Sur le fil

Non, la Cnaf n’a pas rendu 523 millions d’Euros !

J’ai découvert dans un article du Parisien du 10 juillet 1, dont les informations ont été reprises par plusieurs média, que Michel Langlois, ancien administrateur de la Cnaf, avait adressé une lettre ouverte à la ministre chargée des solidarités et de la santé, Agnes Buzyn, lettre qu’il a publiée le 13 juillet sur LinkedIn, et que je joins à ce blogue ; une lettre dans laquelle il dénonce, je cite, ma « vision comptable court-termiste » et mes « errements dans la gestion des fonds qui sont confiés » à la Cnaf. Cette missive, dont je n’ai pas été destinataire, même en copie, mais qui constitue à proprement parler une lettre de dénonciation, reprend un certain nombre d’idées reçues et de contre sens, voire d’erreurs et de contre-vérités, sur les résultats de la Cog 2013-3017 en matière de développement de l’accueil de la petite enfance. C’est pourquoi j’ai souhaité répondre sur ce blogue à Michel Langlois, avec le même procédé de la lettre ouverte, mais en m’adressant directement à lui, ce qu’il n’a pas eu la courtoisie de faire à mon endroit.

 Non, Monsieur Langlois, la Cnaf n’a pas rendu 523 millions d’Euros !

Monsieur le Président honoraire,

Au début de cette semaine, des journalistes ont cherché à m’interroger sur une lettre ouverte adressée à la ministre, Agnes Buzyn, au sujet du Fnas. Cette lettre ne m’ayant pas été adressée, et n’ayant pas eu connaissance de son contenu, je n’ai pas souhaité leur répondre, J’étais loin d’imaginer que cette « lettre ouverte », que vous avez publiée depuis sur les réseaux sociaux sous le titre « Pourquoi la Cnaf rend 523 millions d’Euros », était en fait une lettre de dénonciation, publique de surcroît. Je trouve la démarche pour le moins curieuse, et ce d’autant plus qu’il n’est pas dans la tradition de l’organisation que vous représentiez au sein du Conseil d’administration de la Cnaf, d’user de procédés qui relèvent plus de l’accusation devant les tribunaux populaires, que du débat démocratique et éclairé.

Vous contestez d’abord  ma légitimité à m’exprimer sur ces sujets et sur la position du CA de la Cnaf sur la question. Je ne voudrais pas, en retour, polémiquer sur votre légitimité à intervenir sur les résultats d’une COG que vous n’avez pas approuvée, et sur les échanges au sein d’un CA dont vous avez démissionné avant que je prenne mes fonctions à la tête de l’établissement public qu’est la Caisse nationale des allocations familiales. Si cela n’avait pas été le cas, vous auriez pu constater que j’ai régulièrement rendu compte au Conseil d’administration de la Cnaf des évolutions du Fonds national d’action sociale, notamment de l’évolution des dépenses relatives à l’une des priorités de la COG, la petite enfance, que j’ai fait mienne en prenant mes fonctions puisque, comme vous le savez, les COG sont signées à la fois par le président du CA, au nom de celui-ci, et par le directeur de la caisse nationale, en tant qu’exécutif de la branche. Si je me suis exprimé, c’est bien à ce titre, et donc comme responsable, sous le contrôle du CA, mais aussi des autorités de tutelle, de la mise en œuvre des politiques qui sont confiées à la Branche dans le cadre des conventions d’objectifs et de gestion.

En prenant mes fonctions j’ai repris à mon compte l’ensemble des engagements pris par mon prédécesseur, que ce soit sur les économies de gestion 2 (engagements que je respecterai, même si le lancement de la prime d’activité en a retardé de quelques six mois le calendrier), ou que ce soit en matière d’accès au droit, comme du paiement à bon droit (sujets sur lesquels nous avons fait des progrès considérables, comme en attestent tout autant, sur le premier sujet, le taux de recours à la prime d’activité, ou, sur le second, la récente certification des comptes de la branche famille par la Cour des comptes, même s’il reste encore beaucoup à faire), ou que ce soit enfin pour le développement des services aux familles, notamment en matière d’accueil de la petite enfance, sujet sur lequel vous m’accusez de ne pas avoir mené « une politique efficace à la hauteur des besoins des familles », ou d’activités périscolaires, du fait de la réforme des rythmes scolaires.

