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Les poupées russes du Ségur de la santé

Il en est du Ségur de la santé comme des poupées russes : chacune s’imbrique dans une poupée plus grande, et il n’est pas possible de la réparer, sans réparer la suivante.

La matriochka la plus petite, c’est la question de la rémunération des soignants de l’hôpital public, de ces « premiers de corvées », dont le niveau insuffisant a été mis en évidence avec la crise du coronavirus, mais qui alimentait, depuis plus d’un an, la grève dans les urgences et dans les hôpitaux, sans que l’on n’y prenne bien garde, puisque c’est une grève sans arrêt de travail, et sans que les cataplasmes mis en place depuis n’arrive à panser la plaie. Depuis des années e effet les rémunérations hospitalières ont augmenté moins vite que celles des métiers équivalents ; cela explique que nous ayons les infirmières parmi les moins bien payées de l’OCDE, et que les médecins du public soient de plus en plus tentés par les sirènes du privé, et la possibilité qu’elles leur offrent d’arrondir leurs fins de mois avec les dépassements d’honoraires. Un décrochage en forme de pente douce, mais qui nécessite aujourd’hui un ascenseur, ou au moins un escalator, estimé à un montant de 6 à 7 milliards d’€ pour le seul secteur public par la fédération hospitalière de France, et sur lesquels porte les négociations les plus dures.

En effet, our respecter un taux de progression de l’ONDAM de plus en plus contraignant, il a été plus facile, pour les budgétaires des gouvernements successifs, de jouer sur les variables sur lesquels ils ont la main, comme les rémunérations à l’hôpital public, ou l’évolution des tarifs d’activité (la fameuse TAA), plutôt que s’attaquer à la complexité des réorganisations hospitalières. Et c’est là la deuxième matriochkas. Mais là encore, on a voulu ramener la réorganisation hospitalière à une seule variable, celle du nombre de lits à supprimer ; certes la diminution du nombre de lit hospitalier n’est que la conséquence normale de la diminution, le plus souvent positive, de la durée moyenne de séjour, et, malgré son étymologie, la fonction de l’hôpital est, de moins en moins hôtelière, et de plus en plus d’abriter des plateaux techniques de qualité, médicalement efficaces. Mais un chiffre peut en cacher un autre et la crise du coronavirus a montré qu’il aurait fallu également remplacer un certain nombre de lits ordinaires en lits de réanimation. Ce qu’elle a rappelé aussi, c’est que, même de plus en plus technique, le soin doit rester un humanisme, selon la belle expression de Cynthia Fleury. Tout cela est couteux et nécessitera de repenser l’investissement hospitalier, moins pour construire de nouveaux hôpitaux, que pour développer « en même temps » les techniques de pointe et les compétences qui permettront de les humaniser, et de rémunérer correctement ces compétences, ce que la TAA ne suffira pas à faire.

Complexe aussi car la face, publique, de la matriochka ne doit pas cacher un arrière privé et qui a su tirer davantage son épingle du jeu, sans compter, pris en tenaille entre les deux, l’important secteur privé non lucratif . La crise hospitalière c’est aussi cette déchirure dans le tissu du tablier hospitalier que les ARS n’ont pas réellement réussi à raccommoder, tant les cultures et surtout les logiques économiques sont différentes.

Mais c’est surtout le tablier de la troisième matriochka, celle de l’ensemble du système de soins, qui s’est déchiré. Car la crise hospitalière trouve aussi sa source dans la crise du système de soins, notamment celle des soins ambulatoires. A commencer par celle des urgences qui est principalement le révélateur des carences d’une médecine de ville (et de campagne) qui n’arrive plus à assurer la permanence de soins, hier pendant les périodes de garde -la nuit et le weekend-, et maintenant en journée en semaine. Les solutions sont connues – substituer au traditionnel exercice libéral isolé un exercice collectif, et assurer, par des mesures contraignantes, la couverture de la totalité du territoire – mais sont longues à mettre en œuvre et nécessiteront une volonté politique forte et durable, ainsi, là aussi, que des moyens financiers. Et, de toutes façons, en attendant que cette politique produise ses effets, il faut investir dans la première ligne de soins et sortir de la suprématie du paiement à l’acte, et « en même temps » permettre aux urgences hospitalières, comme aux secours d’urgence, d’assurer cette fonction de substitution.

Mais on ne peut non plus ramener la santé aux soins nécessaires pour la faire revenir quand on est malade, et la quatrième matriochka révèle la partie la plus pauvre de notre système de santé : la prévention. Là aussi la crise du coronavirus a constitué une considérable leçon de choses, notamment sur la nécessité d’un investissement dans l’éducation à la santé de la population, une éducation qui aurait permis de mieux gérer l’ensemble de cette crise en faisant appel à la responsabilité des citoyens. Sans compter l’action sur les déterminants sociaux et environnementaux de la santé, qui pourrait s’inscrire dans une politique active de transition environnementale.

Le problème au final du Ségur de la santé, c’est que les besoins nécessaires pour réparer la matriochka la plus petite sont aujourd’hui supérieurs aux moyens que les budgétaires sont prêts à dégager pour réparer « en même temps » la plus grande. Sauf à distinguer les dépenses d’investissements, finançables par l’emprunt, des dépenses de fonctionnement, et, pour celles-ci, d’accepter une augmentation plus importante de l’Ondam, et donc, si l’on ne veut pas tomber dans la démagogie, d’augmenter les prélèvements affectés à l’assurance maladie (donc de sortir du dogme des baisses d’impôts).

Paris, Croulebarbe, le 6 juillet 2020

 

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