En chanson, In memoriam

« Philosopher c’est apprendre à mourir » sur la « Supplique pour être enterré sur la plage de Sète ». Et pour Luc Lefévre, aussi.

Je voulais commencer cette série sur la philosophie dans la chanson, par « La supplique pour être enterré sur la plage de Sète » de Brassens. J’ai finalement commencé le 14 juillet dernier par la Marseillaise. Méditant sur la mort de mon ami Luc Lefevre que nous avons accompagné hier, d’abord à l’église, la cathédrale Saint Louis, de Choisy le Roi (où est mort Rouget de l’Isle, l’auteur de notre hymne national), puis au crématorium de Valenton, j’ai repris ici, quelques notes que j’avais couchées sur le papier sur cette chanson en forme de supplique, l’une des rares à parler de la mort, la camarde, comme le dit avec un ton un peu suranné Brassens.

« Philosopher c’est apprendre à mourir »

Sur « la Supplique pour être enterré sur la plage de Sète »

Pour Luc Lefévre aussi

Commencer par la Supplique, c’est un peu commencer par la fin. La fin de la vie, bien sûr. La  finalité aussi, puisque, d’une certaine façon, la mort justifie la vie. Même si Bashung a voulu, peu avant sa mort, affirmer que nous sommes « Immortels ». Était-ce pour se rassurer ou plutôt une forme d’humour noir, et tragique aussi ? Ou plutôt, une lecture symbolique de l’immortalité, comme certains chrétiens  le font de la résurrection.

C’est aussi renouer avec cette phrase, cette sentence plutôt, en forme de titre d’un chapitre, de Montaigne, « Que philosopher c’est apprendre à mourir ». En fait, ils ne sont pas si nombreux les philosophes qui abordent réellement la question de la mort. Ils préfèrent plus souvent parler de la vie, de la vie réussie.

Rares sont le chansons aussi qui traitent de la mort. « Ne chantez pas la mort, c’est un sujet morbide » conseille Jean-Roger Caussimon. Il le chante pourtant, et Léo Ferré avec lui, sur le mode Éros et thanatos. « Miracle des voyelles », et de la phonétique, on passe en perdant le « u » de l’amour à la mort. Mais il y a bien plus de chansons qui parlent d’amour, d’amour et de sexe, que de la mort.

Le sexe, ni la mort, ne peuvent se regarder en face, ne peuvent se chanter peut-être. Le sexe de plus en plus, qui n’est plus réservé aux paillardes et chansons de carabins, qui ont d’ailleurs souvent la mort en commun. La mort de moins en moins. Tant notre société a cherché à la reléguer dans ses marges, la taire, la cacher. Sauf au moment des enterrements, ou maintenant, de plus en plus des crémations.

Pas de crémation chez Brassens, pas davantage que chez Moustaki, mais une tombe, une pierre. En commun, sauf la référence à la croix, qui dans un cas « déchire le vent », et dont l’ombre dans l’autre se couche sur la baigneuse, l’ondine venue sommeiller sur cet oreiller un peu particulier.

Brassens continue, lui à traiter la mort en dérision, à semer des fleurs dans les trous du nez de la camarde, sa façon à lui de la domestiquer, de la mettre à distance ; et le mort paraît bien vivant, en vacances pour l’éternité. Mais peut-être ces vacances ne sont-elles pour lui, comme le suggère l’étymologie du mot, que le vide éternel.

Choisy le Roi, le 13 août ; Paris, le 14 août 2019

 

Post scriptum :

Luc n’était pas croyant ; agnostique ou athée, je ne sais, il se serait surement retrouvé dans la chute de mon papier. En partant pour ses éternelles vacances, il nous laisse un grand vide, une vie qu’il a eu lui même bien remplie et qui lui donne son sens ; et comme l’aurait ajouté Saint-Exupéry, « ce qui donne un sens à la vie donne un sens à la mort ».

 

 

 

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