Merci au Haut conseil au financement de la protection sociale (HCFIPS) présidé par Dominique Libault de remettre les pendules à l’heure dans son rapport 2024 sur la question fantasmée, notamment à droite et à l’extrême droite, de la fraude sociale .
D’abord sur les quelques 13 milliards de fraude sociale estimée, seul un tiers relève de la fraude aux prestations sociales (RSA, prime d’activité, etc…) ; à l’encontre donc de l’idée reçue qui tend à réduire « la fraude sociale (…) à la fraude au RSA ou à la fraude à la résidence, ce qui tend à nourrir un discours « anti-pauvres » ». Le reste relève du défaut de cotisation des entreprises ou des indépendants ainsi que pour une part moins importante de la fraude aux actes des professionnels de santé. On est loin des estimations délirantes de l’Ifrap ou du rapport sénatorial de Nathalie Goulet et consorts.
Il faut aussi rappeler que, concernant les minimas sociaux, il s’agit souvent de ce que je qualifiais à la Cnaf de « fraudes de survie », comme l’oubli, plus ou moins volontaire, de déclarer des revenus ou le retour à une situation de couple, quand cela conduirait à réduire une prestation qui n’assure déjà pas le minimum vital. Le tout étant favorisé en outre par la complexité de la réglementation, une partie des erreurs étant d’ailleurs le fait des organismes eux-mêmes comme l’a révélé la Cour des comptes,en refusant de certifier ceux de la branche famille.
Comme je le faisais à la Cnam, il vaudrait d’ailleurs mieux, dans un certain nombre de cas, parler d’abus plutôt que de fraudes : en ce qui concerne la branche famille, les fraudes organisées représentaient environ 10% des fraudes détectées quand j’étais aux responsabilités et je doute fort que cela ait augmenté. Le rapport du HCFIPS propose d’ailleurs d’« étendre la notion d’abus de droit aux branches prestataires », alors qu’elle n’est utilisée aujourd’hui que pour le recouvrement, donc pour les employeurs.
Même importante, cette « fraude » estimée ne représente qu’une partie limitée de la dépense sociale, à peine plus que le déficit de l’assurance maladie pour 2024. Autant dire que la lutte contre la fraude ne constitue en aucun cas « une recette « miracle » » pour l’équilibre des finances sociales. Il y a en outre un pas important entre cette évaluation et la détection effective des fraudes : celle-ci suppose des contrôles approfondis, respectueux des droits des personnes, et de vérifier, ce qui est toujours difficile, l’intentionnalité qui permet de distinguer la fraude de l’erreur. Il y en a un autre, tout aussi important entre la détection des fraudes et le recouvrement des sommes concernées, notamment pour les entreprises qui peuvent organiser leur insolvabilité. Notons que sur ce sujet les pauvres sont loin d’être favorisés, puisque les sommes dues, même quand il ne s’agit pas de fraude, sont récupérées sur les prestations versées, ce qui peut enfoncer davantage dans la pauvreté. C’est ce qui m’avait conduit à proposer avec « Changer de cap », la fixation d’une part insaisissable des prestations sociales, comme cela existe pour les salaires, compte tenu de leur caractère « alimentaire ».
Le rapport du HCFIPS confirme donc que la lutte contre la fraude n’est pas d’abord un enjeu financier, mais un enjeu de prévention (l’effet « peur du gendarme ») et aussi de cohésion sociale, dans la mesure où « le sentiment de fraude » nuit à ce que j’appelle le « consentement à la solidarité ». A contrario, fixer des objectifs financiers ne peut conduire qu’à des dérives, ceux-ci se substituant à l’objectif principal comme c’est le cas en général avec les techniques du « new public management » : cela explique probablement une grande partie des dérives de la lutte contre la fraude dans la branche famille depuis 2018, telles qu’elles ont été dénoncées par « Changer de Cap ». Il faudra s’en souvenir dans l’appréciation portée sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale.
Conclusion du HCFIPS : le plus important dans la lutte contre la fraude, c’est la fraude évitée, donc une action de prévention dont la répression (la « peur du gendarme ») n’est pas le volet le plus important.
Paris, Croulebarbe, le 26 septembre 2024
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