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La Caf, c’est capital

Sous le titre « L’incroyable gabegie des allocations familiales » 1 et la signature d’Emmanuelle Andreani, le magazine « Capital » nous a gratifié d’un article dont il a le secret, combinant dans une  sorte de poujadisme journalistique, des contre-vérités, des contradictions et des idées reçues pour alimenter un dénigrement insultant pour les caisses d’allocations familiales et leurs agents.

J’avais reçu Emmanuelle Andreani dans le cadre de son « enquête ». Elle avait également été reçue par la Caf des Yvelines. Nous lui avons ouvert nos dossiers et avons répondu à toutes les questions qu’elle nous a posées, sans cacher les difficultés, certes, mais en expliquant le travail effectué. Aucune des critiques formulées dans l’article n’a été évoquée à cette occasion, alors que « l’enquête » était déjà bien avancée, ce qui n’a pas permis de rétablir les faits ou les chiffres, ni non plus de faire valoir une interprétation différente de la sienne. Cela en dit long sur le respect de la déontologie journalistique, – notamment en matière de vérification de l’information – par l’auteure de l’article. Sans parler, pour un journal qui se flatte d’initier nos concitoyens à l’économie, des erreurs de raisonnement, explicites ou implicites.

 La Caf, c’est capital ! 2

 « L’incroyable gabegie des allocations familiales ». Derrière les erreurs de raisonnements et les approximations, les contradictions et les contre-vérités que recouvre ce titre, l’article de Capital sur les Caf constitue un florilège des idées reçues sur la Sécurité sociale, autour de quatre thèmes : le déficit récurent, les coûts de gestion trop élevés , l’importance de la fraude et la mauvaise qualité du service.

1 – « Cette branche de la Sécu, financée par les cotisations sociales des employeurs et par l’Etat, est en déficit chronique depuis dix ans »

Ainsi, l’origine du déficit de la branche Famille, n’étant pas analysé, semble résulter d’une gestion dispendieuse, alors qu’il est le simple résultat d’un déséquilibre entre les recettes issues des cotisations, pour l’essentiel et les dépenses de prestations sociales 3 qui, de surcroît relève plus d’un mouvement conjoncturel que d’un déficit structurel. 4

Tout le reste de l’article, au mépris d’une analyse économique basique, comme de la simple vérité des faits, vient à l’appui de ce raisonnement implicite. Basique puisqu’avec un taux de frais de gestion de 2,54% en 2013 et qui baisse régulièrement 5, avec un budget de gestion de 2,1 milliards d’euros, la Branche ne saurait, bien sûr, porter la responsabilité de 3,2 milliards d’euros de déficit !

 2 – « Les économies et les gains de productivité sont surtout à rechercher dans les étages supérieurs, dans la super structure »

En ce qui concerne les coûts de gestion, les efforts importants faits par la Branche pour les diminuer sont passés sous silence ou tout simplement niés. Ainsi en est-il de la départementalisation qui, de façon contradictoire, est considérée à la fois comme insuffisante mais aussi comme imposée de façon rigide et pensée depuis Paris (et par l’Etat alors que la Cnaf l’a largement portée dans le cadre de la convention d’objectifs et de gestion 2010-2013 6). Ainsi en est-il des mutualisations qui sont oubliées sauf pour critiquer l’absence de mutualisation des marchés, alors que les Caf sont de toute la Sécurité sociale celles qui mutualisent le plus leurs marchés. Ainsi en est-il des efforts faits pour diminuer les coûts de « Vies de famille » 7, tout en renforçant sa diffusion avec le passage au format Web. Ainsi en est-il des simplifications que la branche Famille a proposées et mises en oeuvre, et dont aucune n’est mentionnée 8.

Certes, sur tous ces sujets, et sur d’autres, du chemin reste encore à parcourir 9, mais il est faux de dire que rien n’a été fait, ou que c’est l’Etat qui a imposé ce qui l’a été. A cet égard, les illustrations issues, sans le mentionner, des rapports de la Cour des comptes, anciennes, sorties de leur contexte et même parfois fausses 10 viennent également appuyer un raisonnement à charge oubliant tout ce que la Branche a fait pour améliorer sa gestion notamment en simplifiant, plus exactement en intégrant la complexité 11.

3 – « Cette complexité favorise aussi la fraude qui représentait, toujours selon la Cour 12, 995 millions d’euros »

A l’utilisation du conditionnel pour constater que « 696 millions d’euros seraient récupérés », on perçoit la déception de l’auteure de devoir constater que « la Caf a quand même fait des progrès ». Pour autant, ces chiffres ne sont pas mis en perspective. Près de 300 millions d’euros de fraudes non récupérées c’est certes encore trop 13, mais cela ne représente que moins de 0,5 % des sommes versées ! Il eut été également utile de préciser que seules 8% des fraudes constituent des fraudes organisées, avec faux et usage de faux, l’essentiel constituant des non communications, bien sûr volontaires et donc frauduleuses, de changement de situations (revenus ou situations matrimoniales) d’où la difficulté parfois d’identifier dans les indus, ceux qui sont frauduleux, de ceux qui ne le sont pas mais ne sont pas tous pour autant le résultat « d’erreurs » des caisses, comme l’indique pourtant l’article.

