Lu, vu, entendu, Sur le fil

La pauvreté existe : je l’ai rencontrée (à propos des rapports du Secours catholique et de l’observatoire des inégalités)

De la pauvreté, chacun a son idée, ou plutôt ses idées. Idées simples, voire simplistes, idées reçues le plus souvent, et, pour une part au moins, fausses, ainsi que l’avait illustré « En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté » d’ATD, réédité plusieurs fois depuis 2013, et que j’avais soutenu en son temps. Deux rapports récents viennent apporter un éclairage très complet sur cette question : telle les feuilles d’automne, c’est devenu, depuis 2011, un marronnier annuel, le rapport  du Secours catholique sur « L’état de la pauvreté en France » vient de sortir, sous titré significativement cette année « [en-quête] d’une protection sociale plus juste », il s’appuie sur les statistiques recueillies auprès des quelque 1,4 millions de personnes rencontrées dans ses permanences, complétées, pour la première fois, par une enquête en ligne auprès de 3000 personnes ; un peu avant, l’Observatoire des inégalités, créé il y a quinze ans, publiait son premier « Rapport sur la pauvreté en France », s’appuyant, lui, sur des statistiques officielles. Deux regards, différents,  complémentaires, et bien souvent convergents, celui d’un institut indépendant qui vise à l’objectivité et celui d’une ONG d »inspiration religieuse qui assume son regard déformant, mais veut aussi associer à l’action caritative une contribution à une meilleure connaissance du sujet.

La pauvreté existe : je l’ai rencontrée

Sur les rapports du Secours catholique et de l’observatoire des inégalités

Comme toute question sociale, la pauvreté est un domaine où la complexité est de règle, qui échappe aux analyses simplificatrices en termes binaires (ceux qui n’ont pas eu de chance et les assistés), et résiste même au chiffrage. Ainsi en est-il du nombre de pauvres : 5  millions pour l’observatoire, qui retient le seuil de 50% du revenu médian ; 9 millions pour le Secours catholique, qui retient, lui, le seuil européen de 60% (comme quoi l’Europe n’est pas toujours moins sociale que nous !). De surcroît, le dénombrement de la pauvreté, comme celui du chômage, est affecté d’un « halo » statistique particulièrement flou. Ainsi en est-il de ces pauvres invisibles pour les statistiques, par exemple les étrangers en situation irrégulière, ou les pauvres cachés dans les familles, mais accueillis dans les permanences du Secours catholique, et que l’observatoire chiffre à au moins 1 millions de personnes : chiffre peut-être sur estimé, mais qui témoigne de l’importance du phénomène. De surcroît la pauvreté n’est pas que monétaire : près de 8% des personnes accueillis dans les permanences du secours catholique sont au dessus du seuil des 60 %, et pourtant cumulent des handicaps sociaux : c’est ce qu’on appelle « la pauvreté en conditions de vie », la pauvreté scolaire, de l’emploi, du logement, des loisirs, des ressources énergétiques, dans l’accès au numérique, et plus encore l’isolement, qui s’accroit, notamment, pour les personnes âgées, et qui en font des pauvres à part entière : d’ailleurs avant la couverture des besoins fondamentaux, y compris (pour 52% d’entre eux) l’alimentation , c’est le contact humain, l’écoute, l’accueil, l’accompagnement, que viennent d’abord chercher (pour 59% d’entre eux) ceux qui fréquentent les permanences de l’ONG catholique : de quoi donner du baume au cœur aux près de 70 000 bénévoles qui les assurent. A contrario, et, pour une part à juste titre, l’Observatoire, de son côté, ne retient pas le seuil des 60% en considérant qu’une partie significative des ménages concernés vivent dans des conditions certes particulièrement difficiles, mais ne sont pas pour autant des pauvres au sens d’une précarité permanente de leurs conditions de vie.

