Lu, vu, entendu

Dieu, l’avenir de l’homme ? (à propos de « Et l’homme devint Dieu » de Henry Quinson)

« L’ontogenèse récapitule la phylogenèse » : cet adage d’Ernst Haeckel -biologiste oublié du 19ème siècle qui a aussi inventé le mot « écologie »-, Henry Quinson, qui fut trader et puis moine, conseiller spirituel également du film « Des hommes et des dieux », l’applique au développement cognitif et spirituel de l’humanité. De la même façon que, dans l’ordre de la nature, le phénotype passe entre sa conception et sa naissance par toutes les grandes étapes de l’évolution -de l’organisme unicellulaire au fœtus en passant par tous les stades de développement de l’embryon-, dans l’ordre de la connaissance, comme dans celui de la spiritualité, chacun vit individuellement les étapes de l’humanisation de l’espèce. Sauf que, dans « Et l’homme devint Dieu », il inverse l’ordre du temps : dans une vision prospective et non rétrospective, ce sont les âges de la vie -qui conduisent chacun d’entre nous à passer de la petite enfance à l’âge de raison à l’adolescence puis à l’âge adulte- qui permettent de projeter l’avenir spirituel de notre espèce, en extrapolant du développement spirituel de l’individu celui d’une noosphère humaine appelée elle aussi à passer à l’âge adulte, comme l’indique le sous titre du livre, « Spiritualité pour un monde adulte ».

Dans l’ordre cognitif, nous venons juste d’entrer dans l’âge adulte, en prenant collectivement conscience, comme nous le faisons chacun pour nous même, que notre commune humanité est, comme le disait déjà Valéry des civilisations, mortelle : après la bombe atomique, la bombe à retardement écologique nous rapproche dangereusement du minuit de cette horloge de l’Apocalypse créée par quelques savants au début de la guerre froide, de cette échéance fatale pour l’humanité toute entière.

Si l’on étend ce raisonnement dans l’ordre de la spiritualité ne sommes-nous pas en train de terminer notre crise d’adolescence ? Celle pendant laquelle, à l’image de Nietzsche, « on tue le père » en annonçant la mort de Dieu, on rejette les parents, avec au passage les risques de régression pendant cette période de chamboule-tout psychologique, comme en atteste les formes de radicalisation dans des interprétations fondamentalistes des religions.

Henry Quinson récuse également le rêve infantile des transhumanistes de dépasser la mortalité somatique de l’homme dans une recherche d’immortalité. Comme son support charnel et intellectuel « homo sapiens », son« homo deus » émergent reste un mortel. Cette quête d’éternité, plutôt que d’immortalité, doit s’appuyer sur le progrès des connaissances humaines, non pour qu’une religion scientiste vienne se substituer à des religions également mortelles, comme en atteste le cimetières des croyance abandonnées, mais en intégrant au contraire le progrès des connaissances.

Chrétien et croyant, Henri Quinson continue de donner le nom de Dieu à ce que vise cette quête spirituelle, même si il en déconstruit les images infantiles que s’en est fait successivement l’humanité dans des religions qui ont laissé des traces y compris linguistiques : Zeus reste présent dans les déclinaisons latines de Dieu, et Wotan dans celles anglo-saxonnes de God.

Dans l’ordre de la science, chaque nouvelle théorie vient, en dépassant ce que Bachelard appelait un obstacle épistémologique, englober la précédente, telle une poupée russe dans une plus grande qu’elle : ainsi la rotondité de la terre s’est substituée à l’idée de sa platitude, en expliquant avec la théorie de la gravitation pourquoi c’était notre perception spontanée, puis, de la même façon, l’héliocentrisme au géocentrisme, puis l’idée d’un univers incommensurable à celui d’un monde réduit au système solaire… Même si Henry Quinson se défend d’en faire un « joker philosophique », donner le nom de Dieu à cette quête de sens, n’est-ce pas refuser de dépasser une sorte d’obstacle théologique ?

Paris, Croulebarbe, le 4 décembre 2020.

2 commentaires

  • Merci pour cette lecture sérieuse de mon « hypothèse majeure ». Votre conclusion est très stimulante : « donner le nom de Dieu à cette quête de sens, n’est-ce pas refuser de dépasser une sorte d’obstacle théologique ? » Je note que cette conclusion est une question, forme d’humilité et d’ouverture. Or celui que, faute de mieux, j’appelle encore « Dieu » (et qui est à mes yeux, lui aussi, ô combien humble et ouvert !), est et restera (entre autres) une question pour l’humanité adulte tandis que l’humanité-enfant pensait que Dieu était avant tout une réponse (sécurisante, normative, immuable, définitive) avant d’entrer dans l’adolescence qui refuse tout argument d’autorité au risque de se croire tout puissant et omniscient (illusion scientiste et transhumaniste).

    • Merci pour votre commentaire que je n’avais pas vu et que j’ai publié tardivement.
      Comme vous le dîtes, ma conclusion était en forme de question. Pour ma part, je répugne maintenant à mettre le nom de Dieu sur « l’objet » de ma quête spirituelle ; compte tenu des images que cela véhicule. Je suis adepte d’une spiritualité agnostique, au mieux, apophatique.
      Spiritualité car je crois qu’on ne peut ramener l’humain au corps et à la raison. Mais agnostique car je ne crois pas qu’on puisse apporter une réponse rationnelle à cette question.
      La spiritualité relève plus de la poésie que de la prose, et comme dit Edgar Morin, « La vie n’a pas de sens ; la poésie donne son sens à la vie ».
      En tous cas, ravi de prolonger l’échange ici.

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