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L’allocation universelle de solidarité : une garantie de revenu pour tous reposant sur l’impôt négatif (Un État providence pour le 21ème siècle, 1)

Dans la perspective des travaux préparatoires à la future campagne présidentielle, j’ai repris mes travaux sur la conception d’un État-providence pour le 21ème siècle. Je les publie ici pour les soumettre au débat. Je commence par la question du revenu de base, autour de la notion d’allocation universelle de solidarité, terme que m’a suggéré Christophe Fourel et que je préfère à « allocation sociale unique », qui évoque trop les initiatives néo-libérales, pour fusionner un ensemble de prestations sociales, davantage dans un souci d’économie   que d’assurer une garantie de revenu pour tous.

 

L’allocation universelle de solidarité : une garantie de revenu pour tous reposant sur l’impôt négatif.

Revenu universel : « Le revenu universel également appelé revenu de base est une somme versée à tous les citoyens d’un pays sans tenir compte de leurs revenus, de leur patrimoine ou de leur situation professionnelle ».

On peut à la fois féliciter et blâmer Benoît Hamon d’avoir à la fois popularisé et décrédibilisé le projet de revenu universel qu’il avait porté pendant la présidentielle 2017. Pourtant, la mise en place d’une garantie de revenu pour tous dès la majorité est à la fois une nécessité et une révolution copernicienne pour la Sécurité sociale en constituant le socle visible d’un système enfin universel.

Jusqu’à la mise en place du RMI, et même depuis, le système de sécurité sociale repose sur un système d’assurances sociales fondé sur le travail, progressivement étendu à diverses catégories socio-professionnelles, les dispositifs d’aide sociale mis en place auparavant jouant un rôle subsidiaire pour couvrir, plus ou moins, bien « les trous dans la raquette ». Mettre en place une garantie de revenu pour tous les résidents inversera la logique de couverture, « le filet de sécurité » devenant le socle de la sécurité sociale, sans lien avec une activité professionnelle ou assimilé, et les dispositifs d’assurance sociale venant le compléter, notamment pour la retraite, le chômage ou le handicap.

C’est l’aboutissement d’une évolution longue vers l’universalité, conformément à l’objectif fixé au « plan complet de sécurité sociale » par le CNR dans « Les jours heureux » en 1944 d’ « assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail ». C’est, de surcroit, devenu nécessaire car l’alternance des périodes d’emploi et de chômage et des formes d’emploi nécessite un socle général. La crise du Covid a montré à quel point les dispositifs de filet de sécurité actuel étaient insuffisants, et plus encore pour les plus jeunes qui n’en bénéficient pas.

De ce point de vue, l’allocation universelle de solidarité ne remet pas en cause l’objectif d’un emploi pour tous, mais doit être au contraire le socle d’une sécurité sociale professionnelle. D’un côté un montant suffisant de l’allocation permettra d’éviter des rémunération trop faibles (comme le fait le Smic pour les salaires) et de réduire les situations de « travailleurs pauvres ». De l’autre l’intégration d’une part incitative à la reprise d’activité – l’actuelle prime d’activité – afin d’éviter le risque supposé de « trappe à inactivité » et surtout d’éviter les situations de « double imposition[1] », permettra d’inscrire cette allocation dans une logique de parcours d’emploi. Pour éviter toute discontinuité et donc les risques de double imposition en cas d’augmentation du revenu d’activité, la part « activité » et les cotisations salariales devront être intégrées, dans une logique d’impôt négatif, dans un seul dispositif.

Pour ce faire, elle a vocation à être individualisée, comme l’est aujourd’hui l’allocation de solidarité spécifique (ASS) versée aux chômeurs en fin de droit et seul minimum social non familialisé, qui serait intégrée dans cette allocation universelle de solidarité.

