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Non, le blasphème n’est pas un crime (ni même un délit)

Dans son numéro du 17 janvier, Témoignage Chrétien a publié sous ce titre une lettre ouverte au Président de la République lui demandant de prendre une initiative internationale pour abolir le délit ou le crime de blasphème des législations pénales où il existe encore. Cette initiative fait suite à mon appel sur ce blogue « Pour une prohibition internationale du délit de blasphème ». Nous pensions lancer cet appel à l’occasion du 70ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, mais comme les ronds points, l’actualité a été occupée par le gilets jaunes, ce qui ne nous a pas permis de le faire. C’est donc à l’occasion du quatrième anniversaire de l’attentat de Charlie Hebdo, que nous avons choisi de lancer cet appel : comme le rappelle Jean Birnbaum dans La religion des faibles (ce que le djihadisme dit de nous), c’est cette condamnation pour blasphème qui a conduit à ces assassinats. Depuis, cette lettre a été publiée par Le Monde, sous le même titre.

Dans soixante-douze pays, le blasphème et l’apostasie sont considérés au mieux comme un délit, au pire comme un crime. Ces législations, contraires au droit international, doivent être abolies. Nous demandons solennellement au président de la République, d’engager la France dans une action en ce sens.

Non, le blasphème n’est pas un crime (ni même un délit)

 

Monsieur le Président,

Nous souhaitons que la France, par votre action, prenne la tête d’une initiative internationale abolitionniste des crimes et délits de blasphème et d’apostasie.

Il y a quatre ans, après l’attentat contre ­Charlie Hebdo, toute la France et de nombreux chefs d’État et de gouvernement étrangers se sont réunis pour dire leur attachement à la liberté d’expression, ainsi que leur refus de toute ingérence des religions dans la vie collective, et pour rappeler les valeurs qui fondent la laïcité.

Il y a maintenant soixante-dix ans, le 10 décembre 1948, l’assemblée générale de l’Onu adoptait la Déclaration universelle des droits de l’homme, largement inspirée, sous l’influence de René Cassin, par notre Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Comme celle-ci, elle prévoit à la fois la liberté de conscience et de religion (article 18*) et la liberté d’opinion et d’expression (article 19**).
En 1789, en France, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, par ses articles 10 et 11, abolissait le blasphème, crime pour lequel le chevalier de La Barre avait été condamné à mort par torture moins de vingt-cinq ans plus tôt. Ces articles sont au fondement du principe de neutralité de l’État sur les questions religieuses.

Aujourd’hui, en contradiction avec les principes affirmés par la Déclaration universelle de 1948, soixante-douze pays, dont treize en Europe, ont toujours une législation pénale qui condamne le blasphème, considéré selon les cas comme un crime ou un délit. L’affaire concernant Asia Bibi, condamnée à mort pour blasphème au Pakistan, avant d’être innocentée – mais sans qu’elle puisse encore, ainsi que sa famille, être mise en sécurité –, tout comme une décision ambiguë rendue récemment par la Cour européenne des droits de l’homme sur le jugement d’un tribunal autrichien, montre que de nombreux États n’ont pas encore tiré toutes les conséquences dans leur droit pénal des principes affirmés en 1948.

C’est pourquoi, dans le prolongement de la déclaration que vous avez signée dans le journal Le Monde avec Justin Trudeau, Carlos Alvarado, Saad Hariri, Erna Solberg, Macky Sall et Béji Caïd Essebsi vous engageant à « promouvoir la liberté d’opinion et d’expression », nous souhaitons que la France propose à l’Assemblée générale des Nations unies d’adopter un protocole ouvert à la signature qui vienne compléter le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et tire les conséquences de ces deux articles de la Déclaration universelle en prohibant l’infraction de blasphème, qui lui est contraire dans les législations nationales comme dans le droit international.

Nous avons la conviction que, dans le contexte international actuel, où les religions, à l’encontre du message de fraternité dont elles sont porteuses, servent trop souvent de prétexte à des violations des droits humains et à des violences contre les personnes, la France resterait fidèle à sa vocation de patrie des droits de l’Homme en prenant la tête de ce nouveau combat abolitionniste.

Confiant dans votre engagement pour la liberté d’opinion, y compris religieuse, et d’expression, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre respectueuse considération.

Premiers signataires :
Christine Pedotti, directrice, Daniel Lenoir et Jean-Marc Salvanès, conseillers de la rédaction de Témoignage chrétien ; Nathalie Leenhardt, directrice, et Jean-Paul Willaime, président du conseil d’administration de Réforme ; François Euvé, rédacteur en chef d’Études ; Antoine Garapon et Jean-Louis Schlegel, directeurs de la rédaction d’Esprit ; Anne-Marie Harster, présidente de Solidarité Laïque ; Yann Boissière, rabbin, président des Voix de la Paix ; Patrick Pelloux, urgentiste et écrivain.

 

Addendum

Article 18 : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. »
Article 19 : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. »

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