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La laïcité, une chance pour les religions (Laïcité j’écris ton nom, 8)

Sur la laïcité et la religion, on a souvent eu tendance à opposer les partisans d’une « laïcité ouverte », ou positive, à ceux d’une « laïcité radicale », ceux que Maurras paraît-il appelait les laïcards, intolérante vis à vis des religions. Avec d’un côté ou de l’autre les excès de leurs thuriféraires, de Sarkozy mettant le curé plus haut que l’instituteur, à Valls voulant interdire un maillot de bain certes revendiqué comme signe religieux sur les plages de France.

D’aucuns en tirent la conclusion que la laïcité est un concept juridiquement flou et de surcroît spécifiquement français. Rien n’est moins vrai : la laïcité est un concept juridique complexe et c’est son application à des situations concrètes qui est sujette à des appréciations, car elle doit tenir compte des principes mais aussi des circonstances ; elle pourrait aussi s’appliquer, à condition de tenir compte du contexte, à d’autres nations qui n’ont pas la même histoire que nous. Car la laïcité ce n’est rien d’autre que la traduction juridique, dans le domaine des convictions religieuses, de la devise de la République, qui ont aussi inspiré la déclaration universelle des droits de l’homme.

La laïcité, c’est d’abord la liberté ; la liberté de croire ou de ne pas croire, mais aussi la liberté d’exprimer ses convictions dans l’espace public, dès lors que cette liberté ne vient pas remettre en cause la liberté des autres. De là l’application du deuxième principe : la laïcité c’est aussi l’égalité ; l’égalité de droit pour chacun, quelle que soit sa conviction (ce en quoi le statut des « musulmans » dans les départements français d’Algérie était fondamentalement contraire au principe de laïcité), et donc égalité des religions elle-mêmes, aucune ne pouvant être supérieure à une autre (comme c’était le cas dans la France catholique d’ancien régime). D’où son corollaire, avec lequel on la confond souvent : la neutralité religieuse, non pas de l’État uniquement, mais de la République, c’est à dire de toutes les institutions qui l’incarnent, c’est à dire les collectivités territoriales et la Sécurité sociale. D’où l’interdiction absolue de manifester ses convictions pour toute personne, quelle que soit sa responsabilité, qui travaille dans une de ces institutions.

La laïcité enfin, c’est une des conditions de la fraternité : l’expérience des guerres de religion nous a montré à quel point l’opposition des convictions religieuses pouvait conduire à des violences extrêmes. La laïcité ne se confond pas avec la tolérance, elle est plus exigeante, mais elle commence avec la tolérance qui conduit à ne pas voir un ennemi dans celui qui ne croit pas comme nous. Elle conduit à regarder comme un frère ou une sœur en humanité, celui qui croit au ciel, et ce quelle que soit la façon dont il croit, et celui qui n’y croit pas.

Exigeante, plus que la tolérance, elle l’est d’abord, à rebours de la culture juridique anglo-saxonne, pour les religions, (comme d’ailleurs pour l’athéisme), pour qui elle constitue, par là même, une chance en les obligeant à se dépasser.

Au delà de la tolérance vis à vis des autres religions, la laïcité oblige en effet chacune d’entre elles à reconnaître la liberté religieuse, y compris pour ses membres, ce que, rappelons le, l’église catholique n’a fait qu’au moment de Vatican II, sans en avoir d’ailleurs toujours tiré toutes les conséquences, et que ne reconnaît pas l’islam quand il interdit l’apostasie ou criminalise comme blasphème, l’atteinte à la divinité, en laquelle on peut croire ou non.

La laïcité c’est aussi considérer que, si les religions ont leur place dans l’espace public, l’espace propre à chaque religion n’est pas un espace clos sur lui-même, qu’elle organiserait en dehors des institutions démocratiques. C’est ce qui a conduit les pouvoirs publics à qualifier certaines pratiques religieuses de dérives sectaires. C’est ce qui conduit aussi à lutter contre le communautarisme islamiste dans les quartiers où la pression sociale finit pas imposer l’application de l’interprétation salafiste de la charia.

C’est aussi ce qui avait conduit Témoignage Chrétien à demander la création d’une commission d’enquête parlementaire, pour soumettre les dérives pédophiles d’une partie du clergé catholique au regard de la représentation nationale ; demande à laquelle on a faussement opposé le principe de séparation des églises et de l’État, comme si celui-ci conduisait à ce qu’elles puissent, dans une société démocratique, s’organiser sur un modèle anti-démocratique. C’est pour les mêmes raisons que les républicains étaient, en 1901, défavorables aux congrégations religieuses, non pour restreindre la liberté d’association, mais parce qu’elles imposent à leurs membres des vœux perpétuels. Ou que le compromis qui a conduit dans les années vingt à la constitution d’associations diocésaines, présidées par principe par l’évêque du lieu, c’est à dire un homme, un clerc, nommé par le pape, n’est fondamentalement pas conforme au principe de laïcité.

Enfin et surtout la laïcité exige des religions qu’elles se laissent interroger par l’évolution des connaissances humaines. Non seulement la laïcité interdit de mettre à l’index l’œuvre de Copernic, de bruler Giordano Bruno, ou de faire le procès de Galilée, mais elle inverse, si l’on peut dire, la charge de la preuve : c’est aux religions d’intégrer l’évolution des connaissances, et non l’inverse. Il est fondamentalement contraire à la laïcité que d’enseigner le créationnisme au même titre que la théorie de l’évolution, comme le font certains États américains, alors qu’on ne compte plus les confirmations qui ont été données depuis plus d’un siècle et demi aux hypothèses fondamentales de Darwin. C’est aux théologiens qu’il appartient de dire, comme avait pu le faire en son temps avec génie, Teilhard de Chardin, en quoi l’hypothèse d’une vie spirituelle dont chacun peut, ou non, avoir l’intuition ou faire l’expérience, est compatible avec la description scientifique du monde matériel et non aux scientifiques d’adapter leurs théories aux dogmes religieux.

De ce point de vue, la laïcité est aussi pour les religions une forme d’hygiène spirituelle ; une sorte de corde de rappel pour leur éviter de retomber dans leur péché mignon depuis qu’elles existent : l’obscurantisme.

Paris, le 20 juillet 2019

 

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