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Grand âge et autonomie : encore un petit effort pour faire un cinquième risque.

Dominique Libaut a rendu son rapport sur la concertation qu’il a pilotée sur « Grand âge et autonomie ». Rapport salué à juste titre de toutes parts et il faut d’abord féliciter l’auteur d’être allé le plus loin possible dans le cadre assez contraint qui lui était fixé. Pour autant conduit-il à proposer ce fameux « cinquième risque » annoncé par Emmanuel Macron le 15 juin au congrès de la Mutualité et attendu depuis si longtemps ? A l’évidence non, ce que l’auteur reconnaît d’ailleurs lui même.

  1. Le plus loin possible sur le plan financier d’abord. Il faut rappeler que les précédentes initiatives, portées avec beaucoup de conviction tant par Roselyne Bachelot, que par Michèle Delaunay, avaient accouché d’une souris en se heurtant au mur de Bercy, du fait du coût anticipé des réformes envisagées pour les finances publiques. En prévoyant d’affecter à la dépendance le produit de l’actuelle contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) une fois la dette de la Cades amortie, il a trouvé la martingale qui permet de dégager, et à partir de 2024, la coquette somme de 9 Mds € par an (en année pleine) sans augmenter les prélèvements obligatoires. Certes le gouvernement pourrait aussi, conformément au programme des finances publiques de réduction, non seulement des déficits, mais aussi de la pression fiscale, annoncé par Gérald Darmanin en juillet 2017, supprimer cette contribution qui s’analyse comme un demi point de CSG supplémentaire. Mais surtout, si la Cades devrait avoir en 2024 amorti la dette qui lui a été transférée depuis sa création en 1990, toute la dette sociale n’aura pas été éteinte pour autant, puisqu’une partie de la dette de l’Acoss (27 Mds €) n’a pas été transférée et que s’est ajoutée à celle-ci celle de l’Unedic, qui devrait dépasser 37 Mds € cette année. Mais après tout cette proposition n’est qu’une illustration que la question est moins la baisse des prélèvements obligatoires, que la soutenabilité sociale  de leur croissance.
  2. Le plus loin possible aussi pour faire face à la crise profonde des Ehpad, en proposant d’augmenter les effectifs de 25 % d’ici 2024, soit 80 000 emplois supplémentaires, et une dépense d’1,2 Mds € (comme d’ailleurs d’augmenter les moyens consacrés au maintien à domicile pour qu’il dure le plus longtemps possible pour 550 M€). Même associé à une politique plus active de prévention des risques professionnels et de maltraitance, ainsi qu’à une revalorisation des métiers concernés, il n’est pas sûr que cela suffise à régler définitivement le problème, mais il est clair que cela y contribuera. Et c’est aussi la reconnaissance que la charge de travail dans les Ehpad est aujourd’hui trop lourde et que les procédures de qualité ne suffiront pas à régler ce problème dans la mesure où il s’agit de métier où les « gains de productivité » resteront limités, même avec la révolution numérique, et donc ne peuvent se faire qu’au détriment de la qualité de la prise en charge.
  3. Le plus loin possible aussi sur la question du « reste à charge » (le Rac), en particulier pour la question, cruciale, de l’hébergement en établissement ; même si sur ce point, il faut bien le dire, il ne va pas très loin, en se limitant, d’une part à augmenter à proposer la mise en place d’une aide de 300 € pour l’hébergement en établissement des personnes qui sont entre 1000 et 1600 € de revenu mensuel et ne bénéficient pas de ce fait, ni de l’aide au logement, ni de la réduction d’impôt pour frais liés à la dépendance, et d’autres part à prendre en charge, au delà de quatre ans, le surcoût de l’hébergement pour les personnes éligibles à l’allocation sociale à l’hébergement en établissement (ASH) sans récupération sur la succession. Rien à voir, donc, avec une couverture universelle, ni même, contrairement à ce qui a été dit, avec un « bouclier autonomie », analogue au bouclier sanitaire proposé en son temps par Martin Hirsch, et qui aurait consisté à plafonner le reste à charge pour tous les bénéficiaires, quitte à fixer le montant du plafond en fonction des ressources, donc des capacités contributives. Cette limitation du Rac s’apparente davantage à un dispositif d’aide sociale, en d’autres termes d’assistance, que de Sécurité sociale. Le reste à charge pour les usagers, et donc en général pour leurs enfants, fait que le risque restera insuffisamment mutualisé. Certes la récupération sur succession qui avait été maintenue avec la prestation spécifique dépendance (PSD) a été abandonnée avec la mise en place de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) mais elle a été maintenue pour l’ASH. La lourde charge de l’hébergement en Ehpad restera largement celle des personnes et de leur famille et le dispositif de « prêt viager-dépendance » proposé par le rapport peut être considéré comme une forme volontaire de récupération sur succession. Or, on peut considérer qu’il y a une certaine forme d’injustice à ce que, à situation identique, la succession soit fortement amputée quand on a la charge d’un parent hébergé longtemps en établissement, en comparaison avec les ménages qui n’ont pas à faire face à cette charge, et que ce risque, pour les descendants, devrait, légitimement, être mutualisé. Cela supposerait un prélèvement sur l’ensemble des successions (notamment les plus élevées, comme le propose Terra Nova), qui serait affecté à la couverture de ce risque. Une façon de socialiser de façon équitable, ce risque croissant.
  4. Surtout le mauvais débat, auquel d’ailleurs personne n’a rien compris, sur la question du passage à 65 ans et son incidence sur la réforme des retraites est la meilleure illustration de ce qu’on n’en est pas encore à la couverture généralisée d’un risque social. De quoi s’agit-il ? Aujourd’hui ce qu’on appelle dépendance après soixante ans, s’appelle handicap avant, et est couvert, non pas par l’APA, mais par la prestation de compensation du handicap (PCH) créée en 2005, avec des conditions d’accès plus restreintes, mais une couverture a priori plus élevée. Le passage de 60 ans à 65 ans, justifié par l’évolution de l’espérance de vie et le retard de l’âge de la retraite, permet aussi de diminuer la charge de la future prestation autonomie qui se substituerait à l’APA. Mais handicap ou dépendance, c’est le même risque qui est visé, même si, bien sûr, il ne s’exprime pas de la même façon en fonction de l’âge (comme le risque « chômage » ne se traduit pas de la même façon à 30 ans ou à 55 ans). La création d’un « cinquième risque » conduirait à unifier les conditions de couverture du handicap et de la dépendance, en les adaptant bien sûr aux différentes âges de la vie, de la naissance à la mort, mais sans introduire de barrière d’âge, car ce risque existe à tout âge, même si, bien sûr son origine et son incidence évoluent au cours de la vie. Au passage, ce serait aussi un moyen de développer des couverture assurantielle complémentaire, car le risque « dépendance du grand âge  » est considéré comme in-assurable, sauf à en rendre l’assurance obligatoire, ce qu’exclue le rapport.

On voit donc qu’on est encore loin du « cinquième risque », constitutif de « l’Etat providence du 21ème siècle », même si, incontestablement, les propositions de Dominique Libaut peuvent constituer un pas dans ce sens.

Paris, le 2 avril 2019

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