Sur le fil

Vous avez dit « Risques sanitaires » ?

S’il est, dans le champ des politiques de santé, un sujet mal connu, trop souvent mal documenté, insuffisamment étudié, et pourtant propice aux polémiques, pour ne pas dire à l’irrationnel, c’est celui de l’impact de l’environnement sur la santé et sur les risques qui en résultent pour la population. A l’occasion de la journée « Ma santé dans le Nord Pas de Calais » qui s’est tenu le 10 avril, j’avais invité à débattre deux personnes pour qui j’ai une égale estime, personnelle et intellectuelle : André Cicorella, d’un côté, dans le rôle du « prêcheur de l’apocalypse[1] », Jean de Kervasdoué, de l’autre, dans celui de la victime consentante de « l’aveuglement scientiste ».

Un débat polémique ; stimulant certes ; mais aussi inquiétant pour tout responsable de la politique de santé. Comment trancher, par exemple, sur la question des bisphénols, sur leur impact sur les cancers ou sur d’autres maladies chroniques, quand les experts s’affrontent, non seulement en alignant les références scientifiques contradictoires, mais aussi en s’appuyant sur des présupposés en apparence opposés.

En apparence seulement, car, comme Jean de Kervasdoué, je n’ai pas envie de donner une interprétation extensive du principe de précaution, au point de bloquer toute avancée de la recherche ou de l’innovation. Après tout, innover, comme vivre, c’est risqué. Et Jean de Kervasdoué a raison de dénoncer le caractère souvent excessif, voire irrationnel, des peurs :

–        elles s’appuient souvent sur une pensée magique, vitaliste, attribuant à la « nature » des vertus positives, notamment pour la santé, qu’elle n’a pas ; on n’a pas attendu la « chimie » pour trouver des poisons, et la plupart d’entre eux sont d’ailleurs d’origine « naturelle » ;
–        elles oublient la nécessité d’arbitrer entre différents risques ; ainsi, pour ma part, je préfère le risque (particulièrement limité) de la vaccination, à celui des maladies qu’elle permet d’éviter (et j’ai vécu comme un scandale les décès évitables d’enfants ou de jeunes, de tuberculose -dont le caractère obligatoire de la vaccination a été suspendu en vertu du principe de précaution- ou de méningites)
–   elles oublient que cet arbitrage doit intégrer la dimension économique : ainsi la généralisation du test génomique de l’hépatite C a-t-elle couté des dizaines de millions d’euros pour un mort évité tous les 3 ou 4  ans ; pour la même somme de nombreuses actions (toujours dans le domaine de la santé) auraient permis d’éviter beaucoup plus de morts, mais, après l’affaire du sang contaminé, la sensibilité au risque transfusionnel est telle que les responsables cherchent à atteindre dans ce domaine le risque zéro ;
–        elles conduisent à la multiplication d’obligations, de normes qui ont un coût élevé pour notre économie, et participent aussi à la longueur des délais pour rendre des avis ou accorder des autorisation dans notre pays.

Mais comme André Cicollela, je me méfie aussi de ces arguments qui ont trop souvent été utilisés, par certains groupes d’intérêt, par exemple pour retarder l’interdiction de l’amiante, pour contester l’impact sanitaire du tabac, sans parler de la minimisation des effets iatrogènes de nombreux médicaments (a fortiori quand ils étaient connus, comme dans le cas du Médiator, ou précédemment du Viox). Les exemples ne manquent pas, hélas, de l’utilisation de ces arguments par des lobbys qui défendaient d’autres intérêts que la santé des populations.

C’est la raison pour laquelle, comme lui, je suis favorable à la reconnaissance des « lanceurs d’alerte », car sur tous ces sujets nous aurions été bien inspirés de les entendre. Mais les entendre ne signifie pas forcément les suivre systématiquement, par une extension abusive du principe de précaution : on peut montrer l’existence d’un risque (et une fois celui-ci identifié se donner les moyens de le mesurer), on ne peut jamais en démontrer totalement l’absence (i.e. considérer qu’un risque est égal à zéro).

Mais alors comment trancher sur l’impact de telle ou telle substance sur la santé, les bisphénols, ou les perchlorates aujourd’hui. Et si risque il y a, le coût de l’interdiction, du remplacement, ou du traitement n’est il pas supérieur à celui des risques évités, voire la solution ne génère-t-elle-pas elle-même un risque, qui peut être finalement supérieur à celui qu’on a voulu éviter.

Cette question peut être déclinée en série :

  • « qui tranche ? », ce qui renvoie à l’expertise, à son organisation et à son indépendance ;
  • « sur quelles bases ? », et donc quels sont les critères de la décision ;
  • mais aussi sur quelles informations se fonde-t-elle ;
  • et « avec quel degré de certitude ? », ce qui renvoie à l’acceptation, nécessairement temporaire, d’une prise de risque.

Pour ma part je suis, pour y répondre, favorable, comme d’autres[2] d’ailleurs, à la création d’une Haute autorité des risques sanitaires (comme il existe une Haute autorité de Santé), qui prenne (ou au moins prépare) les décisions dans ce domaine, ce qui suppose :

  • qu’elle soit collégiale et pluridisciplinaire, et bien sûr indépendante ;
  • qu’elle intègre la dimension sanitaire et la dimension économique, et plus largement écologique ;
  • qu’elle s’appuie sur des dispositifs d’observation permanent, qui permettent de mesurer le plus objectivement possible les risques ;
  • qu’on accepte que ses décisions soient, par nature provisoires, parce que contestables, donc susceptibles d’être revues régulièrement au vu de l’avancée des connaissances.

Là est un point essentiel. Comme l’a démontré Karl Popper, une proposition n’est pas scientifique si elle n’est pas contestable, c’est-à-dire si des arguments contraires ne peuvent la remettre en cause. Il n’y a de vérités scientifiques que partielles et provisoires et les vérités éternelles, totalisantes et définitives relèvent d’autres domaines que celui de la science. Ainsi doit-il en être également de l’analyse des risques sanitaires : cela nécessite d’accepter que les décisions prises peuvent à tout moment être remises en cause, à la lumière d’éléments nouveaux ou d’études plus approfondies. Cela suppose deux conditions :

–        une meilleure compréhension de la notion de risque en santé de la part des citoyens (mais aussi des décideurs, voire des experts !) ; un beau défi pour l’éducation en santé ;

–        des dispositifs de surveillance permanents des risques (par exemple dans le domaine du médicament, la généralisation des études post AMM), et acceptant d’y intégrer la contradiction (comme les lanceurs d’alerte pourront le faire).

Mais ceci est un autre chapitre ….

Lille, le 3 mai 2013

 

[1]  Jean de Kervasdoué « Les pêcheurs de l’apocalypse », Plon , 2007

[2] William Dab, Danielle Salomon, « Agir face aux risques sanitaires », 2013

 

 

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