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1,6 : nombre d'(h)or(reurs) et quadrature du cercle (à propos de l’Ondam 2026)

1,6

Homme de Vitruve 

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1,6. Contrairement à ce que  pourrait laisser à penser la reproduction de l’homme de Vitruve de Léonard de Vinci en exergue de ce billet, ce 1,6 n’est pas le nombre d’or, symbole d’harmonie. Peut-être davantage l’illustration de la recherche de la quadrature du cercle que constitue aujourd’hui l’équilibre de l’assurance maladie. Non, 1,6 -1,6 pourcent en fait-, c’est le taux de croissance prévu pour l’Ondam en 2026. Il y a fort à parier pourtant que ce n’est pas la solution de cette équation.

On a beaucoup critiqué, à raison, les mesures prévues dans le PLFSS pour l’assurance maladie : on oublie souvent de préciser qu’elles sont les conséquences d’un  cadrage macro-économique qui fixe l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie à 266 Mds € pour 2026, soit le montant initialement prévu pour 2025 en augmentation de 1,6 % par rapport à la prévision de réalisation pour l’année en cours, un taux inférieur d’environ 1 point au taux de croissance anticipé (rappelons que l’Ondam est fixé en valeur et non en volume).

De 2010 à la crise Covid comme l’indique la Cnam dans son « Rapport Charges et Produits pour 2026″ la politique conduite avait réussi à « contenir l’évolution moyenne de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) au même rythme que celle du produit intérieur brut (PIB). Ainsi, durant cette période, les dépenses du champ de l’Ondam ont vu leur part dans le PIB en valeur rester stable, autour de 8,2 % ». Comme l’illustre le graphique ci dessous que j’ai déjà eu l’occasion de commenter ici.

Source : Haut conseil de l’assurance maladie jusqu’à 2012 et commission des comptes de la sécurité sociale depuis 2012 ; FIPECO.

Mais le cocorico du DG  de la Cnam évite d’indiquer à quel prix cette régulation s’est faite. Elle a reposé principalement, comme j’ai déjà eu également l’occasion de l’exprimer sur ce blogue, sur une régulation tarifaire pesant notamment sur les rémunérations des soignants, en particulier hospitaliers, dont la lente dégradation a nécessité un Ségur de la santé qui n’a opéré qu’un rattrapage partiel, mais dont la non intégration dans l’Ondam explique à lui seul le déficit 2024. Je ne suis pas le seul à le dire : c ‘est aussi ce que dit Nicolas Revel dans une note pour Terra Nova, La santé des Français : sortir de l’impasse.

Un point de moins que le taux de croissance prévu de l’économie : cela signifie que, comme l’indiquent les Fédérations de santé, on va continuer cette politique tarifaire délétère, que l’on n’avait pas vraiment abandonnée, mais aussi qu’on va renouer avec une stratégie qui avait été un peu laissée de côté, elle, celle des déremboursements.

Déremboursement d’abord avec l’extension des franchises, avec un nouveau doublement de leur montant après celui de  2024, leur plafond multiplié par deux pour atteindre 100 €, et désormais au nombre de quatre avec leur application non seulement aux médicaments et aux actes médicaux, mais aussi aux actes des dentistes et aux transports sanitaires. Soit potentiellement 400 € de reste à charge supplémentaires, qui ne pèseront pas sur les comptes des complémentaires puisqu’elles ne sont pas remboursables, mais constitueront un vrai obstacle à l’accès aux soins pour les plus pauvres. Je regrette que François Hollande et Marisol Touraine n’aient pas retenu ma proposition de suppression de ces franchises dans la note que je leur avais adressée en 2012 (Mai 2012 : 22 propositions à François Hollande pour la santé et l’assurance maladie).

Déremboursement aussi la stratégie annoncée pour les ALD qui, en fait, n’auront comme conséquence que de reporter sur les complémentaires la prise en charge du ticket modérateur ; en tous cas pour ceux qui en ont une : comme pour les franchises cela pèsera d’abord sur les plus pauvres qui n’ont pas les moyens de se payer une complémentaire. Cela  conduira aussi à augmenter subrepticement la charge des mutuelles et autres assurances santé, et donc leurs cotisations et primes, avec un rendement inférieur aux contributions publiques en termes de remboursements (de l’ordre de 65 % contre plus de 95%), comme j’ai eu l’occasion de l’expliquer ici (Les déremboursements : une aberration économique et sociale).  Qui pèsera notamment sur les retraités, qui ne bénéficient pas de la prise en charge d’une part de leur cotisation par l’employeur et qui sont les plus exposés aux maladies chronique : mieux vaudrait une augmentation de la CSG que cette réduction de la prise en charge par l’assurance maladie.

L’assurance maladie n’ayant pas suffisamment investi depuis quinze ans sur la régulation médico-économique (ce qu’on appelait autrefois la « maîtrise médicalisée »), la résolution de la quadrature du cercle ne peut reposer, à court terme que sur une augmentation des recettes.  Et ce ne sont pas les pistes qui manquent. En voici quelques unes.

  • D’abord la taxation des bénéfices indus que les opérateurs financiers tirent de leur activité en matière de santé (hospitalisation,  laboratoires de biologie, pharmacie, informatique et données de santé, et, depuis bien plus longtemps, industrie pharmaceutique) et sociale (hébergement des personnes âgées ou crèches, par exemple), de façon à plafonner les profits qu’ils peuvent tirer de ces activités : cela constituerait une désincitation aux politiques de « cost killing » dont on a vu les effets pervers et d’extension du domaine des prescriptions, et serait beaucoup plus efficace que la manipulation tarifaire que propose l’assurance maladie, avec tous les risques d’effets de bord comme on le voit actuellement pour les pharmacies.
  • Ensuite une augmentation, qui peut être étalée dans le temps, des taxations comportementales, notamment sur l’alcool aujourd’hui insuffisante, comme aussi sur les produits gras et sucrés, et plus généralement des produits qui ont un impact négatifs pour la santé : cela aurait à la fois l’avantage d’internaliser les externalités négatives de ces produits pour l’assurance maladie, avec de surcroît, comme on l’a vu sur le tabac, un effet efficace de prévention : mieux vaut des accises que des franchises.
  • Enfin, l’augmentation, là aussi à étaler dans le temps, de la CSG affectée à l’assurance maladie, avec en priorité l’alignement progressif de celle des retraités sur celle des actifs. Il y a un paradoxe à ce que ceux-ci, davantage consommateurs de soins (ce dont les complémentaires tiennent compte en faisant des tarifications qui tiennent compte de l’âge), contribuent moins que les actifs à la mutualisation du risque assurance-maladie. Et, quitte à me répéter, cela éviterait une augmentation plus que proportionnelle de leur complémentaire : mieux vaut la CSG que la complémentaire santé pour financer les ALD. Une telle mesure serait plus justifiée que l’année blanche pour les retraites que prévoit le gouvernement.

Une telle stratégie devrait conduire le Parlement à remonter le niveau de l’Ondam avec une augmentation d’au moins un point de son taux de croissance par rapport à celui du PIB. Cela suppose évidemment de remettre en cause le dogme néolibéral du plafonnement des prélèvements obligatoires et la stratégie d’endiguement de la Sécurité sociale qui en résulte.

Paris, Croulebarbe, le 20 octobre 2025.

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