Sur le fil

Quand viennent les élections, la grande Sécu …. (sur l’air d’une chanson de Régine, un État-providence pour le 21ème siècle)

Qu’est-ce qui a pris à Olivier Véran d’envoyer le pavé de « la Grande Sécu » dans la mare des complémentaires santé ? Déclenchant l’ire des mutuelles et des assurances, mais aussi d’une partie des syndicats, des médecins et d’autres professionnels de santé … et de Xavier Bertrand. Peut-être, à l’approche des présidentielles, voulait-il introduire une nouvelle pomme de discorde du côté gauche de l’échiquier politique d’où il vient, sur un projet rejeté par la Mutualité mais soutenu depuis longtemps par la CGT, le parti communiste et plus récemment par Mélenchon, ainsi que par nombre d’économistes (y compris des libéraux d’ailleurs).

De quoi s’agit-il ? L’idée est tellement simple qu’on se demande pourquoi on n’y a pas pensé plus tôt : il s’agit de supprimer le ticket dit « modérateur » -conçu initialement pour responsabiliser les assurés sociaux, mais pris en charge par les mutuelles depuis 1945-, et donc de rembourser les soins à 100% (comme le sont aujourd’hui, du moins en théorie, les patients en affections de longue durée -ALD-). Outre la simplification pour tout le monde, cela devrait permettre de faire des économies sur les frais de gestion puisqu’on paierait en une seule fois (ce qui éviterait par exemple aux hôpitaux de devoir gérer des services facturiers importants) : il faut dire que, contrairement aux idées reçues, la gestion de la Sécurité sociale est particulièrement efficace, notamment, pour l’assurance maladie, depuis la mise en place de la carte Vitale, et que celle des complémentaires, qui ne bénéficient pas des mêmes économies d’échelle, est alourdie par les effets de la concurrence forcenée qu’elles se livrent entre elles et qui les conduit à augmenter leurs coûts pour recruter des cotisants ou des assurés. A tel point que pour 13 % de la dépense ceux-ci sont équivalents à ceux de l’assurance maladie qui en gère près de 80%.

Au passage, le projet met en évidence le caractère totalement artificiel de la notion de prélèvement obligatoire, dont relèvent les contributions de sécurité sociale, mais pas les primes et cotisations versées aux complémentaires qui font pourtant partie des dépenses contraintes – sauf pour ceux (les plus pauvres) qui ne peuvent y faire face et pour qui cela constitue un frein dans l’accès au soins- ; d’ailleurs à défaut d’être obligatoire la complémentaire est largement généralisée, mais si seuls 4 % des assurés sociaux ne sont pas couverts, c’est le cas de 13% des chômeurs. La perspective de cette augmentation, purement optique, des prélèvements obligatoires explique d’ailleurs l’opposition de Bercy au projet ; sans compter que les complémentaires soumises aux règles prudentielles régissant les assurances doivent constituer des réserves qui permettent d’alimenter les marchés financiers.

Face à un projet, qui risquait de remettre en cause leur activité principale pour les mutuelles et un produit d’appel important pour les assureurs, les complémentaires ont développé un lobbying extrêmement efficace -à tel point qu’il serait aujourd’hui abandonné-, mais sans répondre aux questions de fonds soulevées à cette occasion et en utilisant des arguments parfois spécieux, comme par exemple les 100 000 emplois qui disparaitraient. En effet le problème principal, c’est que la couverture à 100% ne permettrait pas de ramener à 0 ce qu’on appelle le reste à charge. Ce qu’illustre la situation des patients en ALD dont le reste à charge est comparable à celui des autres assurés sociaux, et pas seulement parce que la prise en charge intégrale ne concerne que la pathologie pour laquelle ils sont en ALD. Car une bonne partie des dépenses ne rentrent pas dans les 100%. A commencer par les « franchises » introduites par Raffarin en 2004 et qui ne sont pas remboursables. Mais aussi parce que les tarifs de remboursement de l’assurance maladie, n’ont rien à voir avec le prix réels pratiqués, notamment pour les dispositifs médicaux : c’est d’ailleurs ce qui avait conduit l’exécutif à mettre en place, pour les prothèses dentaires et oculaires (les lunettes) puis auditives, le « 100% santé », en s’appuyant justement sur les complémentaires. Dans le scénario développé, il serait repris par l’assurance maladie, mais sur une « offre de base ». Enfin, et c’est le plus lourd, le projet ne règle pas la question lancinante des « dépassements d’honoraires » pratiqués par nombre de professionnels de santé, notamment de médecins et qu’on voit mal l’assurance maladie prendre en charge.

Mais surtout, pour important qu’il soit, le problème de la répartition de la prise en charge entre la Sécu et les mutuelles, n’est pas le problème le plus important dans la gestion de la santé, comme l’a  révélé la crise Covid, avec la crise hospitalière et des urgences, avec le trop faible nombre de lits de réanimation, avec les salaires insuffisants des infirmières et aides-soignantes à l’hôpital public, avec les pénuries de médicaments de tests et de masques, avec une prévention trop peu développée ; tout cela est le résultat de la contrainte excessive qui a pesé pendant près de quinze ans sur la dépense d’assurance maladie (le fameux Ondam) de façon à éviter d’augmenter les prélèvements affectés à la Sécu. Politique avec laquelle l’exécutif a annoncé son intention de renouer en la durcissant, y compris pour rembourser la dette Covid de la Sécu. Appliquer à l’ensemble de la dépense cette contrainte budgétaire pourrait nous conduire de Charybde en Scylla ; et le ballon d’essai de la Grande Sécu n’est peut-être qu’un écran de fumée pour éviter ce débat.

Paris, Croulebarbe, le 29 novembre 2021

 

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