Une telle allocation constitue une forme d’impôt négatif : il s’agit d’assurer un continuum socio-fiscal avec l’impôt sur le revenu, mais aussi les cotisations sociales. Cela renforce la nécessité de l’individualisation qui est désormais possible pour l’IRPP, avec le taux individualisé.

L’intégration d’une part « enfant », se substituant à la fois aux allocations familiales et au quotient familial permettra de mettre fin à l’injustice résultant du cumul des deux prestations pour les ménages aisés. Même si cet effet de « courbe en U » a été largement atténué avec la modulation des allocations familiales, il n’en reste pas moins que, pour des raisons uniquement symboliques, les ménages les plus aisés continuent de percevoir une prestation faible dont ils n’ont guère besoin, mais qui reste couteux pour les finances publiques, alors qu’ils bénéficient d’un avantage beaucoup plus important avec le quotient familial et ce dès le premier enfant, et que, pour des raisons natalistes, les allocations familiales ne sont versées qu’à compter du deuxième enfant. La suppression de ce cumul d’avantages permettra de financer largement l’attribution de la part « enfant », dès la première naissance.

Cette allocation universelle de solidarité doit permettre de faire face aux besoins fondamentaux. De ce point de vue le montant de base de l’allocation (actuel RSA) doit être revalorisé au minimum au niveau de 50% du Smic, comme l’était le RMI à sa création et comme le réclame le collectif Alerte. De ce point de vue l’intégration des allocations logement s’impose, non pour en profiter pour en baisser le montant comme le prévoyait le projet de revenu universel d’activité, mais pour moduler davantage la part « logement » en fonction des charges réelles supportées, ce que ne fait plus depuis longtemps le zonage des montants des AL.

De façon générale une telle allocation présente l’avantage d’être beaucoup plus modulable que les dispositifs actuels. C’est le cas, par exemple, pour la part « handicap » qui se substituerait à l’actuelle AAH, allocation aux adultes handicapés : il faut aujourd’hui un taux de handicap de 80 % pour en bénéficier, ce qui constitue un effet de seuil, ou plutôt couperet, pour ceux dont le taux n’atteint pas ce taux. Une part « handicap » pourra donc être modulée en fonction du taux de handicap[5] et donc compenser tous les  handicaps, et non seulement les plus lourds, ce que ne permet pas l’actuelle AAH.

Pour résumer, cette allocation universelle de solidarité serait constituée :

  • D’une allocation de base (se substituant au RSA, mais aussi à l’ASS)
  • D’une part « enfant » dès le premier enfant (se substituant aux allocations familiales)
  • D’une part « logement » (se substituant aux allocations logement)
  • D’une part « handicap » (se substituant à l’AAH)
  • D’une part « activité » (se substituant à la prime d’activité)

Ces différentes parts feront l’objet, conformément à la notion d’impôt négatif, de déductions fiscales équivalentes sur l’impôt (IRPP et CSG), se substituant à un certain nombre de déductions actuelles, notamment :

  • Le quotient conjugal, puisque l’allocation, comme l’impôt seront individualisés
  • Le quotient familial, auquel se substituera la part « enfant »[6]
  • La déduction pour frais professionnels, dispositif particulièrement injuste et dont la suppression au profit de déductions solidaires contribuera à financer le dispositif.

Cette continuité socio-fiscale permettra de rendre lisible et visible la solidarité sur ces fonctions essentielles, puisque tout le monde bénéficiera du système, soit sous la forme d’une allocation, soit sous la forme de déductions fiscales, et donc de redonner un sens concret à la solidarité.

