En chanson, Lu, vu, entendu

Amour sacré de la Patrie. Sur La Marseillaise (racontée par Edgar Morin).

Cela fait près de trois ans que je voulais écrire sur ce que la chanson a apporté à ma pensée, et plus encore, ou plutôt, à ma vie. Non pas au sens de ces livres qui ont marqué ma philosophie de l’action, mais au sens de ce qu’elle permet d’exprimer, d’évoquer, de ce que les mots seuls n’arrivent pas toujours à dire, « parce que finalement, à part le travail, chanter est ce qu’on peut faire de mieux quand les mots sont trop difficiles à dire ».

Je pensais démarrer par « La supplique » de Brassens, ou « La pierre » de Moustaki, tant l’on sait que, tel philosopher pour Montaigne, chanter « c’est apprendre à mourir ». Puis finalement 14 juillet aidant, quarante ans exactement après avoir gardé, comme pompier, les toits de Paris, je me suis souvenu que La marseillaise est, avec je dois le dire « Maman, papa », une des chansons qui me tire régulièrement des larmes des yeux. Probablement parce quel’attachement à la « mère patrie » puise sa source viscérale dans le lien à la mère, et au père, à l’instar du sentiment de fraternité, comme vient de le mettre en valeur Edgar Morin dans un opuscule consacré au troisième terme de la devise républicaine. Le même Edgar Morin qui a tenu, face aux critiques qui lui reprochent son caractère sanguinaire, voire raciste, à  défendre ce chant de guerre (de l’armée du Rhin), cette Marseillaise, dans un autre opuscule où il rappelle qu’elle « reste fondamentalement un chant de résistance ».

Amour sacré de la Patrie.

La Marseillaise

La Marseillaise, c’est d’abord un chant d’espoir. Comme L’Internationale, on n’en chante, et on n’en connait, que le premier couplet, et quelques bribes des suivants. Or La Marseillaise porte en son dernier couplet l’espoir qu’on arrêtera de la chanter, de « chanter ce refrain terrible ». Dans un cas comme dans l’autre, la violence, cette grande accoucheuse de l’histoire, est supposée faire advenir une humanité réconciliée avec elle même, une sorte de « temps des cerises », mais un temps des cerises qui s’installerait définitivement. Pour ma part, je ne crois plus – y ai-je d’ailleurs jamais cru -, à la possibilité d’une humanité totalement réconciliée avec elle même, mais cela reste pour moi une sorte d’utopie asymptotique, qui doit nous servir d’horizon, inatteignable, mais indispensable. Je crois encore moins que la violence en soit le chemin nécessaire ni même le plus propice. Mais je sais aussi qu’elle est parfois nécessaire, même si elle n’est jamais totalement justifiée. C’est le sens de cette Résistance française qui a opposé la violence au mal fasciste, nazi et collaborationniste.

C’est aussi un chant patriotique et républicain. « Amour sacré de la Patrie » : patriotique d’abord, patriotique surtout. Le patriotisme est-il la « seule forme avouable de xénophobie » ou encore la « vertu des brutes », ou bien « l’amour des siens », par opposition au nationalisme, « la haine des autres », ce « patriotisme qui a perdu sa noblesse » ? Telle la langue d’Ésope, il peut en effet produire le pire ou le meilleur, à la fois forme d’expression de la fraternité humaine, qui peut s’élargir à d’autres, mais peut aussi s’investir de potentialités rivalitaires, qui peuvent conduire au meurtre et à la guerre.

La Marseillaise a aussi contribué à incarner la patrie en République. Elle « lie (…) l’idée de République à l’idée de France ». Paradoxalement écrite au départ par un officier monarchiste, mort à Choisy le Roi où une statue lui a été érigée, elle devient très vite un symbole républicain, consacré comme tel en 1879, puis dans les constitutions de la quatrième et le cinquième République : « La langue de la République est le français. L’emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge. L’hymne national est la « Marseillaise ». La devise de la République est « Liberté, Égalité, Fraternité ». Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ».

Exaltation d’abord de la liberté, « Liberté, Liberté chérie » (couplet 6), contre les tyrans et les despotes qui foulent « aux pieds les droits de l’Homme » (couplet 12), elle « couronne » aussi (on s’en souviens moins) l’Égalité (couplet 9) qui ont vocation à s’étendre au reste de l’Europe et du monde : « le Français n’arme son bras Que pour détruire l’esclavage » (couplet 12).

« La France que l’Europe admire

A reconquis la Liberté

Et chaque citoyen respire

Sous les lois de l’Égalité (bis) ;

Un jour son image chérie

S’étendra sur tout l’univers

Peuples, vous briserez vos fers

Et vous aurez une patrie » (couplet 11)

Même si le mot Fraternité n’apparait pas (il ne sera introduit dans la devise de la République qu’en 1848), la Marseillaise est finalement un appel à la fraternité universelle, quand « les français cesseront De chanter ce refrain terrible ».

Paris, le 14 juillet 2019

 

En post-scriptum, cette citation de Philippe Grimbert dans Chantons sous la psy : « La chanson détient ce pouvoir singulier qui la distingue de tous les autres arts, elle possède cette vertu de rassemblement et d’identification que bien des politiques pourraient lui envier car personne n’échappe à son influence ». Qui s’applique bien à ces chansons que sont La marseillaise, ou L’internationale ; ce pourquoi elles sont reprises dans les meetings.

Paris, le 19 juillet 2019

En post scriptum, en publiant sur la « Supplique », cette citation de Bertrand Dicale, dans son Dictionnaire amoureux de la chanson française, sur la Marseillaise, qui dit bien l’ambivalence de ce chant de guerre et de résistance : « Nous avons le même hymne pour les Lumières et pour nos ténèbres ».

Paris, le 14 août 2019

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