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Du consentement à l’impôt

Dans son numéro du 31 janvier, dans un dossier consacré, dans le cadre du grand débat national, à la fiscalité, Témoignage Chrétien a repris sous ce titre dans une version abrégé mon papier publié ici « Grand débat national : consentement à l’impôt ou solidarité soutenable ? »

 

Du consentement à l’impôt

Les prélèvements obligatoires, concept plus large que celui d’impôt, représentent près de la moitié du PIB, et sont majoritairement affectés à des fonctions de solidarité ; la note de présentation sur le site granddebat.fr en est une bonne illustration : sur 1 000 euros, la retraite des Français et des Françaises coûte 268 euros, l’assurance maladie 191 euros et l’éducation nationale 96 euros. Viennent ensuite les allocations familiales (42 euros), les allocations-chômage (35 euros), puis les aides aux plus pauvres (22 euros ; 39 euros si on intègre les allocations logement). Les fonctions dites régaliennes (défense, police, justice) ne représentent que 60 euros, les coûts liés à l’ensemble des administrations 66 euros, et ceux de notre système de représentation et de gouvernement 1 euro.
Mais il y a aussi une forme d’oxymore à parler de consentement à propos de contributions qui ont un caractère obligatoire : comme le dit classiquement la critique libérale, on ne consent pas à quelque chose qui est imposé, étymologie même du mot impôt. Il serait donc plus juste de parler d’acceptabilité que de consentement. Dès lors, sur quoi peut reposer cette dernière ?
On peut analyser cette question selon la grille proposé par Albert Otto Hirschman, économiste américain : « exit, voice and loyalty » (défection, prise de parole, loyalisme). En théorie, s’agissant de l’impôt, les citoyens ne peuvent se soustraire à l’obligation, mais ils ont, dans une démocratie, la possibilité de donner de la voix, de prendre la parole. De fait, la possibilité de sortir, « exit », existe, au moins pour certains. Pour les plus riches, c’est l’exil fiscal. C’est aussi la possibilité de frauder ou d’abuser des possibilités du système. Fraude du côté des contributions, mais aussi abus du bénéfice des prestations de l’autre côté, qui l’une et l’autre constituent de puissants facteurs de remise en cause de l’obligation de solidarité.
Mais la voie normale concernant l’impôt, c’est de donner de la voix (« voice » dans la terminologie de Hirschman). Encore faut-il qu’elle puisse s’exprimer et qu’elle soit entendue, et c’est tout l’enjeu du grand débat. En tout cas, si l’on en juge par les reculs gouvernementaux sur la fiscalité environnementale, avec les bonnets rouges hier ou les gilets jaunes aujourd’hui, qui ont fait tomber des dispositifs qui avaient été votés sans difficultés par le Parlement, la seule démocratie représentative ne garantit plus ce fameux « consentement à l’impôt » et il va bien falloir trouver de nouveaux modes de délibération collective sur ces sujets.
Mais la question principale, finalement, c’est celle du loyalisme (« loyalty ») des contribuables, notion plus complexe que les deux premières, qui repose sur une alchimie particulière, fondée sur l’attachement à la République, qui donne au prélèvement sa légitimité.
« La justice est la première vertu des institutions sociales », dit Rawls. Principe posé par l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : la « contribution commune (…) doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». C’est la question posée par la demande de rétablissement de l’ISF, et l’exécutif a eu tort d’y apporter une réponse technique car, derrière cette revendication, il y a une demande politique de justice fiscale : faire contribuer davantage les plus riches. À cette demande il peut y avoir d’autres réponses, comme d’augmenter considérablement l’impôt sur les successions les plus élevées, comme le propose Terra Nova, de façon à éviter d’aboutir à une « société d’héritiers », ou de mettre en place une tranche supplémentaire d’impôt pour les revenus les plus élevés, ce qui aurait aussi l’avantage d’avoir un effet désincitatif sur l’augmentation des plus hautes rémunérations. Mais la question de la justice fiscale doit s’apprécier sur l’ensemble du spectre des revenus, et intégrer l’ensemble des prélèvements mais aussi la redistribution : c’est ce qui avait conduit à la proposition, sous forme d’une allocation sociale unique, d’un impôt négatif.
Ce qui fonde aussi la légitimité du prélèvement, c’est son efficacité politique. Ainsi l’impôt sur le revenu contribue-t-il à corriger les inégalités de revenus, et, au travers des différentes déductions, à orienter les comportements des contribuables, à les inciter à investir dans les économies d’énergie, à déclarer l’emploi ménager, à donner aux associations…, toutes choses qui ne touchent malheureusement que la petite moitié qui sont soumis à cet impôt. De façon générale, l’impôt est l’un des outils des politiques publiques pour l’accès à des biens de première nécessité avec les taux réduits de TVA, comme moyen d’appliquer le principe « pollueur payeur » avec la fiscalité écologique ou de limiter les effets de l’économie casino avec la taxe sur les transactions financières, pour l’instant restée à l’état de projet.
Mais la question essentielle est celle du lien de solidarité qui constitue le fondement du prélèvement : dans l’échange marchand, il y a un lien direct entre ce qui est payé et ce qui est reçu en échange. Ce lien disparaît, ou en tout cas est de plus en plus ténu, dans le cas de la redistribution, d’où le sentiment généralisé de « ne pas en avoir pour son argent », ou que, a contrario, les autres en bénéficient davantage et souvent de façon indue.
Le mécanisme des cotisations sociales affectées à chaque branche de la Sécurité sociale avait pour objectif de maintenir ce lien entre cotisation et prestation, mais il est devenu lui aussi, compte tenu du poids des prélèvements sociaux, une fiction juridique, et il paraît d’autant plus difficile de le rétablir qu’il faisait peser l’effort de solidarité sur les seuls revenus d’activité, ce qui avait conduit Michel Rocard à créer la CSG, qui concerne tous les revenus. Il est clair que l’un des enjeux de la sortie de crise est de redonner de l’équité et de la visibilité aux prestations dont bénéficient les citoyens, qu’il s’agisse des allocations ou des services publics. Autre sujet du grand débat.
D’où l’enjeu de la transparence et du contrôle, aujourd’hui de l’évaluation, d’ailleurs posé, dans des termes qui mériteraient d’être modernisés, par l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La Société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. » Mais là aussi c’est un autre sujet du grand débat.

Paris, le 31 janvier 2019

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