Socle de base et non filet de sécurité subsidiaire des dispositifs d’assurance sociale, comme l’est l’actuel RSA, l’allocation universelle de solidarité ne se substituera pas à eux comme le proposent les néo-libéraux pour faire de la place aux assurances privées, mais ceux-ci viendront la compléter, ce qui diminuera d’autant la charge financière et contribuera, là aussi, à financer l’allocation universelle. C’est le cas pour la retraite par exemple, l’allocation universelle se substituant aux différents minima actuels, sans recours sur succession comme c’est le cas encore pour le minimum vieillesse. De la même façon, les allocations chômage viendront compléter ce dispositif accessible à tous, ce qui permettra de l’étendre à d’autres professions par des dispositifs spécifiques, et non par extension du régime des salariés. Le même raisonnement s’applique aux dispositifs d’assurance invalidité ou de réparation des accidents du travail et de maladies professionnelles, qui viendront s’ajouter à la part « handicap » accessible à tous.

Un tel dispositif est aujourd’hui techniquement possible en s’appuyant sur ce qui a été mis en place pour le prélèvement à la source. Celui-ci permet désormais, pour la quasi-totalité des revenus, d’avoir une connaissance en temps réel, et ce de façon automatique, sans qu’il soit nécessaire de déclarer, mais uniquement de valider les déclarations, et, le cas échéant de les compléter ou de les corriger. Cela devrait permettre de régler, sous réserve d’un investissement dans l’inclusion numérique[7], la question de l’accès au droit et de dépasser la question de la quérabilité des prestations, puisque les déclarations seront pré-remplies de façon automatique.

Il n’est pas nécessaire pour cela de fusionner les services des impôts et les Caf, mais de renforcer les échanges d’informations entre les deux organismes[8], de façon à ce que les Caf puissent payer quand l’impôt est négatif, et les services fiscaux prélever quand il est positif. En revanche, il faudra unifier le système déclaratif, avec un formulaire socio-fiscal unique pour l’IRPP, comme pour l’allocation universelle de solidarité.

Ce dispositif d’impôt négatif permettra aussi de stabiliser le montant versé sur un an, ce qui évitera les variations régulières des prestations sociales qui peuvent être source de difficulté pour les ménages précaires, avec une régularisation à la hausse ou à la baisse, après la déclaration, comme c’est le cas désormais pour l’IRPP.

Cette fusion de l’IRPP et des prestations sociales et familiales favorisera l’articulation avec d’autres prestations. C’est le cas pour les dispositifs d’aide à la garde des enfants qui, là aussi se traduisent par des dispositions fiscales différentes des prestations sociales. Elle pourra aussi être articulée avec le dispositif de sécurisation du paiement de pensions alimentaires inspiré du système québécois[9], et que le gouvernement d’Edouard Philippe n’a pas souhaité mettre en place.

Ce dispositif socio-fiscal permettra aussi d’intégrer de nouvelles prestations environnementales, d’un côté sous formes de prestations, de l’autre sou forme de déduction fiscale. Par exemple les actuelles déductions fiscales.

C’est en ce sens qu’il constitue le socle d’un régime universel de sécurité sociale et non un filet de sécurité comme c’est le cas des minimas sociaux actuels.

Daniel Lenoir, le 21 octobre 2020

 

[1] C’est le cas quand une augmentation du revenu d’activité conduit en même temps  à une diminution des aides au revenu (donc de l’impôt négatif), et un accroissement des prélèvements fiscaux ou sociaux (donc de l’impôt positif).

[4] https://www.alerte-exclusions.fr/sites/default/files/Fichiers/Publications/190719%20contribution_alerte_-_19_juillet_2019.pdf

[5] Bien sûr, cela nécessite une refonte totale du barème, ou plus précisément des barèmes des différents dispositifs d’évaluation du handicap, de façon à leur substituer un barème unifié.

[6] Part « enfant » qui pourra être forfaitaire, ou proportionnel au revenu et plafonnée, comme l’est actuellement le quotient familial.

[7] Voir le travail effectué par Emmaüs connect.

[8] En revanche, cela nécessite un identifiant unique, différent du Nir, pour les deux organismes.

[9] Proposé par Terra Nova. Cf. Daniel Lenoir « Pensions alimentaires : en finir avec les impayés », mars 2019. https://tnova.fr/notes/pensions-alimentaires-en-finir-avec-les-impayes

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