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Comment le vieillissement de la population réinterroge-t-il la politique familiale ?

 J’ai participé jeudi 25 septembre à un séminaire organisé au Commissariat général à la stratégie et à la prospective par la chaire « Transition démographiques, transitions économiques », 1 dirigée par Jean-Hervé Lorenzi, dans le cadre d’un cycle portant sur « l’impact du vieillissement sur les politiques économiques et sociales » et portant sur la question suivante : « Comment le vieillissement de la population réinterroge-t-il la politique familiale ? ».

Je dois dire que j’ai été surpris du titre de la table ronde à laquelle je participais, avec Dominique Bertinotti : « Faut-il aujourd’hui prolonger la politique familiale ou privilégier l’accompagnement de la petite enfance ? ». Vue formulation qui semble en effet opposer politiques familiales et accueil de la petite enfance, alors que cet objectif est la première des priorités, aujourd’hui, de la politique familiale. Mais on voit par-là que la politique familiale reste marquée par son image traditionnelle. La question, centrale pour nos sociétés, du vieillissement de la population 2, est une occasion, une opportunité, pour repenser les fondamentaux de notre politique familiale.

 Comment le vieillissement de la population réinterroge-t-il la politique familiale ?

 La politique publique de la Famille est née dans les années trente 3 (et non, comme on le croit encore trop souvent, sous le régime de Vichy) à la rencontre de deux courants, le courant nataliste et le courant familialiste 4. Les trente glorieuses ont été l’apogée de cette politique familiale, avec la promotion d’un modèle familial centré sur la famille nucléaire (différent de la famille nombreuse de la période précédente) et un objectif d’accroissement de la fécondité et de la natalité. Mais dès la fin des années soixante elle s’est, parfois sans le dire, adaptée aux évolutions de la société et de l’économie, en conservant certes son objectif nataliste mais en abandonnant progressivement, mais implicitement, (et parfois difficilement), la promotion d’un modèle familial de référence.

Les années soixante-dix ont vu également apparaître deux autres objectifs de la politique familiale :

– de façon explicite, avec le développement du travail féminin et les revendications à l’égalité, celui de la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale ;

– de façon peut-être moins assumée, avec la mise sous conditions de ressources de nombreuses prestations puis la création de minima sociaux, celui de la lutte contre les inégalités sociales et contre la pauvreté. 5

 Un quatrième objectif est également apparu au tournant des années quatre-vingt-dix : l’objectif d’accueil et d’accompagnement de l’enfance et de l’adolescence 6 c’est aussi ce qui a conduit à une croissance importante du budget d’action sociale qui est passé de 5% des dépenses de la Branche à l’époque à 10% aujourd’hui. Ces dépenses, qui correspondent à la prise en charge de services à destination des familles, sont consacrées principalement à l’accueil de la petite enfance (60%) mais aussi des jeunes (25%) notamment dans le cadre périscolaire et, même si cela reste marginal en dépense (2%), aux dispositifs d’appui à la parentalité. Ils contribuent fortement à accompagner l’évolution des modèles familiaux, et ce faisant contribuent à l’objectif de conciliation « vie familiale- vie professionnelle », mais aussi de lutte contre les inégalités sociales.

 En quoi cette politique, qui résulte de la sédimentation d’objectifs et des dispositifs dont la cohérence mériterait sûrement d’être revisitée, est-elle impactée par la question du vieillissement ? J’y vois trois chantiers à approfondir :

 – La première est l’analyse de son impact sur la population active. Le dynamisme de celle-ci est une variable importante de l’équilibre de nos régimes de retraites, lui-même fortement impacté par le vieillissement 7. A travers son action directe sur le taux de fécondité, à travers son action de conciliation entre la vie familiale et de la vie professionnelle (qui nous permet aujourd’hui d’afficher un des taux d’activité féminine les plus élevés d’Europe), la politique familiale contribue à répondre à un des défis importants du vieillissement : la dégradation, moins forte chez nous qu’ailleurs, du rapport entre inactifs et actifs. Encore faut-il pouvoir mesurer précisément cet impact, et l’on sait les débats sur ces questions 8. De ce point de vue, il faudrait affiner les évaluations des différentes mesures de la politique familiale, pour mesurer l’effet comparé de chacune d’entre elles sur les évolutions de la population active.

 – La deuxième question est celle du niveau de socialisation des prestations d’entretien, et les arbitrages nécessaires, mais difficiles dans ce domaine. Les prestations familiales ont été mises en place pour couvrir, au moins en partie, le « coût de l’enfant ». Question supposée réglée, mais qui fait encore défaut notamment en terme de choix de redistribution horizontale ou verticale. Depuis plus de 20 ans se pose parallèlement la question de la couverture des coûts de la personne âgée dépendante. Question non encore réglée. S’il s’agit, au sens du droit de la sécurité sociale 9, de prestations en espèces, celles-ci n’ont (contrairement au retraites, aux indemnités journarlières ou aux allocations chômage) pas de rapport avec un quelconque revenu de remplacement. Ce qui justifie, d’ailleurs qu’elles ne soient pas nécessairement financées par des contributions assises sur les salaires. Mais quoiqu’il en soit, financées par des prélèvements obligatoires, on voit que les arbitrages nécessaires en terme de redistribution ne pourront plus se faire uniquement sur chaque génération. Il faudra aussi faire des arbitrages intergénérationnels. Cela va rendre plus complexe encore des choix que nos sociétés semblent avoir beaucoup de difficultés à opérer. La transparence de cette redistribution intergénérationnelle me paraît être une des conditions nécessaires pour que ces arbitrages puissent être rendus démocratiquement.

 – Enfin le vieillissement, au travers de ses conséquences en terme de dépendance des personnes âgées, vient bousculer puissamment la question de la conciliation des temps. Le temps nécessaire à cette forme de « care », viendra en concurrence avec le temps de travail, bien sûr comme le temps consacré aux enfants, auquel on ne saurait oublier d’ajouter le temps de transport (qui s’accroît, au moins dans les grandes métropoles), sans parler du « temps de cerveau disponible », hier pour regarder la télévision, aujourd’hui pour « surfer » sur la toile et les réseaux sociaux. On peut se rassurer en pensant que la charge des personnes dépendantes repose, plus que sur la génération des parents, sur la génération des grands-parents qui sont aussi très souvent retraités. Mais c’est sans compter sur l’éclatement des modèles familiaux qui conduisent à un éloignement géographique et relationnel croissant des grands parents, sans compter avec le recul de l’âge de la retraite qui les rend disponibles plus tard, et sans compter sur le fait que les heures assurées par les grands-parents sont plus importantes, globalement, que celles assurées par les assistantes maternelles. On voit par-là que si le « care » est promis sans aucun doute à un avenir brillant dans nos sociétés, celui-ci devra aussi faire l’objet d’arbitrage croissants, qui nécessitent, là encore, une plus grande transparence de la société sur elle-même. 10.

 

 

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