Chantiers, Sur le fil

Pour une politique familiale et sociale ambitieuse et moderne.

J’ai décidé de publier les notes confidentielles (du moins celles que j’ai pu retrouver) adressées aux candidats ou aux gouvernements. Celle-ci l’a été au gouvernement nommé par Emmanuel Macron en juin 2017. Je n’ai pas retrouvé la date exacte de la publication. Je n’ai corrigé que quelques fautes d’orthographe qui avaient échappé à ma vigilance.

Confidentiel

Pour une politique familiale et sociale ambitieuse et moderne

La politique familiale et sociale a fait l’objet de peu de débats lors de la campagne présidentielle (et moins encore pendant la campagne législative), tous marqués par une critique plus ou moins explicite du quinquennat précédent : demande de retour à l’universalité des allocations, non atteinte de l’objectif de création de 100 000 places de crèches, critique du décalage du paiement de la prime à la naissance, du dispositif de partage du congé parental …  A contrario, les quelques beaux succès qu’ont été la garantie des impayés de pensions alimentaires ou la prime d’activité (sauf la proposition de la majorer de 50 % portée par E. Macron) ont été assez peu commentés et valorisés. Comme d’ailleurs la contribution de la branche famille au retour à l’équilibre des comptes sociaux[1], et à l’abaissement des charges des entreprises, puisque celui-ci a reposé sur une baisse des cotisations familiales autant que sur la CICE. Pour autant le débat sur les politiques familiale et sociales risque de revenir à l’occasion de la publication de deux rapports de la Cour des comptes consacrés à ce sujet[2].

Plutôt que de revenir en arrière, il est possible de proposer, sur la durée du quinquennat, une politique à la fois moderne, ambitieuse et économe en deniers publics, répondant aux besoins des familles d’aujourd’hui et améliorant l’accueil des enfants, tout en envoyant un message positif à la jeunesse.

Mettre en place un service universel d’accompagnement du jeune enfant

Avec le plafonnement du quotient familial, la modulation des allocations familiales a permis de mettre fin aux effets anti-redistributifs du système pour les trois derniers déciles, comme l’a montré une étude de la Cnaf[3]. De surcroit, la modulation des allocations familiales, qui avait pourtant été fortement critiquée par les mouvements familiaux (Familles pour tous et Sens commun, mais aussi Unaf) comme par les partenaires sociaux, a été plébiscitée par les français[4], comme le montre un sondage du Credoc réalisé récemment  à la demande de la Cnaf[5]. Ce dispositif a permis d’économiser près de 800 millions d’Euros de dépenses pour la branche famille, et contribué ainsi significativement à l’équilibre des finances sociales.

Pour les familles, en couple ou monoparentales, qui disposent de plus de 6000 € ou de 8000 € de revenu mensuel, le problème n’est pas de toucher un montant plus élevé d’allocation familiale, mais bien de pouvoir concilier vie familiale et vie professionnelle et de trouver des réponses aux questions qui  se posent à elles en matière d’exercice de la parentalité. Dans ce domaine, l’accès à des services d’accueil pour la petite enfance et pour l’enfance est prioritaire, comme également le développement de politiques d’entreprises favorables à l’exercice de la parentalité.

Par ailleurs, et contrairement à une idée reçue, la modulation des allocations familiales n’a pas remis en cause le principe de l’universalité des allocations familiales. En revanche l’universalité n’existe pas dans certains domaines : elle ne couvre l’enfant qu’à partir du deuxième enfant, il reste difficile pour de nombreuses familles de trouver une solution d’accueil pour leurs enfant de moins de trois ans, comme d’ailleurs de concilier vie familiale et vie professionnelle.

