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Le handicap de l’enfant : un impensé de la politique du handicap

« Améliorer et simplifier la compensation du handicap pour les enfants »: c’est le titre du rapport que j’ai remis au gouvernement en préparation de la Conférence nationale du handicap  (CNH). Cela a été pour moi l’occasion de réfléchir à un sujet  que j’ai été amené à côtoyer à plusieurs reprises dans mes activités professionnelles, non seulement à la Cnaf (mais aussi par exemple comme DG d’une Agence régionale de santé, ou quand comme DG de la Mutualité fonction publique (MFP) je supervisais le centre de La Gabrielle, et donc le magnifique travail qu’y fait depuis vint-trois ans Bernadette Grosyeux avec ses équipes) : le handicap des enfants ; sujet sur lequel je n’avais jamais eu l’occasion de me pencher réellement. Je ressors de quelques six mois de compagnonnage avec cette question du handicap des enfants, en compagnonnage avec Hervé Droal, trois constats que je voulais développer ici.

1. Un impensé de la politique du handicap.

C’est mon premier constat : la compensation du handicap pour les enfants est un impensé de la politique du handicap ; non pas un manque d’intérêt ou d’attention des pouvoirs publics, mais un impensé. Même avant la grande loi de 1975 et la création de l’allocation d’éducation spéciale (AES, devenue depuis AEEH, allocation d’éducation de l’enfant handicapé), des politiques publiques ont été développées à destination des enfants et des jeunes en situation de handicap, mais avec une difficulté à les placer dans ce cadre conceptuel.

En témoignent les hésitations terminologiques et les difficultés à trouver « les mots pour le dire » qui ont jalonné ces politiques. Dès 1909, l’Éducation nationale met en place pour les enfants qu’on considère comme « arriérés » des classes de perfectionnement qui constituent les prémices de ce qui deviendra l’éducation spéciale, qui reste la terminologie de la loi de 1975. Dans les années trente se développe le concept d’enfance inadaptée. Ce n’est qu’avec la loi de 2005 que le terme de handicap va s’imposer pour les enfants (ce moins de vingt ans).

Impensé aussi car la notion de handicap, qui ne s’est d’ailleurs pas imposée facilement, a été élaborée par référence aux adultes, au moment où les causes, lésions, pathologies ou troubles, en sont stabilisées, consolidées, et permettent de mesurer le retentissement fonctionnel.

On a plus de mal à penser un handicap qui se développe, plus ou moins, en même temps que l’enfant se développe lui même, qu’il s’agisse des pathologies, lésions ou troubles sous-jacents, ou de leur retentissement fonctionnel. Ce que, par exemple, la grille d’éligibilité de la PCH n’a pas su prendre en compte. Notion complexe par construction, la période de l’enfance en accroit la complexité.

Ce qui caractérise également l’enfant, c’est qu’il est, au moins jusqu’à sa majorité, sous la responsabilité de ses parents. Notion d’abord juridique, mais également économique, et qui a conduit au développement des aides sociales et fiscales aux familles qui ont des enfants, dont on peut noter l’absence de cohérence d’ensemble. Notion affective surtout, qui ne s’arrête pas non plus à la majorité, mais dont on sait aussi que le handicap modifie les formes de l’attachement des parents à l’enfant.

Impensé donc, et ce n’est probablement pas un hasard si la remarquable encyclopédie des savoirs sur le handicap coordonnée par Charles Gardou, ne comporte pas d’entrée « enfance ». De façon très immédiate, et médiatique, on parle beaucoup plus des handicaps des personnes âgées, la dépendance, que de celle des enfants.

2. Un véritable imbroglio administratif et médical pour les parents

« L’annonce du handicap d’un enfant, c’est comme une explosion nucléaire dans une famille ». Ce verbatim recueilli lors des groupes focus organisés en collaboration avec le CafLab, résume un constat largement documenté de l’impact du handicap sur les processus de parentalité. On sait d’ailleurs que le handicap de l’enfant peut être une cause de rupture du couple et que la part des familles monoparentales (le plus souvent une mère avec un ou plusieurs enfants) est plus important dans celles qui ont un enfant handicapé (d’autant plus qu’il leur est souvent plus difficile à la mère de retrouver un autre conjoint).