Ce sont les dépenses programmées sur chacune de ces deux priorités qui avaient conduit le gouvernement de l’époque à prévoir sur la durée de la COG un taux d’augmentation du Fonds national d’action sociale de la branche de 7,5 % par an. Et ce sont des dépenses inférieures aux prévisions sur ces deux postes qui ont conduit à une « sous exécution » cumulée de 523 millions d’Euros fin 2016. En réalité, ce qui est imputable à la seule année 2016 est de l’ordre de 220 millions d’Euros, se répartissant, à peu prés pour moitié, entre la réforme des rythmes éducatifs et l’accueil du jeune enfant. Ce qui fait que l’augmentation du Fnas  n’a été  en 2016 « que » de 3,1 % (ce qui est tout de même bien supérieur, comme l’a souligné le récent rapport de la Commission des comptes de la Sécurité sociale, à l’évolution de la plupart des dépenses de la Sécurité sociale. Ce résultat, qui n’est certes pas à la mesure des ambitions initiales, est dû, notamment, en 2016, à l’annulation, en fin d’année, de nombre de projets municipaux, voire départementaux, en particulier dans le département dont vous étiez le président du CA de la Caf, la Seine Saint Denis, et en aucun cas à une politique délibérée de la Cnaf, ni d’ailleurs, dans le cas de la Seine Saint Denis, de la Caf.

Mais avant de revenir sur vos accusations, je voudrais rétablir quelques vérités comptables et financières, face à des propos démagogiques qui laisseraient penser que j’ai « annulé près d’un demi-milliard de crédits » sur la base « d’une vision comptable » et ce au détriment des « intérêts supérieurs de la Nation ».

Vérité d’abord sur ce qu’est un budget : un budget est une autorisation de dépense, et en aucun cas une obligation de dépense, comme l’illustre la métaphore classique des « camions qu’on fait tourner dans la cour de la caserne » pour dépenser inutilement l’essence qui a été budgétée, et dont on n’a pas eu besoin. C’est ce qui m’a conduit à parler de « sur dotation » sur ces lignes, car l’estimation des besoins de financement des communes par la branche s’est révélée supérieure à ce qu’elles ont exprimé dans leurs projets, que ce soit pour l’accueil de la petite enfance, ou pour l’accompagnement de la réforme des rythmes scolaires. Comme vous le savez, ce ne sont pas les Caf qui construisent les crèches, ni qui mettent en place les activités périscolaires, mais principalement les communes et intercommunalités. Or si nous avons pu répondre à tous les projets qui nous étaient présentés, et ce sans rationnement financier, pour de multiples raisons, les projets n’ont pas été aussi nombreux que ce qui avait été prévu..

Deuxième vérité : ces quelques 500 millions de non dépenses ne constituent en aucun cas une cagnotte en espèces sonnantes et trébuchantes, « un fonds de réserve et d’ajustement », que j’aurais laissé « repartir » ; comme vous le savez, la branche famille de la Sécurité sociale est, au moins encore pour cette année, en déficit. S’ils avaient été dépensés, ils seraient venus augmenter d’autant le déficit de la branche et donc de la Sécurité sociale. C’est vrai, je suis de ceux qui pensent qu’il n’est pas sain pour « l’intérêt supérieur de la Nation », notamment celui des générations futures, que la Sécu vive à crédit, et vienne alimenter la dette publique en accumulant les déficits. Ce n’est pas nouveau : je le pensais déjà pour l’assurance maladie 3, je le pense aussi pour les allocations familiales. En tout, le Fnas aura augmenté de près de 760 millions d’Euros entre 2012 et 2016 et le retour à l’équilibre de la branche aura été fait par des économies sur d’autres budgets et non sur le Fnas.

Troisième vérité : un budget (le FNPF) peut en cacher un autre (le Fnas). Dans le même temps où nous n’avons pas atteint nos objectifs en matière de création de places de crèches sur le budget du Fnas, nous avons vu se créer, de façon spontanée plus de 25 000 places de crèches dans le cadre de micro crèches, financées sur une prestation de la branche famille, le complément mode de garde (CMG), qui est une des composantes de la Prestation d’accueil du jeune enfant (Paje), financée par la branche famille sur un autre budget, le Fonds national des prestations familiales (FNPF), et qui est versé directement aux familles. Le coût, pour la branche famille de ces 25 000 places, représente une dépense annuelle de plus de 230 millions d’Euros par an, financée par le FNPF, soit quasiment le double de « l’économie »  (la non dépense) réalisée sur le Fnas.  Ces places seront bien sur intégrées dans les chiffres de l’observatoire de la petite enfance, et relativiseront le constat sur la situation comparée avec l’Allemagne, dont il faut aussi dire qu’elle est partie de beaucoup plus bas que nous.

La situation est donc bien plus complexe que ce que vous laissez entendre, et s’il y a échec, c’est plutôt celui de la stratégie sous-jacente à la COG 2013-2017, celle qui inspirait « l’esprit de ses négociateurs », et non le résultat des « errements de la direction de la Cnaf dans la gestion des fonds qui lui sont confiés ».