Une allocation familiale dès le premier enfant

Les allocations familiales ne sont versées qu’à compter du deuxième enfant (sauf dans les Dom) et ce pour des raisons historiques liées à la vocation nataliste des allocations familiales. En revanche, et pour les mêmes raisons, elles sont majorées à compter du troisième enfant. Ces dispositions, notamment la première, sont mal comprises et en grande partie dépassées, notamment pour les familles monoparentales, qui sont souvent des familles avec un seul enfant. C’est, fondamentalement,  une  entorse au principe d’universalité, et ce bien plus que la modulation, puisque les enfants ne peuvent être couverts par une allocation familiale que s’ils sont au moins deux.

En revenant sur  les majorations à compter du troisième enfant, le coût de l’extension des  allocations au premier enfant, donc le fait de rendre universelle les allocations familiales dès le premier enfant, est de l’ordre de 700 millions d’€, sans compter la diminution des sommes versées sur d’autres prestations comme la prime d’activité ou le RSA. C’est-à-dire le même ordre de grandeur que celui de l’économie générée par la modulation : la branche famille étant prévue pour redevenir excédentaire dans les prochaines années, cet effort pourrait être financé sans difficulté, et sans mettre en péril l’équilibre des finances publiques, par la branche. Sans les cibler particulièrement, c’est une mesure à fort impact pour les familles monoparentales, souvent avec un seul enfant [6].

             – Un service universel d’accueil du jeune enfant

L’argument de l’universalité développé par les opposants à la modulation, pourrait être retourné,  pour la petite enfance, en affichant la mise en place d’un service universel de la petite enfance.

Malgré la volonté affichée, le quinquennat précédent n’a pas permis d’augmenter de 275 000 la capacité d’accueil du jeune enfant comme c’était prévu dans la COG avec la Branche famille, dont  100 000[7] en accueil collectif.

Ce service universel qui garantirait à toute famille de disposer d’un droit à l’accueil pour leurs enfants de moins de trois ans, reposant  sur une forme de droit opposable comme l’a fait l’Allemagne dans le cadre du gouvernement de coalition et ayant permis d’ouvrir près de 400 000 places de crèches en 10 ans[8] .

Ce service universel de la petite enfance serait aussi un puissant moyen de lutter contre la reproduction des inégalités sociales[9] .

             – Un vrai congé parental partagé, développé dans le cadre de négociations dans les entreprises

La réforme du congé parental est un des grands échecs du quinquennat précédent avec la mise en place de la  Prépare, qui conduisait à partager un congé de 3 ans peu rémunéré, entre les deux membres du couples. Cette réforme a permis de réaliser de réelles économies sur le congé parental (300m€[10]), ce qui était l’un des objectifs sous-jacents mais non affiché, mais n’a pas réglé les questions de fonds : partage réel du congé, puisque le recours par les pères reste marginal, éloignement trop long des femmes du marché du travail,

On sait qu’un vrai congé parental partagé, est un congé court, correctement rémunéré, comme l’ont fait historiquement les pays scandinaves, et comme l’a développé avec succès récemment l’Allemagne.

Ainsi, un congé de deux fois trois mois, pour un couple biactif (de trois mois donc, si un seul membre du couple est actif, ou pour une famille monoparentale), rémunéré à hauteur des allocations chômage aurait un coût légèrement supérieur à l’enveloppe actuelle de la Prépare (1,5 Mds €, contre 1,3 Mds € en 2017), surcoût qui pourrait vraisemblablement être compensé par les effets sur la prime d’activité, sur les cotisations retraite, et les prestations chômage.

Un tel congé parental pourrait faire l’objet d’un complément, comme pour les indemnités maladie, dans le cadre d’accords d’entreprises, ou de branches. Compléter les dispositifs de la branche par des engagements complémentaires des entreprises est particulièrement important pour que celles-ci continuent à être impliquées dans la politique familiale.

