Bref !

Pour une allocation sociale unique inclusive (3) : encore un petit effort … (à propos de deux rapports préparatoires au plan pauvreté)

Je n’ai pas de raison de le cacher, j’ai apprécié les deux rapports remis le 5 septembre au Premier ministre : l’un, de Christine Cloarec-Le Nabour et Julien Damon sur « la juste prestation », l’autre de Matthieu Klein et Claire Pitollat sur « l’accompagnement des bénéficiaires du RSA ». Ces deux rapports valident en effet ce que j’ai développé ici sur la faisabilité d’une allocation sociale unique inclusive, même si, ni l’un ni l’autre ne vont jusque là dans leurs propositions.

D’abord un point commun aux deux rapports : la proposition de mise en place d’un dispositif d’accompagnement unifié, non stigmatisant, mais visant au contraire le développement des capacités, l’empowerment, y compris en matière de santé, et en s’appuyant pour cela sur des méthodes dites de « coaching ». Ce n’est pas très étonnant : j‘avais signé avec Matthieu Klein un protocole où nous voulions expérimenter, dans une logique d’investissement social, et donc évaluer, des méthodes d’accompagnement pour le retour à l’emploi pour des familles monoparentales, en clair des femmes seules avec enfant(s), « bénéficiaires »  du RSA. Et d’ailleurs le rapport sur l’accompagnement des bénéficiaires du RSA se situe délibérément, comme avant lui le rapport Borello, dans une logique d’investissement social et de développement de l’évaluation, de « ce qui marche » ou pas.

A partir d’une analyse détaillée, et remarquable, de la situation actuelle, que ce soit en terme de fraudes, d’indus et d’accès aux droits, où en terme de complexité, le rapport sur « la juste prestation », quant à lui, est une excellente présentation des avantages, des possibilités techniques, comme des difficultés à surmonter, pour fusionner les prestations dans une allocation sociale unique …. mais sans trancher réellement le sujet, et donc se limite (ce qui est déjà méritoire) à définir les conditions d’un versement social unique qui en serait la première étape ; exercice d’autant plus utile que ces conditions techniques sont aussi celles, nécessaires, d’une allocation sociale unique. Conditions nécessaires mais pas suffisante, car celle-ci s’inscrit dans une refonte d’ensemble du système de protection sociale dont elle constituerait le socle. Pour ma part j’aurais préféré un « big bang », qui aurait donné une signification politique, celle d’une prestation plus juste, à une réforme qui restera essentiellement technique.

Dans un chapitre consacré à l’Etat providence du 21ème siècle, les auteurs développent d’ailleurs l’idée que la protection sociale est en train de passer d’une phase d’universalisation et de généralisation, à une phase d’individualisation et de personnalisation et proposent que les trois P (personnalisation des prestations, parcours des allocataires, partage des données) viennent remplacer (pour moi plutôt compléter) les trois U théoriquement fondateurs de notre système de Sécurité sociale (universalité de la protection sociale, uniformité de la couverture des risques, unité de gestion) et pourtant encore loin d’être atteints. Sans vouloir abuser du « en même temps », ces deux logiques sont moins contradictoires qu’il n’y paraît, à l’ère ou le numérique permet de gérer la complexité inhérente à toute vraie personnalisation des prestations. De ce point de vue, il permet de résoudre la fameuse contradiction historique, « simplifier c’est très compliqué », et ce en plagiant, positivement, la fameuse devise des Shadocks « pourquoi faire simple (uniforme) si on peut faire compliqué (personnalisé) ».

Ce qui est plus étonnant, et pour tout dire (Julien Damon me pardonnera cette critique) décevant, c’est que les auteurs fixent un horizon de vingt ans pour aboutir : principe de prudence ou manque d’ambition ? Je ne suis pas sûr, pour ma part, que notre système puisse attendre vingt ans pour être refondé, en mettant en place une allocation sociale unique qui en  constitue le socle juste et moderne.

Paris, le 8 septembre 2018

 

Un commentaire

  • Oui, on sent monter deux sujets complémentaires :
    1 – L’accompagnement des personnes en difficulté est une priorité, qui nécessite des moyens qu’il serait judicieux de mieux piloter. Le graphique de la page 46 du rapport de Julien Damon est très parlant, sous le titre « bureaucratisation de la lutte contre l’exclusion et de l’accès aux droits ». L’annonce du président Macron d’une certaine centralisation du pilotage des actions d’accompagnement a probablement du sens.
    2 – La simplification et l’automatisation des diverses prestations sociales. Sur ce point, je suis moins confiant. Malgré le volontarisme affiché, on reste dans une phraséologie « activation », « contrôle », « sanction », etc. qui révèle une vision étriquée et technocratique de la question.

    Une vision authentiquement démocratique s’intéresse aux choix qui font consensus dans la population pour les décliner en dispositifs explicites.
    Je prétends que les affirmations suivantes rencontrent un consensus fort :
    – « Nulle personne en situation régulière en France ne devrait être laissée sans ressources au point de mourir de faim ou de froid ».
    – « Chacun doit contribuer financièrement au bien-être et à la sécurité de la population, à hauteur de ses moyens ».
    – « Aucun dispositif légal ne doit être un obstacle à l’exercice d’une activité rémunérée ».
    – « Le financement du bien-être d’une génération ne peut pas être financé par l’endettement des générations suivantes ».

    Si chacun s’accorde sur ces affirmations, l’ingénierie des politiques publiques peut se décliner assez simplement, en remettant en cause l’hideuse complication anti-démocratique de nos systèmes. La lecture du livre de Yascha Mounk « Le peuple contre la démocratie » explique pourquoi c’est urgent.

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