D’abord, je me permets de vous le rappeler, ce ne sont pas les Caf, ni, moins encore, la Cnaf, qui créent les places de crèches ; ce sont principalement les collectivités locales, et dans une moindre mesure, les associations, les mutuelles et les entreprises privées de crèches. Non seulement les taux de participation financière de la branche que j’ai appliqués sont ceux qui ont été prévus dans le cadre de la COG dont vous vous enorgueillissez d’avoir été l’un des négociateurs, mais c’est moi qui ai proposé au CA, et obtenu des pouvoirs publics, qu’on augmente le montant de l’aide à l’investissement de 2000 Euros, pour compenser en partie le fait que le cout d’un berceau ait été multiplié par deux en dix ans, selon un des constats fait dans une des études que j’ai demandées dès mon arrivée.

Ce ne sont pas non plus les Caf qui décident du recours à un mode de garde, mais les familles. Or les familles ont diminué le nombre d’heures de recours à la crèche, faisant chuter de façon catastrophique le coefficient d’optimisation qui permettait, de façon totalement artificielle, de transformer les 66 000 créations nettes de places 4 prévues dans la COG, en 100 000 « solutions d’accueil ». De même, le taux de recours à l’accueil individuel a également diminué, dans une proportion qui est à peu près équivalente à l’augmentation du taux de recours aux crèches.

Je n’en déduis pas, contrairement à ce qu’un raisonnement macroéconomique simpliste dont vous me soupçonnez pourrait laisser penser, que l’offre est suffisante pour couvrir l’ensemble des besoins, mais que la situation est contrastée selon les territoires, avec des territoires suffisamment dotés, et d’autres notoirement sous-dotés, comme la Seine Saint Denis. C’est ce qui m’a conduit à préconiser, dès mon arrivée, la préfiguration, puis la généralisation, des schémas territoriaux de la petite enfance (devenus schémas départementaux des services aux familles), proposition qui n’était pas non plus dans la COG, mais qui a été suivie par le CA de la Cnaf, comme par le gouvernement, et qui constitue, dans 86 départements à ce jour, un des acquis sur la base duquel on pourra sortir d’une approche quantitative nationale pour développer une approche réellement déconcentrée.

Ces schémas territoriaux ont aussi été l’occasion d’expérimenter, de façon pragmatique, et non en s’appuyant sur des schémas théoriques et idéologiques, un mode de gouvernance de la petite enfance qui pourra servir pour développer une nouvelle politique, reposant non pas sur l’économie administrée, mais sur une réelle régulation partenariale des initiatives des acteurs.

Dois-je vous rappeler aussi que c’est à mon initiative que la Cnaf a développé des travaux pour démontrer que l’accueil de la petite enfance répondait à des enjeux plus importants encore, d’ordre sociétal, notamment en matière de lutte contre les inégalités5, en organisant, il y a trois ans, un colloque avec l’Institut Montaigne et Terra Nova sur « La petite enfance, clé de l’égalité des chances » 6 , et depuis en développant les moyens de mesurer sa contribution à l’investissement social, ce dont témoigne la récente rencontre organisée avec l’ANSA sur ce sujet au Sénat7, comme mon soutien à la plupart des propositions de Terra Nova 8.

« Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose » dit la sagesse populaire. En l’espèce votre lettre de dénonciation, dont j’ai été le dernier informé, ne relève pas de la calomnie, mais de la pure médisance, autrement dit du mensonge. Comme vous avez jugé utile de la publier sur les réseaux sociaux, notamment LinkedIn, elle relève de la technique de désinformation qu’on appelle désormais les « Fake news » ; c’est pourquoi il m’a paru nécessaire de rétablir la vérité par les mêmes canaux.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président honoraire, l’expression de ma considération distinguée.

Daniel Lenoir, directeur général de la Cnaf

Paris, le 23 août 2017

 

Pièce jointe : Lettre ouverte à Madame la Ministre des Solidarités et de la Santé.

Michel LANGLOIS Président Honoraire de la CAF de la Seine-Saint-Denis 1991/2006, Administrateur de la CNAF jusqu’en 07/2013,

Si l’on en croit le Directeur général de la Cnaf, le budget des Caf pour financer les places de crèche ou les accueils de loisir aurait été surdimensionné ([1]), ce qui lui permet d’annuler près d’un demi-milliard de crédits en se félicitant de contribuer aux économies et à la réduction des déficits.

Pourtant, si l’on en croit les parents et l’expérience de tout un chacun, les besoins d’accueil des jeunes enfants, même si les équipements se sont développés ces dernières années, restent toujours importants surtout dans certaines régions.

Comment comprendre ce paradoxe ?

Ces moindres dépenses proviennent-elles d’une gestion vertueuse, ou d’une incapacité à mener une politique efficace à la hauteur des besoins des familles ?