Moderniser les prestations fléchées et sans condition de ressources

La branche Famille a mis en place des prestations sous condition de ressource pour faire face à certains évènements : naissance d’un enfant (prime à la naissance) et rentrée scolaire (allocation de rentrée scolaire). Sous prétexte d’économie, le versement de la prime à la naissance a été décalé ce qui a permis un gain de trésorerie en 2015, mais n’a pas fait faire d’économie réelle. Ces prestations sont par ailleurs souvent accusées de ne pas servir à financer les dépenses auxquelles elles sont destinées . Pour respecter la liberté de choix des familles garantissant le bon usage de ces aides, mais surtout pour ouvrir ces dispositifs à d’autres financements (entreprises, comités d’entreprises, associations de solidarité par exemple) ces prestations pourraient (chèque naissance et chèque rentrée scolaire) être versées sous forme de chèques dématérialisés, à l’image de chèques vacances en partenariat avec les émetteurs (groupe Up, par exemple)

Adapter la politique familiale à la diversité des familles

Les familles, depuis longtemps diversifiées, complexifiées, recomposées, sont confrontées à de nouvelles questions, notamment en matière de parentalité.

             – Investir dans l’accompagnement de la parentalité, notamment pour l’adolescence.

Depuis la fin des années 90, de nombreux dispositifs d’accompagnement de la parentalité ont été mis en place et sont financés par les Caf pour la petite enfance et l’enfance (lieux d’accueil, réseaux d’écoute, notamment) et cet effort devra être poursuivi[11],  mais il n’y a pas eu d’effort équivalent (et il n’y a pas de financement des lieux d’accueil au-delà de 6 ans)  pour les âges adolescents. L’adolescence et l’accès à l’âge adulte est un âge critique et l’est probablement de plus en plus[12] . C’est particulièrement vrai en France  au regard des autres pays européens[13] .Ces difficultés peuvent avoir des conséquences particulièrement graves (décrochage scolaire, anorexie, addictions, toxicomanie, suicide, radicalisation, par exemple) et des dispositifs spécifiques mériteraient d’être développées,  généralisées et promues auprès des parents et des adolescents Pourtant des initiatives ont été prises, telles qu’à la suite de la création de la maison de Solenn,  avec le développement du réseau de Maison des Adolescents[14], qui permet d’accompagner les adolescents et leurs parents en cas de difficultés.

On peut proposer un programme de généralisation des Maisons des adolescents reposant sur le soutien conjoint des Caf et des ARS, de façon à disposer d’un réseau complet sur l’ensemble du territoire. Le partenariat avec les Ecoles des Parents et des Educateurs pourrait aussi être renforcé. Ces écoles des parents qui proposent de la médiation familiale, des consultations de guidance parentale, des groupes de parole et d’échange, de la formation notamment, pourraient être développées  davantage sur les territoires.

Enfin, il faudrait inciter les entreprises à négocier sur le développement des dispositifs d’aide à la parentalité et de conciliation vie familiale et vie professionnelle, en développant le télétravail, les dispositifs de congés, y compris pour les aidants, par exemple (cf ci-dessous). Ce mouvement pourrait être lancé à l’occasion d’un Grenelle des temps, comme l’a proposé Jérôme Ballarin avec l’Observatoire de la parentalité en entreprise.

– Achever la réforme des pensions alimentaires, et améliorer la situation des parents après la séparation

Encore insuffisamment connue, l’une des réformes les plus importantes dans le domaine de la politique familiale du précédent quinquennat est celle du recouvrement des pensions alimentaires[15] : avec la Gipa, Garantie des impayés de pensions alimentaire, et la mise en place par la Cnaf de l’Aripa (Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires) a été instauré un dispositif qui garantit une pension alimentaire minimale (de 100,4 € aujourd’hui, le complément étant versé par la Caf), et qui assure le recouvrement des pensions alimentaires non payées pour le compte des bénéficiaires (à 95 % des femmes).

