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Pensions alimentaires : en finir avec les impayés (suite)

La sortie de la note que j’ai rédigée pour Terra Nova a déclenché un certain nombre de polémiques sur les antennes et sur les réseaux sociaux où je suis accusé de vouloir « dépénaliser » le non paiement des pensions alimentaires, et même de soutenir les « masculinistes ». Une accusation qui ne repose sur aucun fondement et pourrait quasiment relever de la diffamation, car on ne trouvera nulle part un propos de ma part tendant à excuser le non paiement des pensions, ni, plus généralement, les violences faites aux femmes. Et le non paiement relève évidemment de celles-ci, quand le parent gardien est la mère, ce qui est, on le sait, l’immense majorité des cas. Mais là n’est pas mon propos ici, car cette accusation, même non fondée, m’a amené à préciser ma pensée sur la place des procédures pénales dans le respect de l’obligation de paiement de la pension.

Il faut d’abord rappeler que le non paiement est d’ores et déjà sanctionné par le code pénal, comme une forme d’abandon de famille : en effet, avant même d’être une violence à l’égard du parent qui en a la garde, le non paiement de la pension est d’abord une violence à l’égard de l’enfant lui-même et l’article 227.3 du code pénal (1) puni ce délit (2) de deux ans de prison et de 15 000 € d’amende au bout de deux mois (plus que le délit de non présentation d’enfant). On pourrait, bien sûr le sanctionner davantage, et j’y suis, pour ma part, favorable, comme je l’ai indiqué dans mon interview au Nouvel Obs, de façon à ce que l’effet dissuasif soit effectif, mais il faut surtout pour cela que ces procédures soient engagées et aboutissent quand la volonté de non paiement est manifeste. Même si je n’ai pas trouvé d’étude documentée sur le sujet, force est de constater que ce n’est pas suffisamment le cas, et que cette sanction pénale potentielle, d’ailleurs peu connue, n’a pas l’effet dissuasif escompté. On peut penser que les mêmes obstacles qui conduisent les mères à hésiter à engager les procédures de recouvrement forcé à l’encontre de leur ex-conjoint, existent également quand il s’agit d’envoyer les pères défaillants devant le juge pénal. Sans compter la longueur, la lourdeur et le coût d’une procédure pénale dont le résultat est toujours incertain et qui, si elle devait être généralisée, conduirait à accroitre la surcharge des tribunaux.

Si l’on transpose à la France les chiffres québécois, ce sont probablement un peu moins de 5% des débiteurs défaillants qui sont passibles des procédures pénales. Dans ces cas là d’ailleurs, et notamment pour ceux des débiteurs qui ont organisé leur insolvabilité, la procédure de recouvrement est inefficace, et il faudrait que la procédure pénale soit engagée systématiquement pour qu’elle ait un effet d’exemplarité.

Le dispositif de paiement automatique peut permettre de cibler sur ceux-là les procédures pénales. L’Agence pourrait ainsi, une fois constaté le retard de deux mois, assister la créancière (ou le créancier) pour engager les procédures pénales, voire, ce qui serait plus efficace, se substituer à elle pour les engager elle-même, ce qui, dans ce cas lui redonnerait son effet dissuasif.

Paris, le 11 mars 2019

 

Addendum

Je complète ce papier pour répondre à un argument, moins important sur le fonds, qui a été également opposé à ma note : le fait qu’il vaudrait mieux confier le recouvrement au Trésor public, en clair au fisc, au motif, surprenant pour celles qui se présentent comme des féministes, que celui-ci serait plus masculin que de trop féminines Caf, et donc plus en mesure de faire plier les mâles récalcitrants.

Sur le fonds, c’est tout à fait possible : c’est d’ailleurs ce qu’on fait les québécois, et ma note n’interdit pas cette solution. En terme de bonne administration en revanche ce serait une erreur dès lors que la fonction a été développée au sein de la branche famille, après d’ailleurs qu’un rapport de la Mission nationale de contrôle de la Sécurité sociale ai mis en cause la faible efficacité des Caf dans le recouvrement de l’allocation de soutien familiale recouvrable. De son côté le fisc n’a lui même non plus jamais fait de réels contrôles pour rapprocher les pensions déclarées versées des pensions déclarées reçues. Surtout les Caf peuvent, ce que ne peut pas faire le fisc, verser, en cas de non paiement l’ASF recouvrable, ou en cas de pension alimentaire trop faible l’ASF complémentaire, ce qui permet au parent créancier de bénéficier dans ces deux cas du filet de sécurité de la pension alimentaire minimale.

Quant aux moyen juridiques de recouvrement dont dispose l’Agence, ils ont été considérablement renforcés avec la loi de 2016, et sont comparables avec ceux dont dispose le fisc. Ils pourraient probablement être renforcés, notamment pour le recouvrement à l’étranger, et complétés par une coopération plus étroite avec l’administration fiscale (que j’avais d’ailleurs engagée), comme elle se fait déjà pour le contrôle du paiement des prestations. Les premiers chiffres disponibles montrent en tous cas que ces moyens ont renforcé l’efficacité de ces procédures, et que le principal problème est surtout le faible niveau de recours des victimes du non paiement. Ce à quoi cherche d’abord à répondre ma propositions.

Paris, le 12 mars 2019

 

Addendum :

Le Conseil constitutionnel a finalement décidé d’annuler la disposition permettant l’expérimentation de l’actualisation par les Caf du montant de la pension alimentaire dans certaines circonstances. Pour autant, contrairement à ce qui a pu être dit ou écrit ici ou là, cela ne remet pas en cause le raisonnement développé ici, comme dans ma note pour Terra Nova :

  • d’une part l’argument ne porte pas sur la remise en cause du caractère pénal du non paiement de la pension alimentaire, mais sur l’impossibilité pour les Caf, en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, de remettre en cause les décisions de justice ;
  • d’autre part, et ce faisant, le conseil constitutionnel ne fait qu’invalider une disposition qui allait au delà de mes propositions, puisqu’il s’agissait pour moi, par parallélisme des formes, de permettre une validation par la Caf d’une actualisation du montant de la pension, par accord des parties, et sous réserve d’un montant minimum fixé par barème, comme c’est le cas pour la fixation du montant initial.

Paris, le 10 avril 2019

 

 

(1) « Le fait, pour une personne, de ne pas exécuter une décision judiciaire ou une convention judiciairement homologuée lui imposant de verser au profit d’un enfant mineur, d’un descendant, d’un ascendant ou du conjoint une pension, une contribution, des subsides ou des prestations de toute nature dues en raison de l’une des obligations familiales prévues par le titre IX du livre Ier du code civil, en demeurant plus de deux mois sans s’acquitter intégralement de cette obligation, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »

(2) Contrairement à ce qui est affirmé ici ou là (et bien sûr sous réserve de l’appréciation du juge constitutionnel), la possibilité pour la Caf d’actualiser le montant de la pension qui doit être expérimentée dans le cadre de la loi « Réforme de la justice » ne modifie en rien la nature de l’obligation, ni ne modifie la qualification pénale de son non respect.

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