Au traumatisme vécu par la famille qui a à faire face à une situation particulièrement complexe à gérer, les prise en charges publiques ont ajouté une complexité administrative qui a atteint un summum avec l’institution du droit d’option entre les compléments de l’AEEH et la PCH en 2008.

Là encore, il n’y a pas particulièrement de mauvaises intentions, au contraire. Cette complexité des parcours administratifs (et médicaux) n’est que le reflet de la complexité de la notion de handicap elle-même. Mais la sphère publique n’a pas non plus su, malgré la création des MDPH en 2005, rendre plus fluide ce parcours que les parents décrivent, de façon assez stéréotypée, comme « un parcours du combattant ».

Il y a à cela plusieurs raisons. Il s’agit d’abord d’un parcours administratif et médical : tout commence par le médecin, qui, sur la base des signalements divers, va être amené à faire le diagnostic des lésions, pathologies ou troubles qui sont la cause du handicap. Or on sait la faible compréhension que le système sanitaire a de la question du handicap et la coupure institutionnelle, mais aussi quasiment épistémologique, entre le médical et le médico-social.

Au dédale administratif s’ajoute donc le dédale médical, et c’est ce qu’expriment massivement les parents consultés. Administratif car l’accès à des prestations nécessite de respecter des procédures administratives dont personne ne conteste le principe, mais qui s’avèrent particulièrement lourdes.

Le numérique devrait permettre de mieux gérer cette complexité, à condition, bien sûr que ce soit un numérique accompagné. Le numérique allège, simplifie, et sécurise la tache de ceux, administratifs ou soignants, qui sont amenés à accompagner, en aucun cas, il ne peut se substituer à eux.  Il peut fournir aux médecins des outils en ligne, pour aider au diagnostic et faciliter les démarches administratives : osons le mot, ce n’est pas un gros mot, il permet d’augmenter la productivité du travail médical, donc de libérer du temps médical, mais, bien sûr, il ne remplacera pas le médecin. Il en est de même pour le travail administratif avec la possibilité de faire des déclarations en lignes, et de ne communiquer qu’une fois les informations sur un sujet.

En tous cas, ce sujet comme d’autres illustre la nécessité d’un investissement important dans les outils numériques, mais aussi dans l’accompagnement, dans une logique d‘inclusion numérique.

3. Organiser des parcours qui permettent le développement des capacités : vers une logique d’investissement social.

La notion de compensation, comme celle de couverture de risque, correspond à la vision traditionnelle de l’État providence. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le développer ici, il faut dépasser cette vision traditionnelle de la protection sociale, pour la compléter, dans une logique d’investissement social, avec celle de développement des capacités et de résilience :  l’État providence marche sur deux des pattes de la quadrupède matrice stratégique « risque/opportunité, handicap/atout ».

Le handicap, notamment celui des enfants, est également largement absent des travaux relatifs à l’investissement social. Ainsi l’ouvrage sur « L’investissement social, quelle stratégie pour la France » ne comporte pas d’entrée « handicap », à côté de celles relatives à la petite enfance, la jeunesse, la pauvreté, la formation ou l’égalité femmes hommes.

 

Pour illustrer le raisonnement, j’ai souvent pris l’exemple du dépistage précoce de la surdité dont j’avais, sur la proposition du conseil scientifique, lancé l’expérimentation à la CnamTS : on ne peut pas réellement soigner, du moins guérir, la perte d’audition d’un enfant né sourd ; mai un diagnostic effectué suffisamment tôt permet d’en diminuer considérablement les conséquences, à la fois fonctionnelles, mais aussi sur le développement cognitif, et diminue d’autant le besoin de compensation.

C’est une bonne illustration de l’investissement, par référence aux travaux d’Amartya Sen, dans le développement des capacités (« capabilities »), mais cela nécessite de repenser totalement nos organisations, mais aussi la philosophie même de notre système de protection sociale.

Pour ce qui concerne le handicap des enfants, il s’agit, par une meilleure organisation des parcours de soins, et une meilleure articulation avec le parcours administratif, d’engager la détection et la prise en charge la plus précoce possible, de façon à traiter le plus tôt possible la pathologie sous-jacente, et à en diminuer les conséquences, mais aussi à développer le mieux possibles les capacités restantes comme les capacités de résilience.

C’est cette philosophie qui a inspiré l’ensemble des propositions que j’ai été amené à faire dans ce rapport.

Paris, le 23 juillet 2019.

 

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