Il permet également de récupérer la part payée par les Caf en cas de non-paiement, d’améliorer l’exercice de la « coparentalité » après la séparation, de façon à ce que les débiteurs (c’est-à-dire dans la plupart des cas les pères) assurent bien leur responsabilité financière, mais puissent aussi continuer à exercer leur responsabilité parentale et éducative. Là aussi, il s’agit d’une réforme à fort impact pour les familles monoparentales, qui peut être valorisée davantage qu’elle ne l’a été par le gouvernement précédent ,  en la développant sur cinq points :

  • le premier pourrait viser l’augmentation de la pension alimentaire minimale, qui pourrait être de 50 % comme celle annoncée pour la prime d’activité, pour la porter à 150 €. Outre sur les marges dégagées par la branche famille, une partie de cette mesure peut être financée par l’amélioration du recouvrement des pensions alimentaires versées par la branche, en cas de carence du débiteur.
  • Le deuxième consisterait à améliorer le recouvrement des pensions alimentaires à l’étranger, pour lequel les dispositifs ne sont pas encore suffisamment efficaces.
  • le troisième consisterait à rendre systématique le recours à la médiation en cas de séparation, notamment pour la fixation des pensions alimentaires, dès lors qu’un barème minimal est respecté. La situation actuelle est en effet paradoxale : la médiation est appréciée, comme alternative au passage devant le juge, pour les couples qui y ont recours[16]; mais très peu l’utilisent du fait de l’insuffisance de l’offre de médiation et de l’absence d’incitation à y recourir. Ce recours systématique pourrait être expérimenté par voie législative comme c’est prévu dans la loi « Justice du XXe siècle » (et comme cela a été le cas pour la Gipa), dans une dizaine de départements où un effort de développement de l’offre de médiation pourrait être fait, de façon à être généralisée d’ici la fin du quinquennat (comme cela a été le cas également pour la Gipa).
  • le quatrième vise à renforcer la prévention et le signalement des violences faites aux femmes et aux enfants, et à protéger ceux-ci en cas de séparation.
  • le cinquième consiste à développer les dispositifs permettant au parent qui n’a pas la garde de l’enfant et a des difficultés pour continuer à exercer sa fonction parentale de le faire : espaces de rencontre, accès à une aide au logement…

 

  • Accompagner d’avantage les familles ayant à charge un enfant malade, une personne handicapée ou dépendante

Les familles ayant à charge un enfant ou un adulte handicapé, comme d’ailleurs un ascendant dépendant, sont aujourd’hui insuffisamment accompagnées, comme d’ailleurs celles qui ont à leur charge un (ou plusieurs) ascendant(s) dépendant(s). Le dispositif de congé parental constitué par l’AJPP (Allocation journalière de présence parentale)  pourrait être étendu à toutes ces situations, et amélioré et complété dans le cadre d’accords d’entreprise ou de branche, avec des garanties qui pourraient être développées sur cette base par les organismes de prévoyance. De tels dispositifs pourraient être expérimentés, et évalués dans le cadre de la politique d’investissement social développée ci-dessous.

De même pour faciliter le répit, les dispositifs d’aide à domicile pourraient être davantage ouverts à ces familles, avec des dispositifs de paiement qui pourraient favoriser la prise en charge par d’autres financeurs (entreprises, organismes de prévoyance, associations de solidarité, par exemple).

Une politique ambitieuse en direction de la jeunesse

Au-delà de l’adolescence, des mesures significatives sont également à prévoir en direction de la jeunesse, qui est apparue lors du précédent quinquennat comme « l’angle mort » de la politique familiale.

–            Rendre universel  le service civique ;

Sans le rendre obligatoire, il est possible de se donner un objectif d’accès universel au service civique, en développant la capacité d’accueil par les partenaires des Caf (Centres sociaux, CCAS, activités périscolaires, etc…) comme d’ailleurs par les structures sanitaires et médico -sociales, de façon à ce que tout jeune puisse avoir la possibilité d’accéder et de participer au service civique

–            Généraliser la garantie jeunes pour les jeunes sans emploi et sans formation ;

Le dispositif de la garantie jeunes a montré son efficacité pour la population concernée des « neets » et pourrait être généralisée, comme prévu dans la loi travail avec un partenariat avec les missions locales, et intégrée à terme dans l’allocation sociale unique.

–            Développer les dispositifs de prévention de la radicalisation

Au-delà du dispositif de prévention secondaire consistant à intervenir auprès des jeunes en voix de radicalisation il s’agit surtout de développer les actions de prévention primaire permettant d’assurer une présence éducative auprès des jeunes, notamment dans les quartier politique de la ville (développement des centres sociaux dans les quelques 350 quartiers politique de la ville où ils n’y en a pas) , ou sur les réseaux sociaux (comme « Les Promeneurs du net » en cours de généralisation et qui permette d’assurer la présence des éducateurs sur les réseaux sociaux et qui sont en cours de déploiement  par les Caf).

Une politique active de lutte contre la pauvreté et la précarité

             – Vers une allocation sociale unique

Dans le cadre des travaux du rapport Sirugue[17], du récent rapport du CESE[18] et d’un rapport à paraitre de la Cour des comptes[19], la Cnaf a simulé la mise en place d’une allocation sociale unique, qui pourrait, en s’appuyant sur le versement social unique (prévu dans le programme de E. Macron), et à l’issue d’une période de transition, tout ou partie des prestations sociales, notamment les minima sociaux, et familiales, y compris le cas échéant les allocations familiales.

Une telle allocation permettrait de garantir un revenu minimum (pas un revenu universel), en évitant les effets de seuils et de distorsion liés à la multiplicité des prestations et à leur accumulation comme l’a montré l’étude de la Cnaf [20].

L’intégration des allocations logements dans cette allocation sociale unique prend acte du fait que celles-ci sont aujourd’hui le principal minimum social, et peut aussi  mettre fin à l’effet inflationniste sur les loyers  des allocations logement, en les déconnectant du marché locatif.

L’intégration des allocations familiales, sous la forme d’un complément modulable par enfant en fonction du revenu, permettrait, dès lors que des dispositifs d’accès universel aux services, de mettre fin au versement d’une allocation familiale d’un montant limité, ceci étant compensé, pour les ménages les plus aisés, par une augmentation du quotient familial, telle que prévue dans le programme également.

Cela conduirait aussi à une intégration financière de l’ensemble des prestations (et donc, entre autre, la recentralisation du RSA) dans une « branche Famille » redéfinie et intégrant l’ensemble des dépenses consacrées à ces prestations pour suivre l’évolution des dépenses de prestations familiales et sociales.

–            Développer un réseau d’accompagnateurs pour les personnes rencontrant des difficultés personnelles ou professionnelles

Depuis le contrat d’insertion du RMI jusqu’au RSA on peut constater, malgré la volonté politique affichée, un échec relatif des politiques d’insertion. Au-delà des dispositifs institutionnels, il peut être proposé la mise en place d’un nouveau métier d’accompagnement personnel (de « coach »), différent des travailleurs sociaux dont l’intervention peut avoir un caractère stigmatisant. Destiné à accompagner les personnes faisant face à des difficultés d’insertion particulière (handicap, absence de formation, neets, durée importante de sortie de l’emploi[21]), ce métier pourrait être expérimenté et évalué dans le cadre du fond d’investissement social, en partenariat avec Pôle emploi (avec un objectif d’insertion professionnelle) et avec l’Assurance maladie et les ARS (avec un objectif de prévention des troubles psychologiques) en s’engageant sur les techniques issues des travaux les plus récents dans ce domaine ayant fait l’objet d’évaluation. Un tel réseau reposerait sur une diversité de partenaires, et pourrait être activé dans le cadre de parcours d’accés ou de retour à l’emploi.

Mettre en place un nouveau modèle prestataire pour simplifier et garantir un accès réel au droit tout en luttant contre la fraude et les abus

Dans le domaine des prestations familiales et sociales, et notamment des minima sociaux, on assiste à un paradoxe apparent, souvent sujet à polémiques : les fraudes, qui sont loin d’être négligeables, représentent toutefois des montants inférieurs aux sommes non versées du fait du non recours au droit. Le paradoxe n’est qu’apparent, car les enquêtes montrent une forte demande de la population pour que le recours au droit soit effectif, mais aussi, pour qu’il n’y ait pas d’abus de droit et qu’on lutte contre la fraude ; c’est même, dans les enquêtes, un élément essentiel du consentement à la solidarité[22]. En réalité accès au droit et lutte contre la fraude sont indissociables, non seulement pour des raisons de principe, mais aussi parce qu’ils s’appuient sur les mêmes méthodes.

