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La modernisation de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles.

 

Le rapport sur « La modernisation de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles » a été élaboré dans le cadre d’un groupe de travail rassemblant les partenaires sociaux, les représentants des usagers, les caisses et les administrations concernées. Il propose des évolutions concernant :

  • La réparation des accidents et maladies professionnelles, de façon à éviter de distorsions préjudiciables avec les autres modes d’indemnisation des causes de handicap.
  • L’harmonisation des bases de calcul des indemnités journalières avec celles relatives à la maladie et à la maternité.
  • La mise en place d’un système de reconnaissance des maladies professionnelles complémentaire de celui des tableaux.

Seule ces dernières ont fait l’objet de disposition législatives rapides, mais les deux autres questions restent d’une actualité renouvelée.

 

Bien qu’elle ait un caractère fondateur pour la protection sociale, en France comme dans nombre de pays européens, la législation relative à la réparation des accidents du travail et maladies professionnelles a fait l’objet de peu de travaux de l’Igas. La publication en 1991 du rapport du groupe de travail présidé par Georges Dorion  constitue ainsi une contribution importante à la connaissance et à la compréhension de cette législation et de son application.

Par lettre de mission en date du 1er juin 1990, que le ministre de la solidarité, de la santé et de la protection sociale de l’époque, Claude Evin, confiait à Georges Dorion, inspecteur général des affaires sociales une mission de concertation et de proposition sur les évolutions nécessaires de la branche « accident du travail et maladies professionnelles », pour laquelle Michel Lucas a désigné Daniel Lenoir comme rapporteur.

En fait la lettre de mission visait, non à « embrasser tous les aspects » de cette législation, mais à traiter trois questions que l’actualité, pour des raisons de nature différente, mises en avant, ce qui conduisait néanmoins à revenir sur les fondamentaux de ces dispositions :

  • La première question portait sur les fondements de la réparation effectuée par la branche ATMP, réparation qualifiée de forfaitaire du fait de la responsabilité sans faute de l’employeur, et donc réputée moins avantageuse ou, du moins, moins adaptée que la réparation intégrale résultant des évolutions jurisprudentielles.
  • La seconde concernait le mode de fixation des indemnités journalières, et notamment, dans une optique de simplification, sur leurs bases de calcul.
  • La troisième portait sur les limites d’une reconnaissance des maladies professionnelles basée sur le système des tableaux, notamment dans le contexte où ceux-ci ne permettait pas de reconnaître les conséquences de l’exposition à l’amiante.

La mission s’est déroulée, principalement, en s’appuyant sur un groupe de travail, composé de représentants des organisations syndicales et patronales, d’associations de victimes, des caisses nationales (assurance-maladie, MSA) et des administrations concernées, ainsi que de personnalités qualifiées. Les séances du groupe ont été préparées par des investigations conduites en étroite relation avec le bureau chargé des accidents du travail et maladies professionnelles de la DSS qui a fourni de nombreux éléments de constat et d’analyse.

Si l’accord s’est fait assez facilement sur les constats, il n’a pas été possible de trouver un consensus sur les solutions, notamment en raison de la contrainte fixée à la mission de faire des propositions « à enveloppe constante », et le rapport élaboré sous la responsabilité du président et du rapporteur a conduit à des propositions qui visaient à trouver des solutions innovantes permettant de concilier des points de vue contradictoires :

  • Sur la question de la réparation, la proposition essentielle visait à repenser le barème « ATMP », en cohérence avec les autres dispositifs d’évaluation, en s’inspirant pour cela de la classification internationale des handicaps (CIDIH[4]) pour apprécier non seulement la lésion, mais aussi son impact fonctionnel, et ses conséquences professionnelles.
  • Sur la question des IJ, les propositions visaient, non à modifier les principes d’une indemnisation supérieure aux arrêts maladie pour les arrêts liés à un accident de travail, mais à harmoniser les bases de calcul des différents systèmes d’IJ.
  • Sur la question de la reconnaissance des maladies professionnelles, la principale proposition portait sur la mise en place d’un système de reconnaissance des maladies professionnelles complémentaire de celui des tableaux, permettant la reconnaissance, sur la base d’expertise individuelle, pour des affections non décrites dans les tableaux, dès lors qu’elles étaient « essentiellement » d’origine professionnelle.

 

Les suites ont été différentes sur chacun des trois domaines.

L’un des trois a fait l’objet d’une application rapide : c’est la mise en place en 1993[5], d’un système complémentaire de reconnaissance des maladies professionnelles, pour les maladies ne répondant pas aux critères des tableaux. Celui-ci repose sur la démonstration d’un « lien direct et essentiel » de causalité entre la pathologie et l’activité professionnelle (et non plus sur une présomption d’origine ou d’imputabilité) reconnue par un Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP), composé de trois médecins : le médecin conseil régional ou son représentant, un médecin inspecteur du travail et un professeur d’université-praticien hospitalier ou un praticien hospitalier.

Il permet l’étude au cas par cas, et le cas échéant l’indemnisation :

  • de pathologies inscrites aux tableaux mais ne répondant pas à tous les critères (durée d’exposition, délai de prise en charge, exposition professionnelle non décrite dans la liste limitative des travaux)
  • de maladies ne figurant pas aux tableaux , « mais directement et essentiellement imputable à l’activité professionnelle habituelle de la victime.

Il avait aussi pour objectif de permettre de faire évoluer plus rapidement les tableaux.

