Sur le fil

2021, sous le signe de Qohélet

Après Janus en 2018, Sisyphe en 2019 et Sol invictus en 2020, j’hésitais sur le signe sous lequel je pouvais placer cette année 2021 naissante. J’ai pensé un moment la mettre sous le signe de la « deuxième vertu », cette petite espérance, ce mystère que psalmodie Péguy dans le Porche qu’il lui a consacré. Mais si c’est bien le sens profond de ces fêtes du solstice d’hiver que de déceler cette lumière qui traverse la nuit la plus profonde, cette nuit qui arrive à apaiser Dieu lui-même de la douleur de la perte de son fils, l’année que nous venons de quitter m’incitait davantage à célébrer « la grippe » à laquelle le même Péguy a consacré trois textes -qui viennent d’être réédités- dans ses fameux cahiers de la quinzaine ; trois textes où, parlant des symptômes de sa maladie avec son docteur, il y voit une métaphore des maladies de la société de son temps, comme on pourrait voir dans ce Covid que je n’arrive pas à mettre au féminin, la métaphore des maladies de nos sociétés.

Finalement, plutôt que de remuer le virus dans la pandémie, j’ai préféré revenir à un personnage auquel j’avais déjà consacré un billet ici, mais vers lequel, comme dans toutes les périodes d’angoisse et de doute, je me suis retourné pour alimenter mes ruminations méditatives des derniers mois : Qohélet, celui qui parle à l’assemblée.

Sous le signe de Qohélet

« Vanité des vanités », le livre de l’Ecclésiaste est surtout connu pour sa méditation sur les vanités de la vie humaine, qui a inspiré un courant pictural du 17éme siècle et auquel fait écho le « sic transit gloria mundi » que jusqu’à Jean-Paul 1er on récitait aux papes après leur élection en leur présentant une coupelle remplie de cendres.

En fait, « vanitas vanitatum » est une bien mauvaise traduction latine du « hével havelim » hébreux, cette buée insaisissable qui reste quand tout a disparu. Ce que, peut-être, les philosophes grecs et après eux les chrétiens ont voulu désigner avec le mot « âme ». Mais une buée « sans rien en (elle) qui pèse (même pas les 21 grammes de l’âme) ou qui pose », ce n’est ni vain ni vaniteux.

Bien sûr on peut lire la méditation à haute voix de Qohélet comme la rumination de la vanité de toute action, de tout plaisir, de toute visée humaine. Mais si on le lit bien il n’est pas si critique que son successeur au désert vis à vis des désirs et des joies de l’humanité et il ne rejette ni la nourriture, ni le pouvoir, ni la protection divine. Sa question est plutôt « que restera-t-il de tout cela ? ».

C’est encore moins un livre de morale. Bien sûr, on peut en tirer, en isolant un verset, une maxime qui pourrait passer pour une leçon de vie. Mais si on lit l’ensemble du texte on s’aperçoit qu’il applique avant la lettre le principe dégagé bien plus tard par Raymond Queneau : « Quand j’énonce une assertion, je m’aperçois tout de suite que l’assertion contraire est à peu prés aussi intéressante ». Chaque leçon de vie est suivie, de prés ou de loin, d’une leçon de vie inverse, à tel point qu’on pourrait voir dans ces propos attribués au roi Salomon, une suite de « brèves de comptoir » contradictoires. Qohélet est passé maître dans l’art d’accommoder les contraires ; mais « il y a un temps pour tout sous le ciel », ça a un peu plus de gueule qu’un « en même temps » qui ne fait le plus souvent, comme le « ni-ni » hier, que masquer le vide de la pensée.

Dans tout ce qu’il fait, l’homme, l’humain, n’arrive pas à satisfaire une aspiration qui probablement le dépasse ; un peu comme le divertissement pascalien. Mais une aspiration à quoi ? Qohélet n’invoque pas, ne prononce pas l’imprononçable nom de Dieu, YHWH, mais évoque Elohim, la divinité, ou plutôt les multiples manifestations du divin. Quête et incertitude sur la fin des choses, Qohélet est pour moi une des premières manifestations de spiritualité agnostique. C’est pour cela que j’aime à penser qu’il se termine par « Fumée de fumées, dit le Qohèlèt, tout est fumée ! », plus que par l’ajout postérieur appelant au jugement divin sur le bien et le mal.

Mais cette fumée, cette nuée, cette buée à laquelle se résume à la fin l’humanité est aussi, comme la fumée de l’encens s’élevant vers le ciel, l’expression d’une aspiration qui la dépasse. Puisse ce nuage vaporeux, cette brise légère, nous inspirer tout au long de cette année qui commence. Voilà mes vœux très fraternels pour 2021.

Paris, Croulebarbe, Créteil, le 1er janvier 2021.

 

 

 

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