Au cours de l’année 2013, la négociation de la Convention d’Objectif et de Gestion entre la Cnaf et l’État a été particulièrement difficile que ce soit pour conserver les moyens alloués au service des allocataires ou surtout pour obtenir un fonds d’action sociale à la hauteur des enjeux de société identifiés.

Les fonds alloués pour développer les services aux familles et réduire les inégalités devaient notamment permettre « le développement d’une offre d’accueil des jeunes enfants » ambitieuse, mieux répartie sur le territoire et contribuer à « structurer une nouvelle offre enfance jeunesse adaptée aux besoins des familles ».

Ces moyens étaient d’une ampleur inusitée et surtout leur évolution dans le temps devait permettre une progression rapide de l’offre sur le territoire.

Il est dès lors surprenant d’apprendre que ce budget, âprement discuté et obtenu, soit de nouveau sous-utilisé en 2016, laissant 523 millions d’euros repartir pour combler de façon « bienvenue » le déficit de la sécurité sociale.

Ce qui est présenté comme une bonne nouvelle sur le plan comptable apparaît au contraire catastrophique pour la politique familiale et sociale du pays.

–      Alors que, pour la deuxième année consécutive, la démographie française connait un repli et que l’on sait que le dynamisme de la fécondité repose sur la capacité à permettre conciliation vie sociale et vie professionnelle, la réalisation d’économies sur ce chapitre apparaît comme une vision comptable court-termisme et surtout un errements de la direction de la Cnaf dans la gestion des fonds qui lui sont confiés ;

–      Alors que l’Allemagne crée depuis 10 ans plus de places en crèches que la France et qu’elle a dépassé le taux de couverture français des besoins depuis 2013([2]),

–      Alors qu’un rapport de Terra Nova ([3]) montre une nouvelle fois que l’égalité des chances se joue dès la crèche et, qu’une fois de plus, est constaté le rôle de ces établissements dans l’apprentissage du langage,

Comment le Directeur général de la Cnaf peut-il affirmer que le problème de cette non-consommation de plus d’un demi-milliard vient d’une sur-dotation ?

Probablement pour masquer les déficits de gouvernance interne à la Cnaf qui ont conduit à une telle situation…

La multiplication des fonds particuliers centralisés à la Cnaf, avec leurs règles d’intervention spécifiques, leur étanchéité, ont laissé des besoins et des demandes non satisfaits alors que certains fonds n’étaient pas utilisés tandis que d’autres seraient épuisés.

Constater la non mobilisation des fonds, c’est aussi constater la carence des propositions de la direction de la Cnaf pour compenser la faiblesse temporaire de la capacité d’intervention des collectivités locales, mais aussi pour initier de nouveaux modes de gouvernance de ce secteur d’intervention.

Qu’est ce qui légitime une telle prise de position du Directeur de la Cnaf ?

A-t-il le soutien de son Conseil d’administration ?

Non, puisque le Président de la Cnaf marque l’ampleur des besoins non satisfaits et sollicite un transfert possible de crédits pour les territoires ruraux et les quartiers prioritaires de la politique de la Ville.

Le Directeur général de la CNAF s’appuie-t-il sur une étude de ses services ou le constat des Caf départementales qui marquerait une saturation des équipements ?

Non, puisqu’à ma connaissance les services de la Cnaf ont participé à toutes les études qui pointent les besoins et que nombre de demandes de caisses départementales sont à ce jour insatisfaites.

Quelle est la légitimité du Directeur de la Cnaf à prendre une telle position ?

De mon point de vue il n’en a aucune.

Au moment où les nouvelles autorités de l’État (Président, Premier Ministre, Ministre des solidarités) marquent leur volonté d’une politique ambitieuse pour la petite enfance, on ne saurait admettre que le directeur de la branche famille prenne des positions avec pour seul objectif à court terme de complaire au Ministre du budget…

Ainsi a été trahit l’esprit des négociateurs de la COG qui sont censés la mettre en œuvre et néglige les intérêts supérieurs de la Nation au profit d’une vision comptable.

La branche famille vos ‘’pères ‘’ Monsieur le Directeur, l’ont conçue et construite avecla volonté d’en faire un acteur majeur de la solidarité nationale. Elle ne saurait être un fonds de réserve et d’ajustement.

Il est temps de retrouver une gouvernance de la branche famille soucieuse des intérêts des familles, des publics défavorisés et plus largement du pays.

Vous les partenaires sociaux qui siégez dans les Conseils d’administration de la Cnaf et des Caf, RÉVEILLEZ-VOUS !

([1]) Les Échos, mardi 27 juin 2017

([2]) Note d’analyse de France Stratégie – mai 2017

([3]) Terra Nova 2017

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