Sur le fil

Il ne faut pas attendre d’être malade pour se soigner

Le sondage réalisé à l’occasion de la journée « Ma santé dans le Nord Pas de Calais »[1] nous a réservé quelques surprises.

Ainsi, l’état de santé ressenti est bien meilleur que ce que laisse à penser les indicateurs sanitaires. Il est globalement assez proche de la moyenne française (88 % se sentent en bonne santé contre 91 % au niveau national, ce qui tranche, alors que la région se caractérise par les plus mauvais indicateurs de santé du territoire métropolitain (avec, par exemple, un taux de mortalité évitable de 30 % supérieur à la moyenne française). Surtout, une partie importante des nordistes se sentent en très bonne santé : 28 % contre 13 % au niveau national.[i] Bien sûr, les inégalités de santé sont plus importantes dans le Nord Pas de Calais qu’ailleurs, à l’image des inégalités de richesse (la région se caractérise par un taux de pauvreté très supérieur à la moyenne nationale, mais aussi par un nombre de contributeurs de l’ISF également important) : mais ces inégalités sont insuffisantes pour expliquer un tel écart ; de surcroit, une agglomération  comme Lille, qui n’a pourtant rien à envier aux autres grandes métropoles, a aussi des indicateurs sanitaires plus mauvais que les métropoles équivalentes. Paradoxe donc.

Ce n’est peut-être un paradoxe qu’en apparence. D’abord, il n’y a pas de corrélation directe entre « état de santé ressenti » et « état de santé réel » (ou du moins objectivé par les données médicales et sanitaires). De même qu’il n’y a pas, comme l’a rappelé récemment Daniel Cohen[2], de corrélation entre le sentiment de bonheur et la richesse des populations : c’est surement la raison pour laquelle, dans une nation globalement plus déprimée que la moyenne, les nordistes, qui sont loin d’être les plus riches, apparaissent comme plus heureux que la moyenne[3][ii] : de même que, comme le dit la sagesse populaire « l’argent ne fait pas le bonheur », de même, comme le disait l’OMS en 1946, « la santé ne se réduit pas à l’absence de maladie »

A contrario, ce sentiment d’être en bonne santé explique peut-être, du moins en partie, un état sanitaire largement dégradé au regard des standards nationaux. En effet, comme on ne se sent en bonne santé, on ne se soigne pas, du moins assez tôt, et on ne ressent pas la nécessité d’agir pour l’être davantage, ou du moins le rester. Ainsi en est-il de l’obésité et du surpoids, qui touche, rappelons le, un nordiste sur deux, qui n’ont, pour beaucoup d’entre eux, pas conscience qu’il s’agit d’un des principaux facteurs de risque, cardiovasculaire, mais aussi de diabète, de cancer, …

Cette analyse est d’ailleurs corroborée par la réponse à une autre question au sondage : à la question de savoir ce qu’ils font quand ils souffrent, près d’un nordiste sur deux répond qu’il commence par se soigner lui-même (44 % contre 51 % qui vont chez le médecin).

Certes, loin de moi l’idée de proclamer, comme le Dr Knock que « tout homme bien portant est un malade qui s’ignore ». Nombre de maladies bénignes (le rhume par exemple) peuvent se soigner par automédication, voir après avoir demandé conseil à son pharmacien, car il vaut mieux dans ce cas là laisser le corps utiliser ses propres défenses et traiter le cas échéant et avec patience les symptômes gênants, que d’utiliser un arsenal thérapeutique souvent inadapté (les antibiotiques par exemple). Loin de moi l’idée de transformer chaque nordiste en hypocondriaque, et on sait que le recours trop fréquent aux soins, aux examens, aux médicaments est aussi un mal national qui explique une part non négligeable de la dépense inutile en assurance maladie, comme d’ailleurs le développement de la iatrogénie médicale. Nous avons, plus que d’autres peuples une fascination excessive pour « la Némésis médicale[4]». Et le Nord Pas de Calais, se caractérise aussi par une surconsommation plus importante de médicaments qu’ailleurs, par exemple des antibiotiques.

Ce qui me frappe, c’est la coexistence de ce recours souvent excessif (caractéristique nationale) , avec un recours trop tardif (caractéristique régionale), qui semble être une des explications principales des mauvais résultats sanitaires du Nord Pas de Calais : quitte à caricaturer, on attend d’être bien malade pour aller se faire soigner, mais une fois qu’on l’est, le système de soins prodigue avec plus d’excès qu’ailleurs ses prestations pas toujours adaptées (car ce qui est vrai des antibiotiques, l’est aussi des transports et de bien d’autres prescriptions).

Ce recours trop tardif aux soins s’explique en partie par des facteurs économiques : avance de frais et restes à charges (tickets modérateurs, franchises et dépassements) constituent pour des populations aux revenus limités un réel obstacle à l’accès aux soins. Mais cette cause n’explique probablement qu’une partie, probablement limitée, du phénomène, et le sentiment d’être en bonne santé y est probablement pour beaucoup.

A contrario, un recours plus précoce aux soins, « ne pas attendre d’être malade pour aller se faire soigner » devrait permettre, non seulement d’améliorer les indicateurs de santé, mais aussi  contribuer à maîtriser la dépense. On rêverait presque d’une médecine à la chinoise, où les professionnels seraient payés pour que vous ne tombiez pas malade. Mais c’est là un autre chapitre.


[1] .Enquête sur la santé et l’accès aux soins dans le Nord Pas de Calais, IFOP, La Voix du Nord, ARS NPdC, mars 2013

[2] . Homo Economicus

[3] .IRB France 2013, « indicedebonheur.com »

[4] Ivan Illich Némésis médicale, 1975


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