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Un baron vert fera-t-il le printemps de la gauche ?

Yannick Jadot a-t-il voulu jouer les barons verts en tendant la main, de LFI à Villani, à tous les fragments d’une gauche éclatée ? A-t-il voulu, dans un coup de billard à plusieurs bandes, s’éviter une primaire des Verts qui conduirait, comme d’habitude, à désigner le candidat le plus mal placé pour attirer le vote populaire et consolider  ainsi leurs bons scores locaux et européens, et, en même temps, piéger un Mélenchon dont le désir narcissique d’identification avec la République est obligé de s’effacer devant le risque que de son fait la gauche passe à côté de la seule chance qu’il lui reste de figurer au second tour de la présidentielle ? « Déconne pas Méluche ! », pour plagier les scénaristes de la série télévisée « Baron noir ». D’ailleurs, de ce côté, ça a marché, … au moins jusqu’à ce que ses anciens amis du PS se rallient eux aussi.

Tout cela est possible : il est assez rare que les stratégies politiques ne comportent pas une part de manœuvre mise au service des ambitions personnelles. Mais si les analystes politiques sondent l’opinion, ils ne sondent pas « les reins et les coeurs » et on peut aussi penser qu’il y a une grande part de courage et de sincérité dans le geste du leader d’un parti politique, EELV, plus sujet encore que les autres (sauf LREM bien sûr, à qui cela ne risque pas d’arriver !) aux effets pervers de ce désir mimétique révélé par René Girard : dès qu’un ou une de leur dirigeant(e) acquiert une stature nationale il ou elle se trouve immédiatement l’objet de la vindicte de toutes celles et ceux qui en fait n’aspirent qu’à prendre sa place et de leurs sbires. Quand un ressort anthropologique devient le moteur de la « machine à perdre » !

D’ailleurs cela n’a pas loupé : on l’a aussitôt accusé, dans son camp, de faire du « Xavier Betrand », rejoint en cela par une Ségolène Royal que l’on peut aussi soupçonner de vouloir tirer son épingle du jeu, même si elle ne sait ni quand ni comment, ni surtout pour quoi. On le sait « la présidentielle rend fou ». Au moins Yannick Jadot tente-t-il d’échapper à cette folie égotiste en ouvrant totalement le jeu des possibles en termes de candidature, et en ne posant aucun préalable à cette réunion des gauches. Cela révèle une forme de courage et d’abnégation qu’il faut saluer et peut mettre un point d’arrêt salutaire à la course à la candidature.

Salutaire, mais temporaire, et l’hirondelle Jadot ne fait pas nécessairement le printemps de la gauche, car il faudra qu’à un horizon, pas trop lointain, se dégage une personnalité susceptible d’incarner celle-ci. Et c’est bien là que le bât blesse: c’est quoi la gauche ? En fait, le principal obstacle pour elle, ce n’est pas tant l’absence de programme qu’il faudrait vendre au pays -d’ailleurs la butte qu’a essayé d’ériger Laurent Joffrin pour y pallier a accouché d’une souris-, c’est l’absence de repères. De repères aujourd’hui sur la laïcité ou sur l’islamisme ou encore sur l’Europe ; de repères en général permettant de faire des choix dans un monde complexe et incertain. Une absence de repères d’autant plus douloureuse que la droite, macroniste, républicaine ou nationale, se plait à tirer sur les déchirures qui s’y sont substituées.

Le temps est court pour y pallier. Mais cette gauche désorientée à force, pour chacune de ses composantes, d’avoir le nez sur le guidon et sur la route qu’elle a choisi pour atteindre le sommet, ne pourrait-elle dépasser ses contradictions, et non seulement ses égos, en fixant celui-ci plutôt que celle-là. Comme aurait dit Péguy, en mettant la mystique avant la politique.

Paris, Croulebarbe, le 3 avril 2021.

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