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Revenu minimum, revenu universel, allocation sociale (ou versement social) unique : comment s’y retrouver dans le maquis des concepts

Des échanges que j’ai pu avoir depuis la publication de mon papier sur le projet d’allocation sociale unique, et des rapports et déclarations que j’ai pu lire sur ce sujet, j’ai déduit une grande confusion sur les concepts, entre le revenu universel ou d’existence, le minimum social généralisé et l’allocation sociale unique, sans parler du versement social unique, certains termes étant d’ailleurs souvent utilisés les uns pour les autres, et donc à contre emploi.

Il m’a semblé utile de revenir sur ces différents concepts, pour éclairer le débat. En réalité on peut considérer qu’il y a trois modèles théoriques envisageables, le minimum social généralisé, le revenu universel ou d’existence, ou l’allocation sociale unique (le versement social unique n’étant qu’une étape technique nécessaire pour mettre en place celle-ci).

Revenu minimum, revenu universel, allocation sociale (ou versement social) unique :

comment s’y retrouver dans le maquis des concepts ?

 

L’idée d’un revenu minimum s’est d’abord exprimé dans la mise en place d’un minimum social, en France le RMI, mis en place d’ailleurs après la plupart des pays eurpéens à l’époque, et devenu depuis le RSA. D’autres minima sociaux, ou équivalents, existaient déjà, notamment l’allocation aux adultes handicapés (AAH) pour les personnes handicapées, l’allocation de solidarité spécifique (ASS) pour les chômeurs en fin de droit, et le RMI a été conçu comme une sorte de « voiture balai », couvrant les situations, de plus en plus nombreuses, qui ne relevaient pas de ces couvertures spécifiques, et se substituant aux dispositifs d’aide sociale qui avaient parfois été mis en place par certains départements. Le revenu de solidarité active (RSA), avec la création du RSA-activité, n’avait pour ambition que d’éviter les effets de seuil de tout minimum social, notamment l’effet dit de « trappe à pauvreté » (effet dont l’importance est contestée par les économistes « de gauche »), en mettant en place un dispositif plus incitatif à la reprise d’activité que ne l’était le dispositif d’intéressement du RMI. On peut considérer que cette réforme, malgrè les bonnes intentions incontestables de ses promoteurs, notamment de Martin Hirsch qui l’a portée, a été globalement un échec : d’une part elle est arrivée dans un moment de crise économique et donc d’une dégradation de l’emploi peu favorable à la reprise d’activité, et ce quelles que soient les incitations mises en place ; d’autre part la complexité du dispositif du RSA-activité a conduit à un des taux de recours les plus faibles (moins d’un tiers de la population cible) jamais connu pour une prestation sociale, ce d’autant plus qu’elle continuait à se cumuler avec un autre dispositif mis en place en 2001, la prime pour l’emploi (PPE). Ce deuxième problème a été résolu avec la création de la prime d’activité, fusion du RSA-activité et de la PPE, dont le succès a été reconnu en terme de recours au droit. Ne reste plus donc que le RSA dit socle, qui coexiste avec d’autres minima sociaux. Ce qu’avait pointé en son temps le rapport rédigé sous l’égide de Christophe Sirugue« Repenser les minima sociaux : vers une couverture socle commune ». Dans son scénario 3, l’auteur propose la fusion des 10 minima sociaux existant. Ce scénario d’un revenu minimum généralisé, est également celui proposé par Marie-Aleth Grard et Martine Vignau dans un rapport du CESE intitulé sobrement « Revenu minimum social garanti ». C’est également celui qui, sous couvert d’allocation sociale unique, est sous-jacent aux propositions du rapport Cap 2022, comme d’ailleurs, pour partie, car le projet n’est pas toujours très clair, à l’expérimentation proposée par 13 départements et soutenue, sous couvert de « revenu de base », par la Fondation Jean Jaures.