Le contrôle des prestations et la lutte contre la fraude ont été considérablement renforcés depuis 2013, avec la mise en œuvre de méthodes utilisant les big data (datamining), le développement des échanges de données avec les autres administrations, par exemple, ce qui a permis de multiplier par plus de 2 le montant des fraudes récupérées (passé de 110 à 240 millions d’€ en quatre ans). Pour autant les sommes qui pourrait être récupérées grâce à un calcul exact des prestations (notamment les minima sociaux) sont supérieures à  1 Mds d’€ (dont une partie seulement sont des fraudes, plus de la moitié résultant d’erreurs, notamment de déclaration, de la part des allocataires).

De même, l’accès au droit a été considérablement amélioré depuis 2013, grâce à la mise en place de rendez-vous des droits par les Caf (plus de 250 000 par an) et une stratégie de développement du numérique, comme l’a illustré le succès de la prime d’activité, avec un recours qui, au bout d’une première année, dépasse les 70 % (contre moins d’un tiers pour le RSA activité). Pour autant, on est encore loin d’un passage d’ « un droit formel à un droit réel » pour tous et l’on sait que les freins à l’accès au droit restent nombreux.

Une stratégie généralisée d’accès au droit et de contrôle des prestations peut reposer sur les éléments suivants, qui, sont d’ailleurs aussi, au moins pour le premier, ceux qui permettront de mettre en place le versement social unique prévu au programme du Président:

–            La récupération des données de ressources auprès des payeurs (employeurs, avec la DSN, allocations chômage et maladie, notamment), de façon à pré remplir les télé déclarations (simplification et prévention de la fraude),  à calculer exactement les prestations (sécurisation financière) et à détecter des non recourant potentiels (accès au droit) ;

–            L’amplification des rendez-vous des droits, en en faisant des rendez-vous des droits et des devoirs, des droits pour l’accès au droit et des devoirs pour la prévention de la fraude, en les systématisant pour les jeunes (proposition d’Antoine Dulin), et en les élargissant à d’autres publics (notamment les non recourant potentiels) ;

–            Mise en place d’une stratégie d’inclusion numérique (des expérimentations sont en cours entre la Cnaf et Emmaüs Connect) pour permettre à tous d’utiliser dans de bonnes conditions les dispositifs de déclaration numérique (et répondre ce faisant aux critiques du Défenseur des droits, Jacques Toubon), stratégie qui intègre la densification des points d’accueil numérique (actuellement quasiment un au minimum par bassins de vie), et la généralisation des maisons de service au public, particulièrement importantes pour l’accès au droit en milieu rural, comme la création de centres sociaux dans les quartiers prioritaires de politique de la ville où il n’y en a pas (probablement au moins 25 % d’entre eux).

Depuis 2013, les Caf ont montré qu’en s’en donnant les  moyens, on pouvait renforcer considérablement l’accès au droit et que le non recours au droit n’était pas une fatalité, notamment à l’occasion de la mise [23]en place de la prime d’activité. Cette politique peut être développée et systématisée pour transformer en « droits réels », les « droits formels ». Une telle politique nécessite peu de mesures législatives, mais une orientation claire et continue pour régler tous les détails d’une réelle simplification.

Mettre en place un outil d’innovation et d’investissement social

Si l’on veut optimiser la dépense sociale et maitriser sa croissance il est indispensable de mesurer le rendement de chaque Euro investit dans les prestations et d’améliorer leur rendement. Tel est l’enjeu d’une politique d’investissement social tel qu’a pu le mettre en évidence les travaux conduits par la Cnaf notamment avec France Stratégie et l’analyse de l’expérience du « What works » britannique.

