In memoriam

Lettre à S.

Sylvie Le Chevillier est décédée le 31 juillet. Elle a été incinérée le 4 août, à Wattrelos. Trois mois après, à sa demande, Luc Grard, son mari, a organisé une cérémonie, une célébration, ou plutôt une fête, à Lille, pour évoquer non son action, non sa mémoire, mais sa présence au monde, pendant 53 ans. Comme elle l’avait souhaité j’ai, avec d’autres, cherché à dire ce qu’elle a été, dans cette lettre qui est la première, et la dernière que je lui ai écrite.

Lettre à S.

Ma chère Sylvie,

Ca commence comme une lettre : je ne crois pas t’en avoir jamais écrite une aupravant, mais ton départ impose ce style épistolaire qui ne nous est pas familier.

Quand je t’ai appelée fin juin après ton hospitalisation aux urgences et que je t’ai demandé ce que je pouvais faire pour toi, tu m’as dit : « être là ». Nous sommes là aujourd’hui, réuni à ton initiative et celle de Luc ; ceux qui sont présents mais aussi ceux qui n’ont pu venir, et je suis porteur de l’amitié de certains d’entre eux. Une fois encore, tu rassembles pour une fête, une fête triste mais aimante, tous ceux qui ont eu le bonheur de te rencontrer.

Nous nous sommes rencontrés il y a vingt ans, d’abord sur un territoire professionnel, et tu es devenue ensuite à la fois collaboratrice et amie. Collaboratrice, au sens le plus fort « d’agir ensemble ». Amie, au sens le plus fort aussi, inexplicable, de « parceque c’était toi, parceque c’était moi ».

1998 : tu quittes le cabinet Le Pensec, à l’agriculture, pour rejoindre Christian Dubreuil et Erik Rance qui exerçaient la tutelle sur la MSA dont j’assurais la direction générale, depuis une année environ, dans une phase difficile pour cette belle institution, que tu as d’ailleurs rejoint ensuite. Dans cette fonction de vigilance pour éviter que les dérives du passé ne se reproduisent, je dois dire -et tu le sais-, que tu m’agaçais souvent, même s’il m’est arrivé de dire à mes collaborateurs de prendre exemple sur toi pour la qualité de tes travaux juridiques. Et puis je me suis rendu à ton invitation, inattendue, pour ton pot de départ pour la Prépena, et je crois que c’est de là que date ce qui allait devenir notre amitié.

2003 : je cherche à diversifier les origines trop exclusivement cédétistes (pardon Jacques), du cabinet commun que j’avais mis en place à mon arrivée à la CNAMTS avec Jean-Marie Spaeth, pour sortir du conflit permanent entre le DG et le président. Je fais appel à toi pour compléter l’équipe animée par Cécile Bernard. C’est à ce moment que notre collaboration a commencé, dans le contexte d’une réforme de l’assurance- maladie dont je dois à la vérité de dire que tu m’avais prédit qu’elle ne me serait pas favorable (professionnellement s’entend). J’ai du te répondre que la partie n’était pas perdu d’avance et qu’elle méritait d’être jouée : « il n’est pas besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer ». Et nous avons largement inspiré certains des aspects positifs (il y en a eu aussi de négatifs) de cette réforme. Finalement nous avions raison tous les deux : la partie méritait d’être jouée, mais nous partions avec un gros handicap. Leçon de vie.

2011 : depuis six ans tu es à la Cnaf, recrutée par Philippe Georges qui m’avais appelé avant de le faire, et qui était parti entre temps, et tu me dis que tu es prête à me rejoindre à Lille. Ca tombe bien, je cherche un successeur à mon directeur de cabinet, Bernard Delaeter, et tu rejoins l’équipe de l’ARS. Quand deux ans après, avec Béatrice Degrugillers, tu m’as suivi à la Cnaf,  beaucoup ont pensé que nous avions bien anticipé ce qui n’était que le résultat du hasard. J’ai choqué ta spontanéité en te disant, comme à Marie-Christine Chambe quelques années auparavant, que tant que nous serions à Lille nous nous vouvoierions. Nous sommes revenus au tutoiement à la Cnaf. Mais « vous » ou « tu », pendant près de cinq ans l’amitié a nourri la collaboration, et celle-ci l’amitié.

Seul le silence, ou peut-être la musique ou la poésie, qui sont les deux façons d’habiller le silence, peuvent dire l’amitié, l’amour ou l’affection que chacun de nous te porte. Pour effleurer, plus qu’évoquer, cette amitié, trois gestes de toi me reviennent.

Tu m’a souvent dit, avec un peu d’ironie -et peut-être de reproche-, que je ne savais pas t’offrir autre chose que des livres. Je voudrais juste te dire que c’est toi qui a commencé, en m’invitant pour mes cinquante ans, alors que j’avais quitté la CNAMTS quelques mois auparavant, avec « Le rêve européen » de Rifkin sur la table du restaurant du 14ème ou nous nous sommes retrouvés. Une façon de me dire qu’il fallait que je continue, comme toi, à me laisser guider par mes rêves. Et c’est vrai que j’aimais t’offrir des livres : je t’en ai même offert un que tu ne connaissais pas mais sur lequel tu avais quelques préjugés. Ce n’est pas un livre d’ailleurs, mais une petite bibliothèque d’écrits contradictoires, dont deux sont parmi les plus beaux poèmes d’amour et de sagesse : le cantique des cantiques, et Qohèleth. C’est aussi pour cela que j’ai voulu te dédier ainsi qu’à Luc un commentaire du Petit prince qui vous avait rapprochés.

Partagé les livres, mais aussi l’émotion esthétique, celle de la peinture notamment. Dix ans après, le 13 mai, tu organises, après une audition éprouvante à la Cour des comptes, une petite fête à la Cnaf et vous m’offrez un magnifique tableau de Roland Devolder, sur une suggestion de Cécile Van Bockstael. Nous connaissons tous ton goût pour les peintures, les objets, les sculptures. Ton goût pour la beauté des choses, des couleurs, des images, qui était ta façon à toi d’habiller le monde, d’habiter le monde.

Et puis enfin la danse, le rythme et la musique partagés, dans le jeux des pas, des passes et des scansions. Je n’ai pas réussi à me souvenir de la première fois que nous avons dansé ensemble, mais je me souviens, à chaque fois, de l’accord de nos mouvements, et, pour tout dire, du bonheur de ces temps et ces contretemps où l’on se rapproche et l’on s’éloigne. Comme dans la chanson de Jeanne Moreau. Tout à l’heure ça va me manquer.

Mais à travers ces mots partagés, à travers ces couleurs partagées, à travers ces rythmes partagés, tu nous reste présente.

A bientôt Sylvie.

Daniel

 

Paris-Lille, le 27 octobre 2018

 

 

 

 

 

 

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