« Taux de pauvreté et inégalités s’accroissent fortement », annonce l’Insee dans une note publiée le 7 juillet. Hasard des nomination l’organisme de statistique publique constate l’échec du plan pauvreté lancé par Emmanuel Macron en septembre 2018 au moment où l’un de ses principaux acteurs vient d’en prendre la direction : Fabrice Lenglart qui vient en effet de succéder à Jean-Luc Tavernier à sa tête a en effet été rapporteur du projet de revenu universel d’activité (RUA), élément central de la « stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté« , présenté par Emmanuel Macron à l’occasion de la journée mondiale du refus de la misère le 17 octobre 2018 et qui s’inspirait des notes que j’avais faites pendant la campagne de 2017 ; à ce titre plusieurs il a produit plusieurs excellents rapports dont certains ont été publiés, mais qui ont tous été enterrés, et montraient l’incohérence des différents minima sociaux, et mettait en évidence les conditions pour les harmoniser dans le cadre d’un dispositif unique.
La note de l’Insee n’est pas à proprement parler un rapport sur la pauvreté, mais le résultat pour 2023 de l’enquête annuelle sur les revenus fiscaux et sociaux (ERFS) qui repose sur les déclarations qui servent au calcul de l’impôt sur le revenu et des aides des Caf. Ce qui frappe c’est d’abord l’augmentation des inégalités : si le niveau de vie médian augmente modérément d’un peu moins de 1%, le revenu moyen des 10% les plus riches augmente lui de 2,4 % quand celui des 10% les plus pauvres diminue de 1%. Résultat, l’indice de Gini qui mesure ces inégalités est revenu au niveau qu’il avait atteint à la fin des années Sarkozy.
Commençons par le haut : les plus riches ont vu leur revenu augmenter du fait notamment de l’augmentation importante des revenus financiers -eux-mêmes beaucoup moins taxés que les autres revenus depuis 2018 et l’institution de la flat tax-, et ont bénéficié de surcroît de la dernière phase de suppression de la taxe d’habitation sur la résidence principale qui, en 2023, a concerné les 20 % de foyers fiscaux les plus aisés.
Mécaniquement, ce phénomène élève le seuil de pauvreté, fixé à 60 % du revenu médian, qui augmente donc de prés de 1% d’une année sur l’autre. C’est probablement ce qui explique une légère diminution de l’intensité de la pauvreté, mesurée par la part parmi les pauvres des personnes qui ont un revenu inférieur au revenu médian de la catégorie. En revanche le taux de pauvreté lui augmente de prés de 1 point, pour atteindre, avec 9,8 millions de personnes le taux de 15,4% soit le plus élevé depuis 1996, première année de suivi de cette série par l’Insee. Encore ce chiffre n’intègre-t-il pas les personnes sans abri, ou en institutions, comme les personnes âgées ou handicapées, ou encore les étudiants : on estime que le nombre de pauvres est de 2 millions de plus.
Les causes de cette évolution sont multiples : baisse de revenu des travailleurs pauvres, notamment des micro entrepreneurs, arrêt des mesures exceptionnelles mises en place en 2022 pour protéger le pouvoir d’achat des ménages, baisse relative des allocations logement et diminution du nombre de leurs bénéficiaires. réforme de l’assurance chômage, baisse relative des petites retraites, etc…
Résultat les catégories les plus touchées par cette pauvreté croissante sont, comme on pouvait s’y attendre, les chômeurs pour 36,1 % d’entre eux, mais aussi les familles monoparentales (traduisez femmes seules avec enfant(s)) pour 34,3 % d’entre elles, et ce malgré la réforme des pensions alimentaires engagée dès le quinquennat Hollande et qui s’est traduite dans la période par une augmentation de 50% de la pension alimentaire minimale qui atteint désormais prés de 200 € ; et par voie de conséquence les enfants eux-mêmes, pour 21,9 % d’entre eux. Le comble car ces deniers étaient la cible principale du plan de 2018 : lutter contre la pauvreté des enfants c’était un moyen de lutter contre la reproduction de la pauvreté.
Echec donc de ce plan ? Non, plutôt abandon. A l’image du revenu universel d’activité qui n’a jamais été mis en œuvre, les autres dispositions du plan pauvreté ont été toutes plus ou moins abandonnées, comme par exemple l’accès des jeunes enfants pauvres à des modes d’accueil collectifs comme les crèches.
« On met un pognon de dingue dans les minimas sociaux et les gens ne s’en sortent pas ». On se souvient de la phrase provocatrice d’Emmanuel Macron en juin 2018. Certes la pauvreté ne peut se ramener à la seule pauvreté monétaire, mais c’en est la première cause et la première manifestation. Pas de lutte contre la pauvreté sans un revenu minimum qui couvre les besoins essentiels : c’était l’ambition du revenu minimum d’insertion mis en place par Michel Rocard, devenu RSA sous Sarkozy et dont les associations de solidarité ne cessent de réclamer la transformation en un revenu inconditionnel et sa revalorisation. Au contraire le programme de revalorisation mis en place pendant le quinquennat Hollande sous l’impulsion de François Chérèque a été abandonné dès le premier quinquennat Macron et une condition supplémentaire vient d’être ajoutée avec une obligation d’activité minimale de 15 heures qui va conduire à augmenter encore un non recours qui concerne un tiers des bénéficiaires potentiels.
La mise en place d’un revenu universel, constituant le socle du système de protection sociale est donc une condition nécessaire, même si elle n’est pas suffisante de l’éradication de la pauvreté. Celle qui permettra de sortir de la spirale de la pauvreté (ou de n’y pas tomber). Sur ce socle, il faut développer des politiques d’accompagnement reposant plus sur la confiance faite aux personnes que sur le contrôle. Et bien sûr investir dans la petite enfance et l’aide à la parentalité, car en luttant contre la pauvreté des enfants on lutte contre la pauvreté de reproduction, mais on aide aussi les parents, et notamment les mamans solo, à s’en sortir.
Toulouse, le 13 juillet 2025
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