L’IA a-t-elle permis de mettre fin à l’un des plus grands scandales démocratiques des dernières décennies ? Il semble bien que oui. Souvenons-nous, il y a plus de six ans maintenant, pour essayer de sortir par en haut de la crise des Gilets jaunes : la promesse de donner la parole aux citoyens au travers d’un grand débat avec un questionnaire ouvert en ligne et l’ouverture de cahiers de doléances dans les mairies. Une démarche que, malgré le scepticisme, j’avais défendue sur ce blogue, comme dans les colonnes de Témoignage Chrétien qui avait d’ailleurs appelé ses lecteurs à participer.
Du détournement de la parole populaire par Edouard Philippe lors de sa communication du 8 avril 2019 à l’abandon du sujet par Emmanuel Macron une semaine plus tard pour cause d’incendie de Notre Dame, de l’effet de la crise Covid à des élections présidentielle et législatives pour rien, on croyait tout ce matériau enterré, quelques voix s’élevant de temps en temps pour qu’au moins la promesse de la numérisation des cahiers de doléance soit respectée pour permettre aux chercheurs d’y accéder. A défaut de tenir celle, tout autant oubliée, d’une exploitation exhaustive de ce gigantesque matériau démocratique : prés de 2 millions de contributions, « la plus grande remontée d’informations publique, volontaire et spontanée depuis 1789 », et prés de 500 000 pour les seules contributions en ligne.
Beaucoup pensait – c’est mon cas- que cet enterrement était volontaire, l’exécutif craignant que les conclusions n’aillent pas dans le sens de celles qu’il avait voulu en tirer. Mais il y avait aussi une autre raison, peut-être plus fondamentale encore : au moment où la promesse avait été faite, les initiateurs de la démarche ne disposaient pas d’un outil suffisamment puissant pour la tenir. Et ce n’est pas les cabinets de consultants qui avaient été chargés d’en assurer l’analyse mais qui n’avait exploité que quelques pourcents de ce gigantesque corpus démocratique, qui permettaient de le faire
Un consortium d' »ingénieurs de la démocratie » constitué autour des chercheurs Hugo Micheron de Sciences Po et Antoine Jardin du CNRS a permis de sortir de cette impasse, en créant « Arlequin AI », avec le projet de produire des outils d’intelligence artificielle (IA) capables de « répondre aux menaces qui pèsent sur le modèle démocratique européen », projet qu’ils ont appliqué en premier lieu aux réponses au questionnaire en ligne du grand débat dont les résultats viennent d’être publiés par la Fondation Jean Jaurès.
L’IA permet en effet de combiner l’approche qualitative de l’opinion, s’appuyant le plus souvent sur des entretiens non directifs limités à des échantillons de taille réduite, et l’approche quantitative, jusqu’à présent réservée aux instituts de sondage, mais dont on sait que les réponses sont largement déterminées par la façon dont les questions, fermées, ont été posées. Ici pas de biais de sondeur, puisque les questions sont abordées sous l’angle choisi par les contributeurs eux-mêmes, avec « une analyse (…) qui n’impose pas de problématique a priori à l’analyse des réponses » .
Deux conclusions essentielles à cet exercice :
- d’ abord la parole populaire est plus nuancée que ne le laisse à penser l’extrême polarisation et la brutalisation, autrement dit l’hystérisation, du débat politique : c’est notamment le cas pour la transition environnementale ou pour la laïcité, deux notions qui font l’objet d’un large consensus, même si évidemment les opinions différent sur les voies et moyens de les mettre en œuvre.
- ensuite la question du consentement à l’impôt qui était au coeur du grand débat ne se traduit pas par le fameux « ras le bol fiscal » cher à l’actuel président de la Cour des comptes, et repris par le Premier ministre de l’époque, mais renvoie à une exigence de transparence, d’équité et d’efficacité. D’ailleurs « la baisse des dépenses publiques et l’assistanat » qui avaient été introduites par les promoteurs sont curieusement absents des réponses.
On aimerait maintenant que la numérisation des cahiers citoyens permette de leur appliquer l’exercice. Peut-être surtout, maintenant qu’un outil existe, que l’expérience du grand débat puisse être renouvelée régulièrement. Ce serait une façon plus intelligente de redonner la parole au peuple qu’un referendum dont on sait qu’il ne peut que contribuer à cliver une société qui aurait au contraire besoin de retrouver un peu d’unité.
Paris, Croulebarbe, le 16 juin 2026.
Référence : « Et si l’IA était au service de la démocratie ? L’exemple du Grand débat national » Fondation Jean-Jaurès
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