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Les dimensions internationales de la protection sociale

Juste après ma prise de fonction à la tête de la branche famille, Pierre Raymond-Baldié à l’époque directeur général adjoint de l’EN3S, m’a interviewé pour la revue Regards dans le cadre d’un numéro consacré aux dimensions internationales de la protection sociale. C’était pour moi l’occasion d’afficher les objectifs de la Branche famille au niveau européen et international.

Les dimensions internationales de la protection sociale

PRB : Pour vous, en quoi la dimension internationale de la Protection sociale revêt-elle un enjeu particulier et pourquoi le sujet est-il important ?

DL : Il faut d’abord distinguer la dimension européenne et la dimension internationale. Même si l’Europe sociale n’a pas pris l’importance qu’on aurait pu croire [1]. Les politiques sociales sont de plus en plus impactées par les politiques ou par les jurisprudences européennes. C’est la raison pour laquelle j’ai toujours considéré comme essentiel que les organismes de protection sociale puissent (en relation étroite évidemment avec la Représentation permanente) assurer une veille européenne ; et c’est ce qui m’avait conduit à participer, il y a un peu plus de dix ans, à la création de la représentation européenne des institutions françaises de Protection sociale (la REIF) : il faut dire que je dirigeais à l’époque la MSA et que j’avais eu à gérer les conséquences de l’arrêt Coreva qui auraient pu être anticipées.
La dimension internationale proprement dite concerne deux autres domaines d’ailleurs complémentaires : la présence dans les institutions internationales et la coopération. Dans les deux cas, il s’agit de promouvoir le développement de la Protection sociale et de définir des sortes de « standards » internationaux et d’échanger sur les bonnes pratiques pour tendre toujours vers la meilleure efficacité possible de nos systèmes. Dans le contexte de la mondialisation [2], que ce soit pour éviter des pertes de compétitivité liées à des écarts trop importants des niveaux de Protection sociale, ou des pressions démographiques trop fortes à nos frontières ou, plus généralement, pour valoriser notre « modèle social », cette présence me paraît essentielle [3].

PRB : Comment voyez-vous le mode de travail des organismes de Sécurité sociale sur le sujet (quels sont leurs atouts, quelles sont leurs zones de progrès) ?

DL : Dans toutes les fonctions que j’ai exercées depuis maintenant plus de 20 ans, j’ai participé à ces travaux que ce soit dans la Sécurité sociale, mais aussi à l’IGAS ou dans la mutualité, ou encore dans la santé. Je trouve d’abord que la place de la Protection sociale dans le système des nations unies, avec une simple association, l’AISS, abritée par le BIT, n’est pas suffisamment forte.

En ce qui concerne la coopération, nous avons développé un savoir-faire et une présence grâce notamment à l’ADECRI, mais qui reste en deçà de ce que je crois que nous pourrions faire.

À cet égard, la création du GIP SPSI n’a pas donné les résultats que ceux, et j’en fais partie, qui avaient poussé à sa création escomptaient, quand à notre capacité à développer une expertise française reconnue. Peut-être n’avons-nous pas réussi à nous doter d’une doctrine et d’une conception communes partagées et engageante parce que trop préoccupés par nos propres rivalités ou notre culture des différences (entre régimes obligatoires et complémentaires, entre les différents régimes ou entre les différentes branches). Or, celles-ci sont incompréhensibles vu de l’étranger. Par ailleurs, si nous avons développé des champs de coopération avec l’Amérique latine, avec l’Asie, avec le Maghreb et un peu avec le Moyen-Orient aussi, nous avons délaissé l’Afrique sub-saharienne.

A contrario, nous avons aussi beaucoup à apprendre, voire à prendre, dans les politiques ou les modes de gestion mis en œuvre par nos partenaires étrangers : identifier les meilleures pratiques, les analyser et s’en inspirer est aussi un axe de travail de notre action à l’international.

PRB : Pour la CNAF, quelles sont les priorités à trois ans dans le domaine ?

DL : Pour la branche Famille (et pas seulement pour la CNAF et j’inclus aussi les partenariats que je souhaite avec la MSA qui gère aussi les prestations familiales), mes priorités sont au nombre de trois :

  • consolider (avec les autres branches et les autres régimes) la représentation européenne ;
  • poursuivre le travail dans les instances internationales sur le rôle de l’investissement social, non seulement à l’AISS (où Jean-Louis Deroussen a fait, en tant que Président de la commission technique famille, une communication remarquable au dernier congrès, qui n’a pas été suffisamment relayée [4]), mais aussi au BIT, qui développe cette approche, à la FAO dans le cadre de son programme pour éradiquer la faim d’ici 2030 [5] à l’OMS et pourquoi pas à l’OMC ;
  • poursuivre les nombreux échanges bilatéraux qui existent d’ores et déjà, mais en essayant de développer encore d’avantage les coopérations et en relançant les contacts avec les pays d’Afrique sub-saharienne. À cet effet, nous venons de créer, avec Gilles Kounowski qui a succédé à Philippe Steck comme Directeur des relations européennes, internationales et de la coopération, un groupe de CAF ressources à l’international, qui permettra de prolonger et d’amplifier l’élan qu’il a donné à cette activité de la branche Famille.

Notes
[1] Daniel Lenoir, L’Europe sociale, La Découverte, 1994.
[2] Socle de Protection sociale pour une mondialisation juste et inclusive, rapport du groupe consultatif présidé par Michelle Bachelet mis en place par le BIT avec la collaboration de l’OMS, BIT 2011.
[3] Voir à ce sujet le papier de Philippe Steck dans ce numéro.
[4] Jean-Louis Deroussen, Catherine Collombet, Les politiques d’investissement social à travers le monde, AISS, Doha novembre 2013.
[5] Frédéric Dévé, Une allocation monétaire aux plus pauvres est le moyen le plus efficace pour lutter contre la faim, Le Monde, 20 juin 2013.

Addendum :

En publiant ce papier sur mon blogue, j’ai constaté qu’avec Gilles Kounovski, nous avions en grande partie réalisé les objectifs que nous nous étions donnés :

  • Le plus important pour moi, l’un de mes motifs de fierté, la consolidation de la Reif (que j’avais contribué à créer, plus de dix ans auparavant, avec Jeannette Gros, Jean-Marie Spaeth et Yannick D’Haene), après la dissolution de l’Adecri et son intégration dans France expertise, qu’elle a failli emporter dans son sillage.
  • L’approfondissement du partenariat avec l’AISS, même si le projet de collaboration avec la FAO n’a finalement pas abouti.
  • Le développement des relations bilatérales, notamment avec les pays d’Asie, même si nous n’avons pas réussi à les étendre aux pays d’Afrique, notamment subsaharienne.

Paris le 11 septembre 2018.

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