Il faut souligner que la question sous-jacente de l’indemnisation des travailleurs victimes de l’exposition à l’amiante a trouvé une autre solution, avec la création en 2001[6] du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva), chargé d’assurer à celle-ci une « réparation intégrale ».

En ce qui concerne les modalités de calcul des indemnités journalières, même s’il y a eu quelques évolutions, du mode de calcul, notamment pour éviter que l’indemnisation ne se révèle supérieure au revenu d’activité, l’harmonisation des bases de calcul reste d’une grande actualité avec la mise en place de la DSN, comme l’a illustré un récent rapport auquel l’Igas a contribué[7]

En revanche les travaux n’ont pas été réellement engagés sur la partie la plus importante du rapport, celle relative à l’indemnisation du préjudice subi, et qui s’inscrivait dans une perspective d’harmonisation des bases d’évaluation des différentes formes de handicap.

 

Pourquoi avoir choisi de rendre compte de cette mission?

Je cherchais une mission effectuée sous le mandat de Michel Lucas, qui en était le chef au moment où j’ai rejoint l’Igas où je me suis réellement formé aux politiques sociales et à leur gestion, et pour illustrer cette période. Pourquoi avoir choisi celle-ci, qui n’est pas une mission qui fait appel à nos compétences de contrôle, d’audit, ou d’évaluation, qui sont les bases de notre métier ? Outre Michel Lucas, c’était aussi l’occasion de marquer le souvenir de Jean-François Brouté[8], qui avait été, au cabinet de Claude Evin, à l’origine de cette mission.

Au demeurant, le choix de Michel Lucas de m’affecter à cette mission faisait suite à une précédente mission, effectuée avec le soutien du bureau chargé des ATMP de la DSS, et visant à tester un logiciel de type « système-expert » pour le contrôle par les Drass[9] de la liquidation des rentes ATMP par les caisses (et dont la conclusion principale avait été qu’il aurait mieux valu aller contrôler le système informatique mis en place par la Cnamts, que de contrôler la liquidation, les « erreurs de liquidation» n’étant que le reflet des différences d’interprétation de la législation entre les deux logiciels[10]) ; cette mission qui s’inscrivait dans nos fonctions traditionnelles m’avait permis d’acquérir une bonne connaissance d’une législation complexe et assez spécifique, et, comme indiquée plus haut, fondatrice du droit de la sécurité sociale, mais qui garde aussi des traces de son origine civile et assurancielle.

Je dois souligner aussi le compagnonnage avec Georges Dorion[11], inspecteur général issu de l’inspection générale de la Sécurité sociale[12], et qui avait été chef de service à la DSS, et la bonne articulation entre sa gestion politique du groupe de travail et les travaux d’expertise technique que j’ai développés, avec le soutien de Jean-Marc Bétemps à l’époque au bureau chargé des ATMP.

C’est, de ce point de vue, ma première expérience en matière de gestion concertée des politiques sociales, avec l’équilibre à trouver entre les partenaires sociaux, mais aussi l’émergence des représentants des usagers, représentés dans le groupe par la Fnath[13], qui participera plus tard au mouvement pour la représentation des usagers avec le Ciss et l’UFC.

Enfin c’est une mission de réflexion et de concertation sur l’évolution d’une politique sociale, avec un débouché rapide, et avec l’exploration de sujets qui sont restés d’une grande actualité : celui de l’harmonisation du mode de calcul des prestations, dont j’ai pu percevoir les difficultés de les faire aboutir, pour ne pas parler de blocages, dans mes diverses fonctions gestionnaires ensuite, et celui de l’harmonisation de l’évaluation des handicaps, auquel j’ai d’ailleurs été amené à m’intéresser à nouveau récemment[14].

Paris, le

 

[1] François Ewald, « L’Etat-providence », Grasset, 1986

[2] Daniel Lenoir « L’Europe sociale », La découverte, 1994

[3] Georges Dorion, Daniel Lenoir « La modernisation de la réparation des accidents du travail et maladies professionnelles », La documentation française, juillet 1991

[4] Devenue en 2001 la CIF, classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé.

[5] Loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social.

[6] Loi du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001,

[7] Cf. Jean Luc BERARD, Pr Stéphane OUSTRIC, Stéphane SEILLER « Plus de prévention, d’efficacité, d’équité et de maîtrise des arrêts de travail Neuf constats, vingt propositions », janvier 2019.

[8] Membre de l’Igas également, et décédé le 2 décembre 1991, à ‘âge de 37 ans.

[9] Qui à l’époque assuraient la tutelle et le contrôle des caisses, fonction transférée, au moment de la création des ARS, à la Mission nationale de contrôle (MNC).

[10] Cf. « Informatique et gestion des politiques sociale » (Revue française des affaires sociales, 1995) coord. Daniel Lenoir

[11] J’ai eu le plaisir de retrouver Georges sur d’autres terrains, notamment quand, une fois à la retraite, il a assuré, sur ma proposition, l’administration provisoire de la caisse de MSA de Corse, alors que j’étais moi-même directeur général de la caisse centrale de la mutualité sociale agricole.

[12] L’Igas résultait depuis 1967, de la fusion fonctionnelle des trois inspections générales, de la sécurité sociale (où j’avais été nommé à la sortie de l’Ena), du travail et de la main d’œuvre, et de la santé publique, avant sa création en tant que corps unique par le décret

[13] Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés, auparavant Fédération nationale des mutlés du travail, créée en 1921, et devenue depuis Association des accidentés de la vie.

[14] Daniel Lenoir (avec la participation d’Hervé Droal) Améliorer et simplifier la compensation du handicap pour les enfants, Igas, juin 2019

 

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