In memoriam, Sur le fil

Favoriser l’accès au droit (en hommage à Dominique Baudis).

 

J’ai été, comme beaucoup, particulièrement peiné d’apprendre la mort, jeudi dernier, de Dominique Baudis, le défenseur des droits. La dernière fois que je l’avais vu, c’était à l’occasion d’un colloque qu’il avait organisé le 2 décembre 2013, à l’Assemblée Nationale, sur l’accès aux droits. Nous avions prévu, à la suite de cet échange, de nous revoir au mois de février. Il a été contraint d’annuler. J’ai compris, depuis, la raison de cette annulation.

 

Je voulais lui proposer un partenariat renforcé entre la Cnaf et le défenseur des droits, dans le cadre de la politique d’accès aux droits que la branche Famille met en place avec sa convention d’objectif et de gestion 2013-2017. En hommage à son action, je renoue avec ce blog en développant les idées que j’avais avancées ce jour là et qui devaient servir de base à cet échange que nous n’avons pu prolonger du fait de sa disparition.

En hommage à Dominique Baudis

Favoriser l’accès au droit

 

Les difficultés d’accès aux droits sont de différentes natures : la non-connaissance des droits, la complexité des procédures, les difficultés d’accueil ou d’accompagnement. Le non recours aux droits peut aussi être plus ou moins volontaire, par crainte des effets de stigmatisation par exemple. En fait, les raisons profondes du non recours aux droits ne sont pas si bien connues que cela. Un travail de recension et d’approfondissement des études est en cours qui débouchera sur un séminaire en septembre.

 

En revanche on sait que le non recours aux droits est, pour les prestations délivrées par la branche Famille, souvent très important. Cela est lié au fait, notamment, que les prestations sont sous conditions de ressources. Les montants en jeu sont bien supérieurs à ceux de la fraude[1] qui en est l’image inversée dans le miroir du droit. Cette situation n’est pas satisfaisante. Le droit à la sécurité sociale, inscrit depuis 1946 dans la déclaration universelle des droits de l’Homme (article 22 : Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale) est un « droit créance » et non un « droit liberté », qui doit donc être exercé si l’on veut que ce droit soit effectif.

 

L’action pour un meilleur recours aux droits commence donc d’abord, comme le rappelait Dominique Baudis le 2 décembre, par l’information. L’information vers le grand public sur les droits auxquels chacun peut prétendre : d’où le développement en cours d’une politique de communication plus active de la branche Famille.

 

Elle passe également, comme il le soulignait d’ailleurs aussi le même jour, par la simplification. La simplification, pour l’allocataire, c’est d’abord d’éviter de lui demander des pièces inutiles ; inutiles soit parce qu’on en a pas besoin[2], mais aussi parce qu’on peut se les procurer autrement, auprès d’autres institutions, ou enfin parce qu’on peut lui substituer une déclaration[3], au profit d’une déclaration (qui pourrait être une télédéclaration, ce qui évite de se déplacer ou de poster des dossiers souvent lourds). Cela suppose pour le dernier point, de renforcer parallèlement la lutte contre la fraude, pour faire la chasse aux fausses déclarations et pour les sanctionner fortement, et avoir un effet dissuasif[4].

 

Enfin l’accès aux droits nécessite d’aller au devant des bénéficiaires potentiels. C’est le sens des 100 000 rendez-vous des droits prévus dans la convention d’objectifs et de gestion de la branche Famille. Il s’agit, à l’occasion d’un contact avec un allocataire, pour une demande de Rsa par exemple, ou pour une sortie de congé parental[5], de faire le point sur l’ensemble de sa situation et de lui permettre de bénéficier de l’ensemble des prestations auxquelles il a droit, comme d’ailleurs des services dont il peut bénéficier, comme l’accès à une crèche.

 

Il faudrait que nous soyons en mesure de ne pas seulement attendre que les personnes et les familles viennent vers nous, mais que ce soit nous qui allions aussi vers eux. Il faudrait pour cela que nous puissions repérer ceux qui pourraient bénéficier de droits potentiels. Les techniques de ciblage, dîtes de « data mining », que nous utilisons pour lutter contre la fraude, pourraient être utilisées aussi pour identifier ces bénéficiaires potentiels.

 

Nous devrions pouvoir accéder pour cela, comme ont réussi à le faire nos voisins belges, aux données des autres administrations (impôts, Pôle emploi, Mdph, etc…). Cela sera possible le jour où on aura réussi à mettre en place un système d’échange généralisé des données : c’est ce qui a été fait en Belgique, avec la banque Carrefour de la Sécurité sociale[6]. En attendant, un partenariat pourrait être engagé avec les acteurs du social, par exemple avec les centres sociaux, pour orienter vers les Caf les personnes concernées (et les aider aussi par la même occasion à faire leurs démarches).

 

Enfin, l’accès aux droits peut aussi être limité par une interprétation trop restrictive de la réglementation que peuvent en donner les administrations et dans notre cas les Caisses d’allocations familiales. D’où le développement de la médiation, pour permettre de gérer de façon non contentieuse les désaccords entre les allocataires et leurs caisses ce qui permet le développement de la médiation dans les Caf[7]. L’accès aux droits c’est aussi donner un visage plus humain à la sécurité sociale. Les dispositifs de médiation en font parti, et ont été une des missions reprises par le défenseur des droits lors de la création de cette institution à qui Dominique Baudis a donné toute sa place.

Poursuivre ce travail est le plus bel hommage que nous puissions lui rendre.

 

Paris, le 16 avril 2014


[1] Selon l’ouvrage « En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté » (Atd Quart Monde, Edition de l’atelier), s’appuyant sur les travaux de l’Odenore, le non-recours représenterait 11 milliards d’Euros, contre 4 milliards pour la fraude estimée.

[2] Par exemple, éviter de demander à l’allocataire du Rsa une déclaration annuelle de revenu égale à zéro, alors qu’il a déjà fait quatre déclarations trimestrielles égale à zéro, ce qui va être supprimé à la suite des propositions que j’ai faites au gouvernement en décembre

[3] Par exemple l’attestation de scolarité pour bénéficier de l’allocation de rentrée scolaire pour les 16-18 ans sera supprimée à la rentrée prochaine

[4] La fraude est moins importante pars ses montants, qu’il faut bien sur réduire au maximum, que par ses effets délétères sur le sentiment de solidarité (c’est ce qui m’a amené à parler de « cancer de la solidarité ». Je reviendrai dans un prochain blogue sur l’importance de la lutte contre la fraude.

[5] J’ai signé le vendredi 11 avril avec Pôle emploi, sous l’égide de la ministre des droits des femmes, Najat Vallaud Belkacem, et du ministre du travail, François Rebsamen, une convention qui permet d’organiser un rendez-vous au moment de la sortie du congé parental à la fois pour aider les parents, les femmes notamment, à pouvoir bénéficier des dispositifs d’accueils de la petite enfance et retrouver un emploi (sachant que 40% des parents ne trouvent pas d’emploi au sortir d’un congé parental).

[6] En respectant bien entendu les normes en matières d’informatique et libertés (voir l’organisation de la banque carrefour de la Sécurité sociale Belge : http://www.ksz-bcss.fgov.be/ )

[7] Ce que j’avais, en son temps, développé à la Msa, avec le médiateur de la République de l’époque

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