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Eglise catholique : encore un petit effort pour être laïque.

Déni de justice et déni de vérité. Déni de justice, la fin de non recevoir opposée par le Vatican à la convocation du Cardinal Ladaria par le TGI de Lyon pour suspicion de complicité avec le cardinal Barbarin pour non dénonciation de crime ; déni de vérité le refus du Sénat de porter un regard indépendant sur les crimes de pédophilie dans l’église catholique. Les deux événements m’ont interrogé sur l’application du droit commun de la République à la situation particulière de l’Eglise catholique.

Église catholique :

encore un petit effort pour être laïque !

« Jésus annonçait le Royaume, et c’est l’Église qui est venue. » On se souvient de la phrase de l’abbé Loisy, initiateur de la lecture historico-critique de la bible et excommunié par le Vatican pour modernisme en 1908. Mais cette Eglise a elle-même une double nature, car si « (le) royaume (de Jésus) n’est pas de ce monde », l’Eglise, elle, y est bien, dans le monde : d’abord notion théologique (c’est le domaine de l’ecclésiologie), « sacrement du salut » et article de foi pour les chrétiens (« Je crois en l’Église, une, sainte, catholique et apostolique » dit le Credo de Nicée Constantinople), la question du statut juridique de la collectivité humaine dans laquelle elle s’incarne s’est toujours posée, au moins depuis que l’empereur Constantin en a reconnu la légalité, et la question du rapport entre les règles internes et celles de la société, dès l’origine, quand Paul de Tarse conseillait aux chrétiens corinthiens de ne pas soumettre leurs litiges aux tribunaux (« Quelqu’un d’entre vous lorsqu’il a un litige avec un autre, ose-t-il aller en procès devant les injustes, et non devant les saints? ») ; ce en quoi le fondateur de l’Eglise ne respectait peut-être pas le « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » du fondateur du christianisme. L’Eglise, « communauté des croyants », a non seulement du se réunir dans des églises de pierre, mais aussi s’incarner dans une (des) personne(s) juridique(s). La situation actuelle de l’église catholique, en France comme à l’échelle mondiale, est l’héritière d’une longue histoire de violences, religieuses, tout autant que politiques ou militaires (comme les croisades ou les guerres de religion), et judiciaires (comme l’inquisition) qui s’est stabilisée au début du 20ème siècle, et dans laquelle elle garde, malgré le principe de laïcité, un statut particulier.

Au niveau planétaire, l’église catholique est la seule religion à être représentée par un Etat, le Vatican, qualité qui lui a été accordée par Mussolini avec les accords de Latran en 1929. Ce statut d’Etat, au sens du droit international, est ce qui permet aujourd’hui au Vatican de refuser de transmettre la convocation par le TGI de Lyon adressée au cardinal Ladaria Ferrer, préfet pour la Congrégation pour la doctrine de la foi, pour avoir écrit au cardinal Barbarin qu’il fallait prendre « les mesures disciplinaires adéquates tout en évitant le scandale public« , et donc de « s’être (ce faisant) rendu complice par instruction du délit de non-dénonciation » de crime, et ce au motif que ces « actes (…) ont été accomplis en sa qualité d’agent public, au nom et pour le compte du Saint-Siège » et qu’il bénéficie de ce fait « de l’immunité fonctionnelle que le droit international reconnaît aux agents publics pour les actes accomplis au nom de l’autorité souveraine ».