Le revenu universel d’existence, ou revenu minimum d’existence (parfois appelée allocation universelle), a été défendu pendant la campagne électoral par Benoît Hamon, du moins dans la version initiale de sa proposition. Le projet en est porté, depuis le début des années quatre-vingt, par des utopistes comme Philippe Van Parijs, mais aussi par des libéraux, comme Marc de Basquiat, souvent un peu utopistes aussi, et qui se sont d’ailleurs Associès pour l’instauration d’un revenu d’existence (AIRE). Dans sa version la plus commune, il s’agit de verser un revenu identique pour tout le monde, laissant la possibilité, pour ceux qui le souhaitent de le compléter avec des revenus d’activité, comme aussi de ne pas le faire : c’est d’ailleurs ce qui motivait la proposition de Benoît Hamon, considérant que la révolution numérique ne permettrait plus à tout le monde d’accéder à un revenu d’activité. Pour les utopistes, disciples d’Ivan Illich et d’André Gorz, ce revenu d’existence devrait permettre, en outre, de développer des activités autonomes, i.e. hors marché et hors services publics (activités considérées, elles, comme activités hétéronomes), et relevant donc davantage du don et du contre don de Marcel Mauss (dont le nom est d’ailleurs utilisé comme acronyme par le Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales, créé par Alain Caillé, et qui défend aussi le projet de revenu d’existence). Il doit être aussi d’un niveau suffisant pour permettre la liberté de choix. Dans sa version la plus libérale, il se substitue même  à l’ensemble des mécanismes de sécurité sociale, y compris l’assurance maladie, chacun ayant, grâce à ce revenu, la liberté de s’assurer (ou pas) contre les risques de la vie. En revanche, pour les libéraux il ne doit pas être trop élevé pour éviter les effets de trappe à inactivité. Il conduit en tout état de cause à verser un revenu d’existence à des personnes qui n’en ont objectivement pas besoin ; c’est la question posée à Benoît Hamon : « Va-t-on verser le revenu universel à Liliane Bettencourt ? » ; ce qui, je pense, a contribué à déconsidérer l’idée. Verser une prestation identique à tous nécessite de disposer de prélèvements équivalents, et donc conduit à les augmenter artificiellement : ce qui a conduit finalement Benoît Hamon à adopter une solution de type « impôt négatif », et de déduire de l’impôt sur le revenu, le montant du revenu d’existence. Si il a le mérite de l’apparente simplicité (on verse la même chose à tout le monde), il pose aussi, plus que les autres dispositifs, la question de la légitimité à bénéficier de ce revenu : normalement il est versé du seul fait d’exister, mais quid dans un monde où ce sont les Etats qui définissent les politiques sociales mais où les flux migratoires sont importants : on le voit en Italie ou la coalition au pouvoir a mis le projet d’un revenu universel à son programme (d’ailleurs significativement appelé revenu citoyen) à la demande du mouvement Cinq étoile mais veut en réserver le droit aux seuls ressortissants nationaux, sous l’influence de la Ligue du Nord. C’est d’ailleurs ce qui avait conduit les promoteurs du revenu d’existence à proposer d’en faire un dispositif européen, et à créer en ce sens au niveau européen le Basic income european network (Bien). Cela ne fait en réalité que déplacer le problème : d’une part parceque il se passera entre l’Europe et le reste du monde la même chose qu’aujourd’hui entre chaque pays et le reste du monde, et que d’autre part, les écart de revenus moyens entre les pays européens rendront encore plus complexe la question de la fixation du montant du revenu universel.

On pourrait déduire de cette présentation en trois temps que l’allocation sociale unique est un compromis ou une solution intermediaire entre les deux premières ; ce n’est pas le cas, c’est une proposition qui a sa logique propre. Il s’agit de fusionner l’ensemble des prestations sociales d’entretien en espèces, dans une allocation sociale unique. Elle peut s’apparenter à un impôt négatif, tel qu’il avait été promu par Lionel Stoléru à la fin des années soixante-dix dans Vaincre la pauvreté dans les pays riches, mais avec la logique, sous jacente au RSA, avec le RSA-activité, d’un dispositif qui intègre à la fois une composante dégressive en fonction du revenu, pour assurer la continuité avec l’impôt progressif sur le revenu et éviter tout effet de seuil socio-fiscal comme c’était (et c’est encore pour partie) le cas pour la combinaison entre allocation familiales et quotient familial (la fameuse « courbe en U »), et une composante progressive en fonction des revenus d’activités, pour créer une incitation à l’activité et éviter l’effet de trappe à activité  (composante qui se substituerait à l’actuelle prime d’activité). Dans sa version la plus complète, celle que j’ai développée ici, elle se substitue à la totalité des prestations sociales en espèces existantes qui n’ont pas le caractère d’un revenu de remplacement (i.e. les allocations chômage, les indemnités journalières, ou les retraites), y compris les allocations familiales, qui sont des prestation d’entretien, y compris les allocations logement, qui n’ont plus qu’un lointain rapport avec l’accès au logement et constituent, comme l’a souligné la Cour des comptes, le principal minimum social en France : d’où le terme d’allocation sociale unique. Cette idée, qui n’est pas nouvelle non plus, est revenue sur le devant de l’actualité car nous disposons aujourd’hui d’un système technique qui permet de la rendre réalisable a une échéance rapide, ce qui n’était pas le cas jusqu’il y a peu : en effet pour calculer une allocation reposant sur de nombreux paramètres, notamment les revenus perçus (ce qu’on appelle la « base ressources »), il est nécessaire de pouvoir disposer de cette information en temps réel ; ceci est désormais possible grâce à la généralisation des échanges de données, ce qui permet en outre de disposer d’une base ressource plus récente (aujourd’hui, nombre d’allocations sont calculées sur la base des resources de l’année n-2, récupérables auprès de l’administration fiscale par les Caf). En revanche il s’agit d’une prestation complexe, puisqu’elle s’adapte à chacune des situations individuelles : il est évidemment plus facile de verser le même montant à tout le monde, comme c’était le cas pour les allocations familiales avant la modulation, ou comme ce serait le cas du revenu universel ; mais est-ce vraiment juste ? Et puis est-ce vraiment plus complexe que le dispositif actuel qui résulte d’une sédimentation de dispositifs successifs aux effets imprévus, cette face cachée des prestations familiales, si bien décryptée par Léon Régent.

Le versement social unique, qui figurait dans le programme d’Emmanuel Macron, consiste à verser toutes les prestations en même temps, ce qui n’est pas le plus difficile puisque c’est déjà largement le cas, mais surtout en utilisant les mêmes bases de calcul, notamment pour la base ressource. C’est une mesure technique, de simplification, qui peut s’arrêter là, ou être une étape sur le chemin d’une allocation sociale unique : on passe d’abord par l’addition des prestations existantes, avant de les fusionner, pour créer une seule prestation.

 

Paris, le 25 août 2018

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