In memoriam, Sur le fil

Vive la Sécu

Notre Sécurité sociale a 80 ans. Entre le 15 mars 1944, au moment où le Conseil national de la Résistance (CNR) annonce dans son programme, « Les jours heureux », « un plan complet de sécurité social visant à assurer, à tous les citoyens, des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail  avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État« , et le 4 octobre 1945 date de l’ordonnance du gouvernement provisoire de la République française « portant organisation de la sécurité sociale », la période de gestation ne fut pas si longue ; d’autant qu’il fallait d’abord , conformément à la première partie du même programme, libérer le territoire national. Il faut dire que les fondateurs ne partaient pas de rien : l’ordonnance intègre les législations des années trente, celle sur les assurances sociales, conséquences de la réintégration au territoire national d’une Alsace Moselle qui depuis Bismarck bénéficiaient de tels dispositifs, ou celle sur les allocations familiales, initiatives patronales inspirées du catholicisme social, comme aussi celle, plus ancienne, sur la réparation des accidents du travail et maladies professionnelles, ou, plus récente, créant l’allocation aux vieux travailleurs salariés, ancêtre de notre minimum vieillesse. Il faut dire aussi que le projet a bénéficié de l’élan donné à l’idée de Sécurité sociale par la sortie, en 1942, en plein milieu du Blitz, du rapport du keynésien Beveridge visant à donner aux britanniques de l’espoir pour l’après guerre. A tel point que celle-ci sera intégrée comme un des droits fondamentaux de l’homme dans la déclaration universelle de 1946 : « Toute personne en tant que membre de la société a droit à la Sécurité sociale ».

Cette double filiation explique le caractère hybride de notre système de sécurité sociale : un fondement bismarckien avec son ancrage professionnel, qui explique largement sa complexité, notamment en matière de retraites avec ses 42 régimes, et sa visée beveridgienne, avec son objectif d’universalité qui n’a été atteint en fait que pour les prestations familiales et les sins remboursés par l’assurance maladie.

La Sécu a l’âge des premiers boomers et s’est installée avec cette génération. Elle a accompagné les trente glorieuses mais a continué à se développer après l’inflexion du choc pétrolier. Elle représente aujourd’hui un tiers de la richesse nationale. Mais comme l’économie elle est depuis prés de cinquante ans marquée par la figure rhétorique lancinante de la crise ; celle-ci prenant l’image du fameux « trou de la Sécu » qui sert régulièrement de prétexte à des mesures d’économie comme il y a peu avec la réforme des retraites ou en cet automne avec l’assurance maladie. Pourtant, contrairement à une idée reçue hélas solidement installée dans l’opnion, ce n’est pas la Sécu qui est à l’origine de la dette publique ; sa part ne représente qu’un dixième du total et, contrairement à celle de l’Etat, elle ne pèse pas sur les générations futures, puisqu’elle est amortie grâce à la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS).

Malgré l’attachement que lui portent les français, on ne peut que constater que, depuis que le bon Dr Rosanvallon a porté son diagnostic sur « la crise de l’Etat-providence », la sécu fait l’objet d’un doute existentiel. On avait espéré un nouvel élan avec le projet d’Etat providence du 21èle siècle d’Emmanuel Macron. Hélas de reculade -comme sur le régime universel des retraites-, en abandon -comme sur le plan pauvreté-, le macronisme, comme avant lui une partie de la social démocratie, s’est rallié à la stratégie  d’endiguement de la sécurité sociale prônée par les néolibéraux et dont le seul objectif est d’éviter d’augmenter, voire de diminuer, la part de la Sécu dans le PIB : une conséquence parmi d’autres, malgré les rapports réguliers sur le sujet, aucun gouvernement n’a voulu dégager les 10 à 20 milliards € supplémentaires qui seraient nécessaires pour couvrir correctement la dépendance des personnes âgées. Sans parler du sous financement du Ségur de la santé qui ne venait que compenser partiellement plus de 10 ans de pression sur les rémunérations des soignants au nom de cette même stratégie d’endiguement, et qui explique, à lui seul, le déficit de l’assurance maladie en 2024.

Face à cela une autre gauche regarde l’avenir avec un rétroviseur en voulant faire revivre « la Sociale », cette Sécurité sociale de 45 mythifiée et dont les derniers feux ont brillé en 1982 avec la retraite à 60 ans, Bizarrement, après avoir longtemps épousé les thèses ultralibérales, l’extrême droite mariniste semble s’être ralliée à cette vision, avec cette seule différence de vouloir en limiter le bénéfice aux seuls nationaux, l’immigration étant accusée, contre toutes les expertises sur le sujet, d’être à l’origine d’un coût insupportable pour notre système de sécu, comme on le voit avec le débat sur l’aide médicale d’Etat (AME). Rejointe sur ce terrain, comme l’a illustré les débats sur la loi sur l’immigration, par une droite de moins en moins républicaine et obsédée, elle, par l’assistanat. Difficile de discerner un chemin d’avenir dans cette tour de Babel.

Pourtant, vaincre enfin la pauvreté qui a encore augmenté récemment avec un revenu de base qui  garantisse à tous « des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail », garantir à chacune et à chacun, sur tout le territoire, l’accès aux soins et à l’accompagnement dont il a besoin, faire de la sécurité sociale une sécurité environnementale, redonner du sens au consentement à la solidarité pour sortir du mauvais débat sur le « ras le bol fiscal », réinventer une démocratie sociale qui s’inspire des méthodes de la démocratie participative pour régler les arbitrages difficiles sur l’évolution du système de retraite ou sur ce qui doit être remboursé par l’assurance maladie : les défis ne manquent pas pour notre pimpante octogénaire.

Des défis que nous ne pourrons réellement aborder que si nous nous souvenons que la Sécurité sociale est aujourd’hui la principale incarnation de la troisième valeur de la République : la fraternité.

Paris, Croulebarbe, le 27 octobre 2025

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