Cette politique peut reposer sur un fond d’investissement social proposé par la Cnaf permettant, à l’image du « What works[24] » britannique d’expérimenter et d’évoluer les dispositifs au regard de leur impact économique et social. La mesure pourrait porter aussi sur l’impact environnemental, de façon à ce que les politiques sociales et familiales puissent contribuer à la transition écologique.

Un tel fond aurait aussi pour objectif de relancer une dynamique d’innovation reposant notamment sur le développement des dispositifs numériques, notamment en matière d’accès aux services pour les personnes ou les la famille. A l’image du Hackathon organisé par la Cnaf il y a deux ans, l’ouverture du service (open data) pourra être poursuivie pour susciter une dynamique d’investissement dans les données (big data) permettent de développer du service nouveau.

Je suis à votre disposition pour toute précision ou approfondissement de ces sujets.

Daniel Lenoir

Directeur général de la Cnaf

Paris, le

[1]. La branche devrait être à l’équilibre en 2017, et commencer à dégager des excédents à partir de 2018 : pour 700 millions d’€, et de l’ordre de 1 milliards d’Euros en 2020

[2] . « Les réformes de la politique familiale (2008-2016) » et « Les soutiens publics aux familles : comparaisons internationales. » qui font l’objet d’un relevé d’observations provsoires.

[3] Essentiel n°155, « Les effet redistributifs des réformes récentes des politiques sociales et familiales » et sur mon blogue « Qu’est devenue la courbe en U de la politique familiale ».

[4] . 81% des français considèrent que c’est une bonne chose, dont 78% des personnes ayant les plus hauts revenus.

[5] . Credoc. « RSA, prestations familiales, accueil de la petite enfance. Etat de l’opinion en 2016. », 2017

[6].  56% des familles monoparentales ont un enfant , 30% en ont deux, 14% trois ou plus.

[7] . Il faut dire que ce chiffre ne correspond pas à 100 000 places de crèches supplémentaires, mais à 60 000, combiné avec une augmentation fictive de la capacité d’accueil.

[8] . France Stratégie, « Places en crèches : pourquoi l’Allemagne fait mieux que la France depuis 10 ans » 24 mai 2017

[9] . Cf. les travaux très co,nvergents sur ce point de l’Institut Montaigne et de Terra Nova, notamment le récent rapport de Terra Nova « Investissons dans la petite enfance. L’inégalité des chances se joue avant la maternelle » 31 mai 2017

[10]. Impact en fin de montée en charge

[11] .  « Accompagner les parents dans leur travail éducatif et de soin » Rapport du groupe de travail sur la parentalité conduit par Claude Martin, à paraître.

[12] . Voir sur mon blogue «  De la Gipa à l’Aripa, itinéraire d’une réforme »

[13] . Les ados ont une perception moins positive de leur vie que dans les autres pays européens : 39e sur 42 à 11 ans, 39e sur 42 à 13, 35e sur 42 à 15

[14] . Cf le rapport de la Mission « Bien être et santé des jeunes » (Marie- Rose Moro – Jean Louis Brison)

[15] . Voir sur mon blogue « Des adonaissants aux adulescents ».

[16] Cf le rapport sur « Les ruptures Familiales. Etat des lieux et propositions », HCF avril 2014

[17] « Repenser les minima sociaux. Vers une couverture socle commune », avril 2016

[18] Avis sur le revenu minimum social garanti. 25 avril 2017

[19] Actuellement sous forme de Relevé d’observation provisoire

[20]  . Cnaf Etudes et documents n° 191, mai 2017

[21] . Une expérimentation de ce type est actuellement envisagée, dans le cadre d’un dispositif de type contrat à impact social, avec le conseil départemental de Meurthe et Moselle, et à destination des femmes en situation monoparentale au RSA.

[22] . Voir sur mon blogue « La fraude nuit gravement à la solidarité »

[24] . ANSA “What Works Center britanniques” quels enseignements pour des politiques fondées sur la preuve en France Mars 2017

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