Au niveau national, et si l’on met à part la situation spécifique des départements concordataires (et des DOM), l’église catholique bénéficie aussi d’un régime spécifique, celui de l’association diocésaine, résultant d’un compromis de 1923-1924 entre le gouvernement français de l’époque et le Vatican, après que celui-ci ai refusé l’application du statut d’association cultuelle prévu par la loi de 1905. Association présidée de droit par l’évêque, celui-ci, comme le roi de France dans son royaume sous l’ancien régime, est donc « empereur » en son diocèse. Conséquences : les paroisses n’ont pas d’existence juridique au regard des lois de la République (même si elles en ont une au regard du droit canon) et la conférence des évêques de France (CEF) ne peut prendre de décisions qui s’appliquent automatiquement dans tous les diocèses (comme le dit élégamment le site de la CEF, « l’entière compétence de chaque évêque dans son diocèse demeure sauve »). Ainsi s’explique le rôle limité confié à la commission nationale d’expertise sur la pédophilie créée en 2016 et présidée par Alain Christnacht, chargée uniquement de « conseiller (chaque évêque) dans l’évaluation des situations de prêtres suspectés ou convaincus d’actes de pédophilie, afin de les éclairer sur les missions pouvant être confiées à ces prêtres sans faire courir de risques à des mineurs. ». De là résulte aussi la difficulté pour les évêques de prendre collectivement, collégialement, la décision de créer une commission réellement indépendante, qui aurait de réels pouvoirs d’investigation et de prescription s’imposant à chaque évêque.

Paradoxe, ce sont les mêmes qui encensent les lois de 1901, loi libérale sauf pour les congrégations, et la loi de 1905 et la séparation des Eglises et de l’Etat, qui ont refusé le dispositif créé à l’époque, celui des associations cultuelles, pour lui préférer un dispositif spécifique à l’église catholique, celui des associations diocésaines. Cela n’a pas empêché l’église catholique d’utiliser toutes les potentialités de la loi de 1901, pour, à côté de ses pompes, développer ses œuvres : du scoutisme au secours catholique, en passant par les mouvements d’action catholique, des hôpitaux aux établissements scolaires, la loi de 1901 a tellement été utilisée par l’institution  catholique qu’elle aurait pu se voir, comme Jeanne la lorraine, ériger des statues dans ses églises.

L’église catholique est aussi la seule institution religieuse qui dispose, à proprement parler, d’un droit interne propre et codifié (ce qui, contrairement à une idée reçue, n’est pas le cas de la charia des musulmans) : le droit canonique . Ce droit qui a été l’une des matrices dans laquelle est né le droit commun, lui a aussi été longtemps concurrent, l’église réclamant le privilège du for, c’est à dire la compétence exclusive des tribunaux ecclésiastiques, pour juger les « personnes ecclésiastiques ». Même si cette exclusivité de compétence n’est plus revendiquée que pour les « matières spirituelles », cette histoire a d’autant plus laissé de traces qu’il est parfois difficile de dissocier les unes des autres : c’est ainsi que la notion canonique de « secret de la confession » a pu être opposé à la dénonciation de crimes pédophiles.

Autre particularité, même si elle n’est pas spécifique à l’église catholique, le statut des clercs comme des religieux, et  qui justifie l’existence d’un régime spécifique de Sécurité sociale (sauf pour les ministres du culte juifs et protestants qui ont intégré le régime général dès 1945), créé en 1978, et géré par une caisse autonome, la Camivac. Engagement à vie, ce n’est donc pas un contrat de travail qui lie le prêtre catholique à son église et il n’y a pas, à proprement parler, de relation de subordination avec l’évêque qui n’est donc pas, juridiquement, son patron, mais dans une certaine mesure dans la même relation que la société Uber avec « ses » chauffeurs ; il ne peut, notamment, appliquer les sanctions prévues par le code du travail en cas de faute, lesquelles ne peuvent relever que du droit canon. A contrario, le clerc accusé ne bénéficie pas de la même protection des droits de la défense qui caractérise le droit commun comme l’a souligné récemment un avocat du Nord.

On voit par là que ce qu’en des termes que Gambetta n’aurait pas désavoué, le pape François a dénoncé sous le terme de cléricalisme s’appuie sur des dispositions juridiques qui le protège, ce qu’aurait pu mettre en évidence une commission d’enquête sénatoriale si le lobby clérical ne s’y était opposé, en s’appuyant, paradoxalement, sur le principe laïque de séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Paris, le 29 octobre 2018

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