4 – « Symptôme le plus évident, l’engorgement »

Mais le pire concerne la qualité de service : les files d’attente à l’accueil, les fermetures d’accueil, les délais de traitement (le délai de 2 mois de traitement pour certaines caisses !) ou l’absentéisme, tous sujets où les informations sont tout simplement fausses. Les chiffres sur l’absentéisme sont faux et relèvent de la désinformation. Le taux d’absentéisme national est de 4,92%, de 5,26% à Paris (et non de 8%), de 5,24% en Haute Garonne (et non de 27%). Le délai moyen de traitement était fin janvier de 5,6 jours et pour la caisse qui avait le plus de retard, de près de 2 semaines (ce qui, certes, est trop mais loin des 2 mois évoqués dans l’article). Les accueils qui ont été souvent fermés en 2012 et 2013, l’ont été très peu en 2014. En revanche, s’est développé l’accueil sur rendez-vous qui devrait être généralisé d’ici la fin du semestre. Quant aux files d’attente à l’accueil, elles se sont très sérieusement résorbées dans la plupart des caisses.

Bien sûr, la situation peut rester difficile et tendue dans certains accueils, et donner lieu à des incivilités de la part de certains allocataires, comme cela est mentionné dans l’article. Mais cette situation est loin d’être générale et un dispositif de gestion des incivilités a été mis en place qui ne laisse pas apparaître un développement de celles-ci.

La toute récente enquête sur la qualité de service 14 rend compte de cette complexité de la situation, qui ne peut être appréciée de façon manichéenne. Ainsi, l’accueil sur rendez-vous et l’utilisation du Caf.fr sont plébiscités. En revanche, les temps d’attente au téléphone ou à l’accueil restent un élément d’insatisfaction pour un nombre significatif d’allocataires 15

« Gabegie », « organisation idiote », « monstre administratif », « Caf au bord de la crise de nerf » voire de « l’implosion » : les termes utilisés révèlent le parti pris. « Tout ce qui est excessif est insignifiant » dit, en référence à Talleyrand, la sagesse populaire. C’est pourquoi nous avons décidé de ne pas réagir à chaud. « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose » nous apprend-elle aussi, en écho à Francis Bacon. Ou, dans l’éthique plus radicale de Simone Weil, « Tout le monde sait que, lorsque le journalisme se confond avec l’organisation du mensonge, il constitue un crime » 16. C’est pourquoi il m’a paru essentiel, à défaut d’établir une vérité incontestable, de démêler les contre-vérités et les contradictions dont est tissé ce papier dont le seul objectif semble être de caresser dans le sens du poil un mouvement de remise en cause de la Sécurité sociale qui hélas se développe dans la société Française.

 

4 commentaires

  • Bonsoir,

    Je viens de lire votre article en réaction à celui de Capital. Je vous félicite de défendre aussi efficacement l’Institution. Je suis chef d’entreprise et fournisseur de la branche famille. Ma société accompagne près de 45 CAF dans des démarches qualité / efficience dans le cadre d’un marché avec l’EN3S. Nous travaillons au quotidien avec vos équipes à construire une société plus juste grâce à des services et à des organisations toujours plus efficaces. Je ne reconnais en rien la sécurité sociale (et notamment la branche famille) que je côtoie depuis 15 ans dans les propos du journaliste, un bel exemple de toutisme et de raccourcis…
    Au plaisir de vous rencontrer. Respectueusement. Pierre-Henri HAMBURGER

  • Curieusement, vous n’évoquez pas les propos de la journaliste sur le nombre d’agents de direction ni sur leurs salaires et primes diverses…Pourquoi ?

    • En fait j’en parle mais pour la seule caisse nationale : la journaliste confond directeur et agent de direction ; il n’y a pas 42 directeurs à la caisse nationale, mais 13, mais il y a des adjoints et des sous-directeurs aussi. Tout cela est précisé dans le règlement d’organisation qui est désormais publié sur caf.fr http://www.caf.fr/sites/default/files/cnaf/Documents/DCom/Quisommesns/Textes%20de%20référence/Organisation/Règlement%20d%27organisation_19fév2015.pdf

      C’est la même chose pour une caisse où il y a au minimum, outre le directeur, un agent-comptable pour payer et tenir les comptes, et un adjoint (ou un sous-directeur), notamment pour remplacer le directeur en cas d’absence. Les fourchettes indiquées concernent les seuls directeurs : de 6500 (et non 7000) à 9000 €, de 5500 à 7800 € pour les agents comptables, de 4600 à 7300 € pour les adjoints ou sous directeurs. La critique de la Cour ne porte pas sur ce point mais sur des rémunérations exceptionnelles et sur le nombre total d’agents de direction, qui devrait diminuer avec la départementalisation, mais au fur et à mesure des départs qui ne sont pas remplacés dans les caisses fusionnées.
      Ma réponse à la Cour est annexée au rapport.

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