Sur le fil

Pauvreté : les rapports se ramassent à la pelle.

Avec l’automne, telles les feuilles mortes, tombent les rapports sur la pauvreté.

C’est l’Insee qui a ouvert le feu, en annonçant dans l’Estimation avancée du taux de pauvreté et des indicateurs d’inégalité qu’il publie depuis 2015, qu’« en 2019, les inégalités et le taux de pauvreté diminueraient » : communiqué de victoire du gouvernement, après une augmentation historique de 0,7 % en 2018, le taux de pauvreté (qui s’était stabilisé autour de 14% depuis 2013) aurait reculé de 0,3% en 2019.

En fait cet indicateur avancé ne résulte pas d’une enquête, mais d’une « micro-simulation » sur les effets sur le revenu des ménages des mesures qui ont été prises en 2019, et l’on ne connaitra réellement l’évolution 2019 qu’en 2021. Ainsi en 2018, le taux de pauvreté a finalement augmenté de 0,1 point de plus que ce qui était prévu en 2019 : l’amélioration en 2019, qui ne ramène pas le taux de pauvreté à ce qu’il était auparavant, pourrait aussi se révéler moins importante encore.

Surtout, il faut souligner les limites de cet indicateur de la pauvreté monétaire, dont le seuil est estimé à 60 % du revenu médian (i.e. le niveau de revenu pour lequel il y a autant de ménages qui ont moins que de ménages qui ont davantage, soit 1063 € pour une personne seule en 2018), intègre nombre d’actifs qui sont à la limite de la pauvreté, et sa diminution reflète l’impact massif de l’extension et de la revalorisation de la prime d’activité début 2019 suite au mouvement des gilets jaunes. Si l’on peut, comme le collectif Alerte, « saluer la diminution du nombre de « travailleurs pauvres » en 2019″, on peut penser avec lui que « cette baisse du taux de pauvreté n’a eu aucun impact sur les 10% les plus précaires ». C’est la raison pour laquelle l’Observatoire des inégalités préfère retenir comme seuil de pauvreté monétaire celui 50% du revenu médian, ce qui ramène le nombre de pauvres de 9,3 millions à 5,3 millions, soit 8,3% de la population, mais permet de mieux cerner la grande pauvreté.

Par ailleurs l’Insee indique, à juste titre, que son indicateur ne mesure pas le revenu restant une fois que les dépense obligatoires ont été payées, et souligne qu’il n’intègre pas un certain nombre d’aides indirectes dont bénéficient les plus pauvres pour ces dépenses, comme la réduction sociale de loyer accordée par les offices HLM (sur pression du gouvernement) pour compenser l’effet de la baisse des allocations logements en 2018, ou l’effet de l’aide à la complémentaire santé, par exemple.

Publié depuis un quart de siècle, le rapport annuel du Secours catholique sur L’état de la pauvreté en France ne tranche pas la question de l’évolution du taux de pauvreté en 2019 -même s’il s’inquiète de l’impact de la crise du Covid en 2020-, mais essaie, justement, de mesurer la pauvreté, non pas à partir du revenu, mais de ce qui reste à vivre quand on a payé toutes les charges obligatoires avec ces ressources monétaires. Et le résultat fait froid dans le dos : 9 €. Neuf Euros, c’est ce qu’il reste au maximum pour un ménage sur deux qui s’adressent au Secours catholique, pour vivre quand ils ont payé toutes les charges, ou plutôt pour survivre, car ces dépenses « obligatoires » n’intègrent ni l’alimentation ni l’habillement. Autant dire qu’il ne reste rien pour les activités culturelles et de loisir : pas étonnant que l’illectronisme devienne un facteur croissant de pauvreté. Neuf Euros, mais moins de quatre Euros pour un quart d’entre eux. On voit que l’impact des aides indirectes évoqué par l’Insee est loin de compenser la faiblesse des ressources monétaires.

L’observatoire des inégalités vient, lui, de sortir son deuxième rapport sur la pauvreté, après avoir publié en juin un premier rapport sur un continent plus inexploré encore, celui des riches. Paradoxe de la situation française : si la France a un des plus faibles taux de pauvreté en Europe, grâce en grande partie à son système de protection sociale, les plus riches y sont aussi plus riches que dans les autres pays européens (sauf en Suisse !). Comme aurait pu le chanter Aznavour, on peut penser que « la misère est moins pénible » dans les sociétés moins inégalitaires.

Si la pauvreté touche de plus en plus les étrangers (pour le Secours catholique) et les immigrés (pour l’Observatoire), le phénomène marquant des dernières années, et qui risque de s’accentuer avec la crise du Covid, c’est la montée de la pauvreté chez les jeunes. Chez les enfants d’abord, en rappelant que les enfants pauvres, visés en priorité par le plan pauvreté, sont, en fait, les enfants des pauvres, notamment ceux qui sont élevés par ces fameuses « familles monoparentales », devenues visibles sur les ronds-points, i.e. dans l’immense majorité des cas, une mère isolée avec un ou plusieurs enfants. Chez les jeunes adultes aussi, ceux qui sont sans emploi, mais aussi, même s’ils restent en grande partie invisibles dans les statistiques, les étudiants : deux catégories de pauvres qui ont été particulièrement vulnérables à la crise du Covid.

Face à ces situations dramatiques, et même si il avait tendance à s’éroder depuis une dizaine d’année, le sentiment de solidarité avec les plus pauvres reste très majoritaire dans le pays ; comme en atteste l’engagement des 64 300 bénévoles du Secours catholique, comme ceux des autres associations de solidarité, dont on a vu l’importance au moment du premier confinement, quand beaucoup d’entre eux n’ont pu assurer, à un moment où c’était particulièrement nécessaire, ces fonctions d’accueil et d’assistance pour les besoins essentiels, notamment l’aide alimentaire qui concernerait prés de 8 millions de personnes. Engagement qui se prolonge dans un suivi anonymisé des bénéficiaires, acte militant qui, en permettant une meilleure connaissance des réalités sociales, vient compléter utilement une statistique publique qui les laisse en partie dans l’ombre.

Ce dont atteste aussi la demande portée avec d’autres associations de solidarité au sein du Collectif alerte d’une revalorisation du RSA  et qui est soutenu par près de 60% des français et son extension aux adultes de moins de 25 ans. Propositions qui ont été pour l’instant rejetées par un gouvernement qui tarde -alors que les deux rapports réclament un revenu minimum garanti pour l’un, unique pour l’autre, mais dans les deux cas décent, i.e. de l’ordre de 900 €-  à mettre en œuvre le projet de revenu universel d’activité prévu dans le plan pauvreté. Un sujet qui risque de revenir à l’ordre du jour de la future campagne présidentielle.

Paris, Croulebarbe, le 30 novembre 2020

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