Lu, vu, entendu

Fraternité j’écris ton nom (suite, 4). Sur « La fraternité, pourquoi ? » d’Edgar Morin

Ce n’est peut-être pas le plus grand livre d’Edgar Morin. En tous cas c’est l’un des plus courts, une sorte de cahier, d’écolier bien sûr, où l’un des penseurs, pour moi l’un des plus féconds, qui nous a aidé, ou du moins à essayé de nous aider, à sortir du vingtième siècle, explore, à partir de sa vision du monde, celle de sa complexité, mais aussi de son expérience personnelle, la question de la fraternité.

On pourra considérer qu’il ouvre ici nombre de portes qu’il avait déjà ouvertes. Mais quel bonheur de le voir livrer une sorte de testament, témoignage et passage de témoin à la fois, sur ce qui est probablement la clé de voute de l’arche républicaine, une République, cette « chose commune », étendue à l’ensemble de l’humanité, étendue, à l’heure des périls communs et de  de la mondialisation, à l’échelle de la planète.

De ses fondements biologiques (la coopération des cellules entre elles, ou les symbioses) et écologiques (les écosystèmes), à la coopération, à l’entraide (cette autre loi de la jungle), plus ou moins volontaire ou consciente des humains entre eux, toujours soumise à la tension entre unité et rivalité, entre concorde et discorde, entre éros (l’amour, je m’attendais plus à agapé) et polémos (le conflit, qui conduit à thanatos, la mort), la fraternité est une construction toujours fragile.

Émouvante de ce point de vue, l’évocation des moments de fraternité qu’il a connus (dans la Résistance ou à Libération de Paris, la Révolution des œillets, l’explosion de mai 68 ou la chute du mur, les communautés de vie et la contre-culture, ou encore les fraternités intellectuelles), moments provisoires et solaires, moments éphémères à régénérer sans cesse, mais moments de fraternité vécus, qui constituent autant d’oasis dont il préconise la multiplication.

Individualisme et mondialisation ont des effets paradoxaux sur ce projet « fraternité » : d’un côté, ils libèrent l’homme de ses chaînes et le confronte à des défis communs ; de l’autre, ils dissolvent les formes traditionnelles de solidarité, qui en ont été les principales traductions concrètes, avec le risque de revenir à des solidarités fermées.

Mais la solidarité n’est pas le tout de la fraternité ; elle n’en est qu’une des expressions, juridique et donc froide, et historiquement datée. Pour régénérer la fraternité, Edgar Morin appelle à un « humanisme régénéré » permettant de développer « une conscience d’humanité » qui dans le même mouvement dialectique (ou plutôt dialogique, pour reprendre un néologisme qui lui est cher) soit à la fois l’horizon et le chemin .

« La fraternité, moyen de résister à la cruauté du monde doit devenir but sans cesser d’être moyen.  Le but ne peut être un terme, il doit devenir le chemin, notre chemin, celui de l’aventure humaine ».

 

Paris, les 14 et 26 juillet 2019.

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