Les hasards de la vie font que j’ai habité pendant tous le mois de décembre en face du Bataclan. Tous les soirs je passais devant le monceau de fleurs et de messages qui l’entouraient et je dinais dans le bar qui avait servi de poste d’urgence pour les victimes ce soir-là.
Le 13 novembre 2015 est pour moi indissociable des événements de janvier dont il fut la réplique à grande échelle, et du 14 juillet de l’année suivante à Nice. Directeur général de la Cnaf, j’avais été interpellé dès mai 2014 par Pierre N’gahane, nouveau secrétaire général du CIPDR (Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation), sur les risques de la radicalisation islamiste et sur le rôle que pouvaient jouer les Caf dans sa prévention. C’est plus l’ampleur de ces événements que le terrorisme djihadiste, qui s’était déjà manifesté avec l’épopée mortelle de Mohamed Merah, qui m’a surpris.
Dès la fin de janvier, à l’instigation de nos ministres de tutelle Laurence Rossignol et Marisol Touraine, la branche famille de la Sécurité sociale s’est engagée bien davantage que les autres branches dans une politique dite de « promotion des valeurs de la République » avec notamment :
- L’élaboration, avec le soutien d’Olivier Bobineau et en lien avec l’Observatoire de la laïcité, d’une Charte de la laïcité placée sous le signe de l’hospitalité.
- La mise en place d’un comité de suivi associant les parties prenantes de la branche représentées au conseil d’admiistration, les Caf ainsi que les partenaires qui avaient été associés à son élaboration.
- Un contrôle plus étroit des subventions des Caf pour éviter de financer des associations, notamment islamistes, qui ne la respectaient pas.
- L’arrêt du versement du RSA aux allocataires qui avaient rejoint Daesh.
- Le déploiement du réseau des « Promeneurs du net », éducateurs sur « la rue numérique », s’inspirant d’une initiative développée en Suède pour prévenir la radicalisation néonazie.
Cette ligne de crête difficile visant à lutter contre les dérives islamistes sans stigmatiser les musulmans a hélas pâti du mouvement pendulaire du successeur de François Hollande, favorable, dans un premier temps, à une forme de communautarisme à l’anglosaxonne qui constituait une forme implicite de désaveu, pour se rallier ensuite avec le discours d’octobre 2020 sur le séparatisme à une forme de radicalisation laïciste suscitant la défiance vis-à-vis des expressions de l’islam, et qui s’est traduite par la suppression de l’Observatoire de la laïcité..
Depuis 2015, d’autres menaces, comme celles liées à l’impérialisme de Poutine ou à l’illibéralisme de Trump, ont pu mettre au second plan la menace islamiste. Pour autant, même si elle n’a plus la même ampleur, elle n’a pas disparu, comme en atteste les assassinats de Samuel Paty en 2023 ou de Dominique Bernard en 2024. Si la fièvre djihadiste n’a plus la même intensité que celle atteinte en 2915-2016, comme avec le Covid long pour ke Covid, elle a laissé des traces profondes mais cachées et inconscientes dans le corps social. L’importation du conflit israélo-palestinien dans la société française en est un des symptômes les plus marquants.
Le cancer islamiste a continué à se développer avec son emprise sur les consciences et son hégémonie sur l’islam. Il a contribué à développer une nouvelle forme d’antisémitisme au sein de la société française. Il contamine désormais une France insoumise dont le I consonne trop souvent avec cet islamisme.
Mais les anticorps développés par le corps social ont suscité aussi une réactivité excessive à l’islam, conduisant à ce malnommé « racisme antimusulman » qu’il vaut mieux appeler islamophobie et qui, sous couvert de laïcité, s’est substitué, pour l’extrême droite, à son traditionnel antisémitisme. Ils ont aussi contribué à une forme de radicalisation de la droite catholique alimenté par la télé Bolloré. Sans parler du développement d’un terrorisme d’ultradroite qui, pour l’instant, a été circonscrit.
Comme dans le Covid long, s’est développé en même temps qu’une hystérisation des débats, une forme de brouillard mental, brouillant les repères que difficilement notre pays s’était donnés pour organiser pacifiquement les rapports entre les religions et la société.
Croulebarbe, le 7 novembre, Les Fringantes, le 8 novembre.
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