Avec un taux de pauvreté et des inégalités en forte hausse, le dernier rapport de l’Insee révèle l’échec des politiques publiques à endiguer les précarités.
« Le taux de pauvreté augmente fortement (15,4 % après 14,4 % en 2022) et atteint son niveau le plus élevé depuis 1996, année où débute la série », annonce l’Insee dans une note publiée le 7 juillet*, d’aucuns y voyant l’échec de l’ambitieuse « stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté » qu’avait présentée Emmanuel Macron à l’occasion de la Journée mondiale du refus de la misère le 17 octobre 2018.
La note de l’Insee n’est pas un nouveau rapport sur la pauvreté, mais le résultat pour 2023 de l’enquête annuelle sur les revenus fiscaux et sociaux, qui repose sur les déclarations qui servent au calcul de l’impôt sur le revenu et des aides des caisses d’allocations familiales. Ce qui frappe, c’est d’abord l’augmentation des inégalités. Si le niveau de vie médian – non la moyenne mais celui en dessous duquel vit la moitié de la population – augmente modérément – un peu moins de 1 % d’une année sur l’autre – pour atteindre 2 150 € par mois pour une personne, le revenu moyen des 10 % les plus riches augmente, lui, de 2,1 % quand celui des 10 % les plus pauvres diminue de 1 %. Résultat, l’indice de Gini, qui mesure ces inégalités, est revenu au niveau qu’il avait atteint à la fin des années Sarkozy.
Commençons par le haut : les plus riches ont vu leur revenu augmenter, notamment du fait de la croissance importante des revenus financiers – eux-mêmes beaucoup moins taxés que les autres revenus depuis 2018, avec l’instauration de la flat tax –, et ont bénéficié, de surcroît, de la dernière phase de suppression de la taxe d’habitation sur la résidence principale, qui, en 2023, a concerné les 20 % de foyers fiscaux les plus aisés.
Mécaniquement, ceci élève le seuil de pauvreté, fixé à 60 % du revenu médian, qui augmente donc de près de 1 % d’une année sur l’autre pour atteindre 1 288 € par mois et par personne. Résultat, les pauvres sont en moyenne un peu moins pauvres ou, pour reprendre la terminologie des statisticiens, on assiste à un « léger recul de l’intensité de la pauvreté ». En revanche, le taux de pauvreté, lui, augmente de près de 1 point, pour atteindre, avec 9,8 millions de personnes, 15,4 %. Encore ce chiffre n’intègre-t-il pas les personnes sans abri, ou en institutions – comme les personnes âgées ou handicapées –, ou encore les étudiants : on estime que le nombre de pauvres est de 2 millions de plus.
Les causes de cette évolution sont multiples : baisse de revenu des travailleurs pauvres, notamment des microentrepreneurs, arrêt des mesures exceptionnelles pour protéger le pouvoir d’achat des ménages, baisse relative des allocations logement et diminution du nombre de leurs bénéficiaires, réforme de l’assurance chômage…
Les plus touchés par cette pauvreté croissante sont ainsi les chômeurs, pour 36,1 % d’entre eux ; mais aussi les familles monoparentales – dans l’immense majorité des cas des « mamans solos » –, pour 34,3 % d’entre elles ; et, par voie de conséquence, les enfants eux-mêmes, pour 21,9 % d’entre eux. Le comble car ces derniers étaient la cible principale du plan de 2018 : lutter contre la pauvreté des enfants, c’était un moyen de lutter contre la reproduction de la pauvreté. Échec de ce plan ? Non, abandon plutôt. Car les vingt et une mesures du plan pauvreté, qui constituaient une forme d’investissement social, ont été toutes plus ou moins abandonnées, comme, par exemple, l’accès des jeunes enfants pauvres à des modes d’accueil collectifs tels que les crèches.
« On met un pognon de dingue dans des minima sociaux, les gens ils sont quand même pauvres. On n’en sort pas. Les gens qui naissent pauvres, ils restent pauvres. Ceux qui tombent pauvres, ils restent pauvres. On doit avoir un truc qui permette aux gens de s’en sortir. » On se souvient de la déclaration provocatrice d’Emmanuel Macron en juin 2018. Certes, la pauvreté ne peut se ramener à la seule pauvreté monétaire, mais c’en est la première cause et la première manifestation. Pas de lutte contre la pauvreté sans un revenu minimum qui couvre les besoins essentiels, condition nécessaire, même si elle n’est pas suffisante, de l’éradication de la pauvreté : c’était l’ambition du revenu minimum d’insertion mis en place par Michel Rocard, devenu RSA depuis.
Mais vit-on avec une prestation qui, avec 646,52 € pour une personne seule, ne représente que la moitié du niveau de vie du seuil de pauvreté ? Alors que les associations de solidarité ne cessent de réclamer son augmentation, le programme de revalorisation mis en place pendant le quinquennat Hollande sous l’impulsion de François Chérèque a été abandonné. De surcroît, une condition supplémentaire vient d’être ajoutée, avec une obligation d’activité minimale de 15 heures qui va conduire à augmenter encore un non-recours qui concerne déjà un tiers des bénéficiaires potentiels.
À défaut d’une augmentation significative, c’était l’objectif du projet de revenu universel d’activité (RUA) que de simplifier l’ensemble des prestations et de lutter contre ce non-recours, un projet dont le nouveau directeur général de l’Insee était le rapporteur… dont tous les rapports ont finalement été enterrés.
Daniel Lenoir
* Niveau de vie et pauvreté en 2023 – Insee Première n° 2063 (www.insee.fr/fr/statistiques/8600989)
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