En tous cas, quelque soit le mode de calcul, la pauvreté a augmenté fortement depuis le début des années 2000, progression qui s’est arrêtée à partir de 2013, et dont atteste la diminution du recours au RSA (avec peut-être une reprise en 2017). Pour autant la pauvreté change progressivement de visage : toujours présent certes l’homme célibataire à la rue, image traditionnelle du SDF, mais l’un des principaux bataillon de pauvres, ce sont les fameuses familles monoparentales, autrement dit les femmes seules avec enfants (40% des ressortissants français accueillis par le Secours catholique). Chez les hommes, ce sont désormais les jeunes adultes qui apparaissent les plus fragiles, alors que leur part avait tendance à diminuer ces dernières années. La population pauvre d’origine étrangère augmente mais change également : moins souvent originaire de pays francophones (du Maghreb notamment) ou latins, l’obstacle de la langue s’accroit. Sans atteindre la situation allemande ou britannique, la catégories des travailleurs pauvres choque le sens commun. Le handicap, ou de lourds problèmes de santé restent aussi des causes importantes de pauvreté. La focalisation politique actuelle sur les enfants pauvres n’est en revanche pas sans surprendre : les enfants ne sont pas, en tant que tels, une catégorie de pauvres, ils le sont parce que leurs parents le sont.

Même si la France ne consacre pas à la lutte contre la pauvreté « un pognon de dingue » (c’est l’ensemble de la protection sociale, notamment le système de retraite et d’assurance maladie qui coute plus cher qu’ailleurs en Europe), le filet de sécurité fonctionne mieux et « les prestations sociales permettent à plus de cinq millions de personnes d’échapper à la pauvreté » (autrement dit, le nombre de pauvres serait le double sans lui) et elle est, avec les pays scandinaves, l’un des pays d’Europe « où la pauvreté est la moins durable », comme le signale l’Observatoire ;  un filet qui comporte néanmoins des trous importants, par exemple pour les jeunes, ce qui conduit l’Observatoire à demander l’instauration d’un minimum pour les moins de 25 ans, ou pour les étrangers, ce qui conduit le Secours catholique à demander l’intégration de l’aide médicale d’État dans la protection universelle maladie. Un filet qui reste d’un niveau faible également, d’autant plus, comme le montre l’Observatoire en comparant des indices des prix par déciles, que ça coute plus cher d’être pauvre que d’être riche ; ce qui conduit le Secours catholique à proposer un revenu minimum garanti de 850 €. Et surtout un filet qui n’est pas utilisé par tout le monde : les deux rapports analysent en détail le phénomène mal connu du non recours, qui malgré les efforts des dernières années, reste important, et s’accroit même parfois.

Un filet de sécurité qui protège mieux qu’ailleurs, mais ne joue pas assez son rôle de tremplin, ne permet pas à ceux qu’il protège de « rebondir ». Au demeurant, tant le Secours catholique que l’Observatoire contestent, ou au moins relativisent l’effet dit « trappe à pauvreté » des allocations (qui conduirait ceux qui en bénéficient à ne pas chercher de travail), notamment du RSA, en constatant que ceux qui travaillent y ont plus recours que ceux qui ne travaillent pas. Louis Maurin, le directeur de l’Observatoire, a également raison de ne pas opposer ce qui relève de la prévention (le tremplin), et  qui est au cœur du plan pauvreté annoncé par le  Président de la République, et ce qui relève de la réparation (le filet de sécurité) : « Quand vous créez un logement social, vous mettez à l’abri ceux qui l’occupent (réparation) et ce logement est l’une des clés d’accès à l’autonomie et à l’insertion professionnelle (prévention) »

Cette redéfinition des politiques de lutte contre la pauvreté, engagée avec la  stratégie nationale de prévention et  de lutte contre la pauvreté doit, pour le Secours Catholique, s’inscrire dans un nouveau contrat social, une protection sociale plus juste. De même, l’Observatoire rattache la solution à la question de la pauvreté à celle, plus globale du développement des inégalités : « L’évolution de la pauvreté est l’un des indicateurs les plus alarmants suivis par l’Observatoire (…) depuis quinze ans » rappelle Louis Maurin. De son côté, l’ONG s’est lancée, avec d’autres, dans une « exploration citoyenne » dans laquelle s’est inscrit un questionnaire en ligne auxquels ont répondu prés de 3000 personnes , et d’où ressortent quelques grands principes pour « une protection sociale solidaire » : dignité, justice, qualité, contribution, soutenabilité, démocratie, universalité. Tout un programme donc, mais c’est là une autre histoire.

Dijon, 24 novembre – Paris 25 novembre 2018

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *