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Leçons de laïcité pour un pouvoir désorienté : à propos de « De la laïcité en France », de Patrick Weil (Laïcité, j’écris ton nom, 22)

On le sait l’histoire ne se répète, ni ne bégaie ; même pas sous forme de farce après la tragédie, comme le suggérait Karl Marx pour Louis Napoléon Bonaparte après le 1er du nom. En revanche, il est possible de trouver dans le passé, avec les sujets d’aujourd’hui, sinon des concordances, du moins des résonances. Ainsi, la façon dont les débats qui ont précédé et suivi la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État résonnent avec les nôtres est au cœur du dernier livre de Patrick Weil, comme aussi les différences, et parfois, les discordances. Un détour par l’histoire qui permet aussi de soigner l’hystérisation croissante -que l’auteur appelle la « polarisation mortifère »–  des débats sur la laïcité. On peut aussi dégager de ce « moment 1905 » des leçons à l’usage d’un exécutif qui se comporte sur la laïcité comme une gallinacée qui aurait trouvé un couteau suisse.

Première leçon, la laïcité n’est pas née avec la loi de 1905, mais s’est imposée à l’issue d’un long processus qui a commencé dès le début de la troisième République, quand elle se fut affranchie des tentations monarchistes et versaillaises, qui lui même plonge ses racines dans les valeurs issues de la Révolution française, avec l’affirmation des libertés de conscience et d’expression.

Deuxième leçon, la loi de 1905 est le résultat de la conjonction d’un travail préparatoire approfondi, et largement consensuel, et d’un incident diplomatique entre la France et le Vatican, quand celui-ci s’est avisé de condamner dans une note adressée aux souverains européens catholiques que l’un d’entre eux (et oui), le Président de la République Française, se soit rendu à Rome pour rencontrer le roi d’Italie sans avoir préalablement demandé l’autorisation au pape Pie X (qui d’ailleurs l’avait refusé aux autres souverains) ; note que le prince de Monaco s’est empressé de faire fuiter à Jean Jaurès, qui l’a publié en une de l’Humanité. Cela a précipité le vote d’une loi de séparation, qui avait été tellement bien préparée que le Sénat l’a voté dans les mêmes termes que le texte qui avait été adopté par l’Assemblée, ce qui a évité une navette qui aurait pu se prolonger longtemps sous la troisième République.

Troisième leçon, malgré ce travail préparatoire, et malgré l’accord implicite du parti catholique, la loi s’est trouvée confrontée à une opposition de principe du même pape, d’un pape qui « ne conçoit qu’un seul type d’État, catholique, rendant « un culte public à Dieu » », opposition à laquelle ses promoteurs, Aristide Briand et Georges Clemenceau, ne s’étaient pas préparés et qui a failli plonger la France dans la guerre civile.

Quatrième leçon, les deux promoteurs ont su réagir en alliant fermeté vis à vis des clercs -et beaucoup d’ecclésiastiques se sont retrouvés condamnés par les tribunaux au titre de la police des cultes instituée par la loi de 1905-, et main tendu vis à vis des catholiques en évitant de les empêcher de pratiquer leur religion. Ils ont résisté tant à la tentation de la persécution des croyants, qu’à celle de céder à une Église catholique prête à en découdre pour maintenir son imperium sur les consciences et sur la société française.

Cinquième leçon, l’Église romaine n’a jamais accepté le cadre démocratique des associations cultuelles posé par la loi de 1905 (le compromis s’est fait, avec la réconciliation qui a suivi la grande boucherie de 14-18, sur des associations diocésaines qui ne sont ni démocratiques ni compétentes pour le culte),  et a tenté, avec le régime de l’État français de rétablir son imperium. Ce n’est qu’après la Libération que les catholiques, du moins ceux qui s’étaient illustrés dans le Résistance, se sont réellement ralliés à la laïcité, qui est devenu à ce moment principe constitutionnel, et ce n’est qu’avec Vatican 2, soixante ans après la loi de 1905 que l’institution en a réellement accepté les principes.

Il y a bien des choses intéressantes dans ce livre, notamment sur la place des cultes dans l’espace public, ou sur, au delà des sensibilités et des histoires différentes, la proximité juridique entre la France et les États-Unis, qui sont davantage connues. Mais les cinq leçons que je dégage de sa lecture me semblent les plus utiles pour aborder les débats d’aujourd’hui, non pour les transposer mais pour s’en inspirer, même si c’est avec une autre religion, l’islam, et dans une société profondément sécularisée.

Paris, Croulebarbe, le 23 mai 2021

 

Un commentaire

  • Merci Daniel, je me suis toujours demandé pourquoi la « laïcité à la française » et tu m’as aidé à comprendre, je n’avais jamais entendu cette histoire du Président de la République rendant visite au roi d’Italie sans demander l’autorisation du Pape… Excellent

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